Histoires d’élèves sur les discriminations

L’intégration passe aussi par l’école

6 juin 2006

L’école est un lieu de rencontres et d’échanges où des élèves de toutes origines, sociales et culturelles, se côtoient au quotidien, parfois victimes des stéréotypes et préjugés qui favorisent l’exclusion. Dans le cadre du projet européen “Floraisons”, 10 classes de primaire ont ainsi travaillé pendant 1 an à la réalisation de 4 albums qui abordent les thèmes du racisme et des discriminations. Elles les ont présentés samedi à la salle Vladimir Canter de l’Université du Moufia.

Dans le cadre du programme européen Equal (2005-2008), le projet “Floraisons” a pour objectif de favoriser l’intégration des personnes en situation d’exclusion et notamment les migrants des pays de la zone par l’interculturalité.

Lutter contre les discriminations

Le projet “Floraisons” a permis à des écrivains (Axel Gauvin, Daniel Honoré, Danièle Moussa et Jean-François Samlong), des dessinateurs (Wilfrid Cadet, Hippolyte, Fabrice Urbatro), des professeurs et élèves de Saint-Denis, Saint-André, Le Port, La Possession, d’engager un travail de réflexion basé sur la connaissance de l’autre, les discriminations et stéréotypes dont peuvent être victimes les enfants des populations récemment arrivées à La Réunion. À partir de ces réflexions, ils ont construit la trame d’une histoire, ou plutôt de 7 histoires, car les 3 réalisations des collèges seront présentées d’ici 2 mois. Par le biais de la délégation académique à l’action culturelle et la délégation académique aux relations internationales, le Rectorat est pleinement investi dans ce projet scolaire à vocation sociale. "Cette action est extrêmement encourageante pour l’Académie", commente le recteur qui souligne 2 objectifs majeurs.

Les NTIC pour prévenir l’illettrisme

D’une part, ce projet permet de travailler à une meilleure intégration des nouveaux élèves, pour ne pas employer le terme de primo arrivants qui, lui, semble moins explicite, en prenant en compte et en s’enrichissant de leurs différences culturelles. "Mieux connaître l’autre éveille à la citoyenneté et à la solidarité". Ce projet participe aussi à l’égalité des chances, à la lutte contre l’illettrisme pour une meilleure maîtrise de la langue et des fondamentaux. Et sur ce dernier point, le recteur concède qu’il est important de "prendre en considération la langue créole, pour distinguer les 2 langues". L’Académie travaille actuellement sur de nouveaux outils de prévention de l’illettrisme et de meilleure maîtrise de la langue écrite et parlée par le biais des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). La Télé formation à la lecture doit être adaptée au contexte réunionnais, notamment créolophone, au service des enseignants. Cet outil intéresse la Région et le Département mais sa mise en œuvre reste difficile. Peut-être un aboutissement pour la rentrée prochaine.

Stéphanie Longeras


An plis ke sa

D’autres pays européens - l’Écosse, la République tchèque, la Slovaquie, la Suède et la Finlande - ont adhéré au projet qui comprend également un volet visant à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des femmes en situation d’exclusion habitant dans des bidonvilles, et un axe création d’entreprises avec valorisation des savoir-faire extérieurs. Cette coopération européenne doit permettre à chaque pays d’échanger leurs diverses méthodes d’intégration sociale et professionnelle des populations migrantes. Le 2 septembre, les partenaires européens de “Floraisons” dresseront un premier bilan. Aux côtés de l’Europe, la Région Réunion, le FASILD, l’ADI et le DRDF sont financeurs du projet.


Témoignages

Qu’est qu’un raciste ? : "Quelqu’un qui n’aime pas les différences"

Laura, 9 ans et demi, Réunionnaise de parents métropolitains, Marianne, 10 ans, Réunionnaise qui a vécu quelques années en métropole avant de revenir dans son île, Galadrielle, 10 ans, métisse, d’une maman malgache et d’un papa anglais, et enfin, Fatouma, 11 ans, originaire de Madagascar nous font partager leurs impressions sur le projet. Toutes les 4 ont participé au sein de la classe de CM1 “Pluie d’Or” de l’école Georges Thibault au Port à la réalisation de l’album “Abder’, sous la conduite d’Axel Gauvin, auteur et professeur à l’Université, et du dessinateur Fabrice Urbatro. “Abder” ou l’histoire d’un petit Mahorais qui, entre colibés de "dents safran", un élève de sa classe, et nostalgie de son île, vit le parcours quotidien d’une intégration difficile.

