
Mal-do-mèr dann sarèt
28 juin, parLo zour la pokor kléré, Zan-Lik, Mariz é sirtou Tikok la fine lévé, mèt azot paré. Madanm Biganbé i tir zot manzé-sofé, i donn azot, zot i manz. (…)
Entretien avec Michel Latchoumanin
29 avril 2011
Michel Latchoumanin, professeur des universités en Sciences de l’Éducation, auteur d’un récent ouvrage [1] sur le problème de l’illettrisme dans notre département, animait une conférence mercredi dernier à la médiathèque Benoîte Boulard du Port sous l’intitulé “100.000 illettrés à La Réunion : à qui la faute ?”. Le chercheur a dressé un tableau particulièrement inquiétant d’une situation qu’il assimile à une véritable catastrophe sociale, qui relève de la responsabilité de ceux qui ont eu à s’occuper depuis 20 ans de ce qu’on appelle malencontreusement la “lutte contre l’illettrisme”. L’auteur a accepté de répondre à quelques questions.
• Lors de votre conférence, vous avez souligné la gravité du fait que, selon les chiffres de l’INSEE, La Réunion compte plus de 100.000 illettrés. En quoi ce problème est-il grave ?
- Ce problème est grave non seulement en raison de son importance quantitative que nul ne peut ignorer aujourd’hui, mais surtout du constat que ce chiffre n’a pratiquement pas varié depuis 20 ans et cela peu de nos gouvernants et compatriotes semblent en avoir pris conscience.
L’illettrisme, qui ne représentait qu’un phénomène marginal il y a encore quelques décennies en France, a été paradoxalement transformé en véritable problème de société dès le moment où s’amorçait sa prise charge officielle au plus haut niveau de l’État à partir de conclusions malheureuses de quelques chercheurs, dont les travaux pseudo-scientifiques ont produit une nouvelle catégorie sociale d’exclus sous l’effet d’une stigmatisation organisée. En assimilant l’illettrisme au handicap, à la maladie, à l’autisme, au fléau social…, on est effectivement parvenu, sans en avoir pleinement conscience, à engendrer la honte chez celui qui découvre dans le regard et surtout le discours de l’autre une nouvelle identité socialement fabriquée.
Je ne minimise pas l’effet conjugué d’une évolution sociétale marquée par une exigence de plus en plus significative de l’usage de l’écrit, mais je reste convaincu que ce sont les modalités d’actions mises en oeuvre pour tenter de résoudre ce problème qui ont provoqué la véritable catastrophe sociale observée aujourd’hui.
Il en va aujourd’hui de la lutte contre l’illettrisme dans des campagnes de communication et des programmes d’actions comparables à ceux développés par exemple dans la lutte contre le SIDA. Les séropositifs sont identifiés à leur maladie et les illettrés à leur handicap en lecture. Dans les deux cas, on assimile l’individu à ce qui lui fait défaut, ignorant ainsi les autres qualités dont sont porteurs l’un et l’autre.
La dévalorisation est à l’oeuvre jusque dans les intitulés des interventions où l’on va proposer l’appropriation des savoirs de “base” à la personne illettrée pendant que l’individu lambda bénéficie d’un enseignement de savoirs tout simplement.
C’est ainsi que le jargon de nos éminents penseurs du GPLI (Groupe permanent de lutte contre l’illettrisme) de 1984 à 2000 et depuis cette date de l’ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme) va progressivement s’enrichir d’un lexique stigmatisant qui tente de rendre compte de la mobilisation observée sur le terrain dans une lutte toujours contre… et jamais pour…
Dans l’incapacité de procéder à une véritable évaluation des programmes mis en œuvre, les têtes présentées comme pensantes de la lutte vont le plus souvent mettre en exergue quelques exemples de pratiques estimées efficaces à l’aune de l’autosatisfaction exprimée par les acteurs concernés.
C’est ainsi que nos chargés de mission à vie aussi bien sur le plan national que local tirent bénéfice d’une situation qu’ils semblent entretenir, à défaut de pouvoir l’éradiquer, se garantissant du même coup une rente de situation que personne n’a osé dénoncer jusqu’à présent.
Le discours consensuel et politiquement correct en usage au sein des instances théoriquement mobilisées sur la question masque en réalité une complicité tacite que quelques rares individus s’autorisent à dénoncer en coulisse, mais jamais publiquement par crainte de leur hiérarchie qu’elle soit administrative ou politique.
Le “pas de vague” semble avoir été jusqu’à présent le mot d’ordre implicitement partagé aussi bien par les politiques dont certains il faut le souligner, ont l’honnêteté de reconnaître leur incompétence et qui financent des programmes occupationnels dans le seul objectif d’entretenir leur vivier électoral, que par les représentants de l’administration publique qui, souvent de passage, ignorent tout ou presque du contexte local et désignent comme “lieutenants” aux postes stratégiques des sujets reconnus, non pour leur compétence, mais pour leur docilité, et de qui on n’attendra pas d’autre discours que celui de vanter les mérites de leurs institutions respectives en dépit des bilans catastrophiques que l’on ne peut plus cacher aujourd’hui.
