Éducation nationale : sur la voix de la privatisation

Instaurer la pénurie et apprendre à la gérer

26 octobre 2006

Dans le prolongement de la réforme du statut des Techniciens Ouvriers de Services, le décret de Robien amorce la casse du statut des enseignants à qui l’on demande polyvalence et flexibilité. La mise en place des Conseils Pédagogiques instaure quant à elle l’autonomisation des établissements, la régionalisation des diplômes, l’inégalité face à l’éducation... Le gouvernement se dégage de sa mission régalienne d’éducation et met en marche la privatisation du service public de l’Éducation nationale. Et les élèves dans tout ça ?

La loi de Finances de 2007 table sur une suppression de 15.000 postes de fonctionnaires dont la moitié au sein de l’Éducation nationale. Deux récents audits vont plus loin. En proposant de réduire de 20% les horaires d’enseignement en lycées et collèges, le gouvernement parviendrait à supprimer 30.000 postes d’enseignants. Le gouvernement instaure la pénurie et envisage de réformer dans le même temps le statut des enseignants pour tenter de joindre les deux bouts.

Boucher les trous

Si le projet de décret de Robien entre en vigueur, les conditions de travail des enseignants seront entièrement remodelées à la rentrée 2007. Polyvalence, remise en cause de la notion de poste dans un même établissement et dans la discipline de recrutement, allongement du temps de travail et de présence, augmentation du nombre de classe par enseignant... les décrets de 1950 qui régissent leurs obligations de service passeront à la trappe.
Pour exemple, un professeur agrégé d’Allemand qui n’exerce que 12 heures de sa matière en collège pourra avoir à compléter son service par 3 heures de français dans un lycée professionnel de la même commune. Si le chef d’établissement estime qu’il est compétent pour ce poste, il ne sera pas en mesure de refuser et devra s’exécuter. Un professeur de physique pourra enseigner la technologie et qu’importe s’il n’éprouve pas de « goût » pour cette discipline car comme le souligne le ministère : « Le goût est une notion subjective. C’est trop facile de dire que l’on a pas le goût. »
De la même façon, les heures de première chaire, de labo, de décharge, seront décomptées des heures de service des enseignants, donc à leur charge, et devront être mutées en heures d’enseignement. Pour éviter tout gâchis, les enseignants devront assurer coûte que coûte 18 heures de services minimum. « Il faut quelqu’un devant les élèves », explique Jean-Jacques Perrot, secrétaire académique du syndicat FO des lycées et collèges de La Réunion, professeur de physiques et aussi, par la force des choses, de mathématiques.
Là ou il y aura des postes manquants, ce sont les TZR, Titulaires de Zone Remplacant qui seront affectés, professeurs sans attache fixe à un établissement, « bouche-trou » flexible à souhait. Alors que pour la session 2007, il est prévu la fermeture de 174 concours sur 350, il est à prévoir une extension de ce statut de TZR pour les jeunes professeurs qui arrivent sur le marché.

Sous couvert de pédagogie...