"J’allais souvent aux toilettes pour pleurer"

Entre exercices d’écriture et de relecture, dessins, poèmes, sketches... "petit à petit, on a compris". Compris qu’"il ne faut pas être raciste, aimer les gens comme ils sont, ne pas se moquer car les mots méchants peuvent blesser", explique Marine avec assurance. Fatouma, d’une petite voix, nous confie que "quand je suis arrivée dans cette nouvelle école, on m’a dit "espèce de Malgache, retournes dans ton île"". Grâce à ce projet qui a permis de resserrer les liens entre les élèves, de favoriser la connaissance de l’autre en luttant contre les préjugés, Fatouma ose parler de son expérience aujourd’hui. "Ça fait mal au cœur madame, j’allais souvent aux toilettes pour pleurer".
L’école est une mini-société dans la société où l’ignorance, l’intolérance se vivent et s’expriment avec cruauté chez les enfants, où l’exclusion et la discrimination rendent la cohabitation entre élèves d’origines diverses parfois difficile. Grâce à ce travail, les élèves ont pu mieux comprendre ce que le mot racisme veut dire et comment il s’exprime au quotidien. "Avant, on ne savait pas ce que ça voulait dire raciste, confie Marianne. Laura est blonde, moi, mes cheveux sont noirs. Un raciste, c’est quelqu’un qui fait la différence entre le noir et le blanc... et Laura de rajouter, quelqu’un qui n’aime pas les différences". Aujourd’hui, si quelqu’un est insultant, emploie des propos discriminatoires, pour Laura c’est évident : "on fait comme s’il n’existait pas, on ne fait pas attention à lui, il arrêtera".

"Une Réunion qui respecte tout le monde"

Pour leur professeur Patricia Vilalta, il faut féliciter les élèves pour leur engagement et leur participation. "Ils se sont beaucoup investis dans ce projet qui les a passionné. Ils attendaient tous les lundis avec impatience pour poursuivre le travail". Dans sa classe, des élèves de Madagascar, des Comores, de La Réunion, de métropole ont travaillé ensemble et ont "réellement pris conscience du problème de l’exclusion... C’est un travail qu’il ne faudra jamais arrêter". Et l’album en main, les 4 filles confient que lorsque les intervenants ont quitté la classe, "ça nous a fait de la peine, on voulait continuer encore... on a beaucoup appris et on a bien rigolé". Elles ont aussi retenu que s’il ne faut pas faire de distinction de couleur, la langue aussi ne doit pas être un objet de différenciation. Laura explique qu’à son entrée à la maternelle, l’enseignante lui a appris quelques mots qui lui ont permis de mieux s’intégrer. Créole ou français, "il faut mélanger les deux" et plus encore, "il faut connaître toutes les langues". Ces adultes de demain ont certainement aussi beaucoup à nous apprendre, guidant nos choix pour construire le pays qu’elles souhaitent : "Une Réunion qui respecte tout le monde, ou l’on ne se fait pas souffrir".

SL


Le racisme sous plusieurs formes

"Il ne faut pas le laisser se développer"

Axel Gauvin estime que l’initiative est bonne mais qu’il faut multiplier l’action, car ce n’est que dans la durée que l’on obtiendra un résultat positif. Le sujet de la différence et de l’exclusion lui tient à cœur, il est prêt, si on le sollicite, à prolonger sa participation. "On dit que La Réunion est le pays de la tolérance, ce n’est pas totalement vrai. Le racisme existe, il ne faut pas le laisser se développer". Il a marqué la construction et l’histoire de notre île. Les migrants d’Inde, de Madagascar, de Chine en étaient alors les premières victimes. "Il se manifeste sous des formes nouvelles, poursuit Axel Gauvin, mais l’ancienne forme n’est pas morte pour autant. Le Réunionnais face aux Malgaches, Comoriens, Mahorais en est une forme, le racisme anti zoreil en est une autre, comme certains zoreil face aux créoles... toutes les formes sont condamnables. Il y a aussi l’importation de formes de racisme qui n’ont rien à voir avec notre réalité, comme le voile". De son côté, le dessinateur Fabrice Urbatro confie qu’à son époque, élève à Trois-Bassins, il y avait déjà du racisme mais moins qu’aujourd’hui. Pour lui, "cette initiative est très intéressante car elle permet un rapprochement culturel au sein de l’océan Indien, un rapprochement entre les intervenants et le quotidien des élèves. Elle permet, enfin, de resserrer les liens".

SL


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