La dernière imposture de ces dirigeants a été, après un simulacre d’États généraux en novembre dernier, de remettre une couche sur un partenariat de façade en signant une nouvelle charte, dont les orientations reprennent les déclarations d’intentions de 2007, sans qu’ait été rendu public le bilan de leur action pendant les trois dernières années.
Enfin et pour terminer sur cette première question je prédis une dégradation de la situation au regard de deux constats. Le premier montre que les formateurs d’adultes parviennent à former un millier de personnes dites illettrées par an ; c’est du moins ce qui est déclaré officiellement, sachant qu’elles ne sont qu’environ 300 à valider le CFG (Certificat de formation générale).
Le second donne à voir que plus de 3.000 jeunes, dont 55% sont encore scolarisés, sont repérés en situation d’illettrisme à la JAPD (Journée d’appel de préparation à la défense) chaque année. Le calcul est simple, si vous retranchez mille de trois mille, vous arrivez au résultat accablant que 2.000 nouvelles personnes dites illettrées qui s’ajoutent chaque année aux 100.000 répertoriées à ce jour.
Devant une telle réalité, quel crédit accordé au propos de ceux qui nous annoncent une diminution de 50% du taux d’illettrisme à La Réunion dans 5 ans… ?
• Quelles sont selon vous les causes de ce problème ?
- Au-delà des causes d’ordre psycho-sociologique découlant de la stigmatisation et qui expliquent la honte de la personne dite illettrée qui fuit les structures dédiées à la LCI, j’y reviendrai, il faut admettre que notre système éducatif a une lourde part de responsabilité, non pas en raison de son implantation récente à La Réunion, comme le soulignent les experts de l’INSEE et les partisans de la langue de bois (en effet, dire cela n’implique aucune responsabilité des individus), mais de données plus objectives contenues dans les résultats de l’enquête IVQ (Information et vie quotidienne) que n’ont pas su ou voulu exploiter ses auteurs.
Dire que c’est à cause du manque d’écoles que l’on constate une forte concentration d’illettré(e)s dans les couches les plus âgées de la population c’est étaler son incompétence sur le plan de l’analyse de données d’une part et à propos des travaux universitaires qui étudient les conditions du fonctionnement de l’institution scolaire depuis plusieurs décennies.
Seulement 7.000 personnes sur les 523.000 concernées par l’enquête IVQ n’ont pas fréquenté l’école. Nombreux sont ceux qui l’ont fréquentée pendant une durée inférieure à 5 années, pas — là encore — en raison d’un manque d’écoles, mais tout simplement parce que les anciens devaient très rapidement quitter la classe pour aider les parents dans les tâches domestiques et professionnelles.
Enfin, 368.000 personnes ne maîtrisaient pas la langue française à leur entrée à l’école. Or, quand on prend connaissance des recherches menées dans les années 70-90 à propos de l’inadaptation du système éducatif au contexte socio-culturel et ses conséquences désastreuses, dont la principale est la censure de l’expression spontanée de générations d’enfants, on mesure précisément la responsabilité qui incombe à l’École.
Aujourd’hui, l’excès de “normatisation” présent à tous les niveaux du système éducatif fait que les enfants les plus lents et les moins dotés en capital culturel sont irrémédiablement condamnés à ne pas réussir. Un exemple pour traduire ce que j’entends par “normatisation” : l’avenir scolaire de l’élève se joue en fin de CP suivant qu’il maîtrise ou non la lecture.
En ce qui concerne la formation des adultes, les conclusions d’une enquête conduite par un cabinet d’experts métropolitains — “Ingéniors” — sur le fonctionnement des APLI (Atelier permanent de lutte contre l’illettrisme) de 2000 à 2005 sont particulièrement édifiantes à propos de l’inanité des actions mises en oeuvre. Il apparaît dans ce rapport que les 411 personnes ayant fréquenté ces structures au cours de la période considérée n’ont pratiquement rien appris, qu’elles n’avaient pas de projet et que leur présence se justifiait par l’indemnité de stage prévue dans leur contrat de formation.
Aujourd’hui, c’est surtout l’absence de motivation des stagiaires qui fait obstacle à l’action des formateurs. L’intervention des adultes-relais, dont la mission consiste à repérer par tous les moyens les personnes dites illettrées pour les inciter à fréquenter les APLI, n’a pas fait évoluer la situation puisque les structures ont toujours du mal à remplir les places disponibles. Il est vrai par ailleurs que la suppression de l’indemnité de stage depuis quelques années ne favorise pas la fréquentation des ateliers.