À cela s’ajoute la mise en place des conseils pédagogiques d’établissements, pivot de cette politique de démantèlement. À la rentrée 2006, les chefs d’établissements ont reçu les modalités d’application de ces conseils. Le texte cité en référence dans la circulaire de rentrée est celui de la loi Fillon car aucun décret ni arrêté n’a jusqu’alors été publié. Selon l’article 38 de la Loi du 23 avril 2005, « le conseil pédagogique a pour mission de favoriser la concertation entre les professeurs notamment pour coordonner les enseignements, la notation des activités scolaires. »
Concrètement, derrière cet affichage de consensus et de concertation pour la mise en place d’un projet pédagogique - la pédagogie n’étant qu’un volet de l’enseignement si tant est que le professeur maîtrise déjà sa matière -, sous la tutelle du chef d’établissement, se dégage clairement des prérogatives financières. En effet, les fonds de la LOLF (Loi Organique relative à la Loi des Finances) ne seront plus délivrés en fonction d’une politique globale de l’éducation au niveau national, mais en fonction des projets régionaux et de ceux des établissements. Les critères d’effectifs scolaires et de filières ne seront plus prédominants pour déterminer l’attribution des fonds.
Déjà, certains enseignants accusent une perte de leur liberté pédagogique au profit d’objectifs globaux qui ne visent qu’à servir des diagrammes de performance des établissements pouvant ouvrir droit à des enveloppes supplémentaires. Un bac dans un établissement du Sud n’aura pas la même valeur qu’un bac dans un établissement du Nord, le bac Henri IV n’aura pas la même valeur que le bac Jean Hinglo.
Laurent Pignarre, membre du Bureau FO, TZR en lycées professionnels, va plus loin et estime qu’« à terme, il n’existera plus de programme ni de diplômes nationaux. » La généralisation du Contrôle en Cours de Formation en est déjà la première marque. Les CAP ne seront bientôt plus reconnus par les conventions collectives. L’apprentissage à 14 ans va permettre au patronat de bénéficier d’une main-d’oeuvre à bon marché qui, privée des savoirs fondamentaux, aura bien du mal à maîtriser son avenir professionnel. À l’évidence cette politique de démantèlement de l’Éducation nationale ne permettra pas de réconcilier certains élèves avec l’école. Une école comme un champ de foire, ou le savoir se vend à la criée au meilleur prix.

Stéphanie Longeras


Rosine Mourounaga

TOS de l’Éducation Nationale

Qui se préoccupe réellement des conditions de travail de la centaine de techniciens ouvriers de services (TOS) de l’Éducation Nationale ? Quasiment personne ! À part, Rosine Mourounaga, la responsable de la section des précaires et des contractuels du SGPEN-CGTR. Comment vous expliquez leur situation de travail ? Le cas de Rosine Mourounaga est exemplaire.

Des TOS en CDD

On le sait très certainement, mais elle tient à le rappeler. « Depuis janvier, des TOS signent des contrats à durée déterminée (CDD) avec le Conseil Régional et d’autres avec le Conseil Général ». C’est clair pour vous. La durée est effectivement déterminée : « 3 jours, 15 jours, 1 mois, 6 mois ou 12 mois », détaille-t-elle, « pour le remplacement du personnel titulaire en congés maladie ». Pour une année, « une personne peut travailler et percevoir 50 euros ».

Des signatures à la pelle

Et vous Rosine Mourounaga, vous avez travaillé ? Elle me dit oui tout en me demandant de patienter un instant. Le temps pour elle de rassembler tous les contrats qu’elle a signés depuis le début de l’année. Tous les contrats ! « En février, j’en ai signé un, mars deux, avril un, du 29 mai au 11 juin 1, du 12 au 20 juin 1, du 20 juin au 8 juillet 1, du 1er août au 1er septembre... », cite-t-elle en passant à loupe ces contrats de travail. Cerise sur le gâteau, ses contrats ont été passés avec des lycées différents. Par ailleurs depuis le 1er septembre, elle n’a plus travaillé.
Cette situation est devenue insupportable à la longue. Pour elle, une solution doit être trouvée autour d’une table ronde ou carrée, dit-elle. Ces précaires ont des factures à payer et des familles à nourrir. Les années semblent se succéder et se ressembler pour ces Réunionnais qui n’ont qu’une seule envie : travailler.

J.-F. N.


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Messages

  • Injustes ! Privilèges !

    Je fais 8 h dans une même classe, je suis payée 9 h.

    Je fais 1 h dans 8 classes, je suis payée 8 h. Or la charge de travail est plus lourde lorsque l’on travaille dans plusieurs classes et où on assure plusieurs matières.

    Je fais 1 h en BTS, je suis payée 1 h 15/

    Je fais 1 h en BEP, je suis payée 1 h, avec une charge de travail beaucoup plus lourde.

    Je parle en connaissance de cause, ayant enseigné en BEP, en 1ère techno et BTS

    Je sais que mes arguments ne sont pas ceux de la pensée unique

    Je prie l’administrateur d’être démocrate, objectif pour accepter mon article.

    Merci


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