• Que proposez-vous comme mesures et ressources, à la fois humaines et financières, afin de permettre au peuple réunionnais de sortir de cette forme moderne d’oppression ?
- Tout d’abord, j’estime qu’il est urgent de faire une révolution intellectuelle qui consiste à substituer aux termes négatifs existants celui unique de “littératie”, qui présente l’avantage de ne pas stigmatiser la personne en situation d’illettrisme.
Je crois également qu’il devient nécessaire de changer les structures et les personnes qui ont montré leurs limites. L’ANLCI a fait son temps et les personnes à son service ont atteint leur seuil d’incompétence, selon le principe de Peter.
La structure à mettre en place devrait développer une véritable coopération entre chercheurs et praticiens de manière à concevoir une intervention en meilleure adéquation avec les données d’une situation qui échappent encore au plus grand nombre.
Au sein du système éducatif, il conviendrait de stopper d’urgence la scolarisation exacerbée de l’école maternelle, qui doit rester le lieu où l’enfant apprend par le jeu et non suivant un programme d’activités normées et évaluées de manière drastique. En primaire, l’instauration des cycles, qui n’est restée que théorique jusqu’à présent, devient une transformation nécessaire pour que les enseignants nommés sur un cycle, et non plus sur une classe, conduisent tous les enfants à la maîtrise de la lecture avant l’entrée au collège.
Dès le collège, l’orientation active doit être plus soucieuse des intentions du sujet candidat à une filière professionnelle. Actuellement, cette orientation arrive tardivement et est vécue comme une punition qui vient sanctionner la non-réussite dans la voie royale. C’est ainsi que dans les textes il est question de remotivation, ce qui représente un aveu par rapport à l’ignorance affichée par le système de la motivation initiale du sujet, qui se voit imposer une voie non conforme à ses aspirations et dispositions de la sixième à la troisième.
Sur le plan didactique, le changement à opérer consiste à réconcilier la pratique avec la philosophie du dialogisme pédagogique, qui définit une intervention plus soucieuse de la progression individuelle et dénuée de tout jugement de valeur disqualifiante a priori. Je vous renvoie à mon ouvrage pour une présentation plus détaillée et précise du dialogisme pédagogique.
En ce qui concerne les adultes, il conviendrait de se débarrasser de toute velléité de repérage ou de dépistage assimilable à un véritable “flicage”, mais de se mobiliser pour une meilleure information et communication qui laisse le choix au candidat à l’accès aux savoirs dans des lieux non connotés négativement. Les communautés de savoirs sont à constituer dans les quartiers à partir d’initiatives locales qu’il s’agira d’accompagner financièrement sur la base de projets précisément élaborés, mis en œuvre et évalués.
Il faut sur le plan pédagogique dénoncer l’imposture encouragée par l’ANLCI qui consiste à croire et à faire croire que les pratiques qui marchent peuvent se généraliser. Une telle erreur conforte l’idée d’un système qui fonctionnerait indépendamment de son contexte et semble ignorer que la pratique pédagogique ne relève pas exclusivement de la technique et du savoir savant du maître.
Ainsi, la référence à l’idée de vérité que détiendrait le formateur qui aurait pour tâche de la transmettre aux sujets apprenant relève d’une conception très comportementaliste qu’un demi-siècle de travaux en Sciences de l’Éducation a définitivement condamnée. Il faut se rendre à l’évidence que personne ne peut apprendre à la place de l’autre et qu’enseigner n’est pas transmettre, mais créer les conditions qui permettent à l’autre de construire ses connaissances. Le formateur est un médiateur et non un transmetteur et sa posture est celle de l’accompagnateur qui communique, qui entend, qui comprend, qui informe, qui encourage… et qui fait réussir.
Par ailleurs, la "coopération" que chacun appelle de ses vœux devrait être effective localement et régionalement. Nous avons certainement beaucoup à apprendre par exemple de nos voisins mauriciens qui développent une intervention en “litteracy” depuis de nombreuses années avec des résultats encourageants.
Les financeurs devraient instaurer des contrats pluriannuels avec les prestataires de formation et s’intéresser à l’évolution du statut des formateurs d’adultes pour les sortir de la précarité qui explique certaines dérives dénoncées dans le rapport Ingéniors. Ce faisant, on ferait disparaître la concurrence observée à chaque appel d’offres annuel et simultanément on créerait les conditions pour qu’émerge une véritable coopération entre acteurs.
Enfin, une véritable culture de l’évaluation est à instaurer, aussi bien dans les pratiques pédagogiques que dans la mesure de l’efficience et de l’efficacité des programmes financés sur les fonds publics, dont les résultats devraient être portés à la connaissance de tous chaque année. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses propositions qui figurent dans mon ouvrage.
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