L’école de la République en danger

La Cour des comptes tire la sonnette d’alarme

28 août 2010

Au moment où s’effectue la rentrée scolaire, il est bon de rappeler certains engagements relatifs à l’école de la République pris en 2007 par Nicolas Sarkozy et de se demander s’ils ont été tenus. Le rapport de la Cour des comptes intitulé “l’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves” publié le 12 mai 2010 nous aidera à y répondre.
Il ne fait pas de doute que tous ceux qui s’intéressent au système éducatif français se souviennent que le 2 février 2007, à Maison-Alfort (Sud de Paris), Nicolas Sarkozy avait déclaré solennellement que, dès son entrée à l’Élysée, il entreprendrait une « révolution de l’école ». Une école dont il déplorait que sa mission « au cours des dernières décennies » a été de « brader les diplômes ». Il s’indignait aussi que « l’école ne corrige plus les inégalités (mais) les aggrave » et il s’étendait sur les moyens qu’il s’empresserait de mettre en œuvre pour que « la promotion sociale… des enfants issus des milieux les plus défavorisés » ainsi que « la démocratisation de la culture » puissent de nouveau être assurées par l’école.
Voyons comment a été menée l’entreprise de « reconstruction de l’école » par l’actuel locataire de l’Élysée.
Les années 2008, 2009 et 2010 ont été marquées par la suppression de 40.700 postes d’enseignants. Suppressions ne tenant aucun compte d’une progression annuelle moyenne de 7.300 des effectifs scolaires.
Au cours de la première année du quinquennat de Nicolas Sarkozy, son ministre de l’Éducation Nationale s’est efforcé de discréditer le travail effectué par les petites sections des écoles maternelles, base de l’édifice scolaire. Avec la caution de l’Élysée, la préscolarisation des 2-3 ans qui était de plus de 1 enfant sur 3 en 2007 est passée à 1 enfant sur 5 en 2010 en France hexagonale et à 1 enfant sur 20 à La Réunion. Il est évident que la mesure qui frappe la petite enfance n’est dictée que par le seul souci d’économies budgétaires. Elle vise à accréditer l’idée que l’école maternelle est une spécificité française et que son fonctionnement constitue une charge trop lourde pour l’État. Tel n’est pas l’avis des magistrats de la Cour des comptes qui soulignent dans leur rapport du 1er Mai dernier que par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE (1), « la France se situe à un niveau de dépenses annuelles par élève inférieur de 5% pour la maternelle et de 15% pour le primaire ».
Afin de régler le problème de l’accueil du jeune enfant, des personnalités politiques proches du pouvoir préconisent l’ouverture de « jardins d’éveil » dont le fonctionnement serait à la charge des familles !! 8.000 places (payantes) seraient créées d’ici 2012, selon une annonce faite récemment par Nadine Morano, membre du gouvernement Fillon. Ceux qui n’ont pas les moyens de payer ne manqueront pas de se rappeler que Nicolas Sarkozy avait déclaré en 2007 : « Je veux être le président d’une France qui mobilise tous ses moyens… pour que les enfants pauvres soient des enfants comme les autres ».
Dans son plan de “reconstruction de l’école”, Nicolas Sarkozy avait exprimé il y a 3 ans son souci de ne rien négliger pour assurer la réussite des élèves en situation d’échec scolaire. « Je m’engage à ce que ceux qui ont besoin de plus de moyens en aient plus… », déclarait-il alors. La Cour des comptes constate qu’aujourd’hui le système éducatif français « tend à privilégier les élèves sans difficultés particulières, soit seulement un peu plus de la moitié de chaque classe d’âge ». La Cour fait observer que « la France fait partie des pays de l’OCDE qui arrivent le moins bien à traiter efficacement la difficulté scolaire ».
Il n’a pas lieu de s‘en étonner lorsque l’on sait que « l’éducation prioritaire » dispensée à 1.700.000 jeunes (issus majoritairement de milieux modestes) dans les réseaux ambition réussite (RAR) manque dramatiquement de moyens. La Cour note en effet que :

- 1 seul élève sur 4 relevant de l’éducation prioritaire peut bénéficier de mesures d’accompagnement éducatif,

- les besoins d’accompagnement personnalisé sont loin d’être satisfaits tant dans les collèges que dans les lycées,

- à la rentrée 2010, le soutien pourrait se traduire dans nombre d’établissements « par de simples heures de permanences »,

- alors que, selon les objectifs fixés par la loi, l’enseignement scolaire vise à donner à tous les élèves un socle commun de connaissances… à leur assurer une qualification reconnue, à contribuer à l’égalité des chances, aucun de ces objectifs n’est atteint aujourd’hui.
Résultats d’une telle politique :
- « Au terme de leur scolarité obligatoire, 21% des élèves ne maîtrisent pas la lecture »,
- « 18% des élèves issus de milieu social défavorisé obtiennent un bac général contre 78% pour les élèves de familles favorisées »,

- la France ne compte que « 50 à 60% d’élèves aux résultats satisfaisants »,
- « 27% d’une classe d’âge des étudiants atteint en France un niveau égal à la licence contre 48% au Canada, 41% au Japon… ».
La Cour estime donc qu’en France, « si l’institution scolaire a su relever le défi de la massification, elle n’est pas parvenue à surmonter celui de la démocratisation ». Elle ajoute que « si la réussite de tous les élèves est bien l‘objectif que le pays entend assigner à son système scolaire, il est nécessaire d’organiser, de financer et d’évaluer celui-ci en conséquence ».
Il n’a pas échappé également à la Cour que la suppression de la carte scolaire, décidée par Nicolas Sarkozy en 2007 sans la moindre concertation, accroît la ghettoïsation des écoles et que la suppression depuis 2008 des cours le samedi matin — condamnée notamment par les chercheurs de l’INSERM (2) et par l’Académie de médecine — cause un grave préjudice aux élèves les plus fragiles.

Des enseignants bien formés et correctement payés

La « révolution de l’école » promise par Nicolas Sarkozy en 2007 prévoyait une véritable démocratisation de l’accès à la profession d’enseignants en instaurant « un système de recrutement et de formation comparable à celui des IPES » (3). Il se montrait ainsi favorable à un pré recrutement niveau bac et au versement d’un salaire à tout aspirant enseignant pendant la durée de ses études et de sa formation professionnelle.
Que constate-t-on trois ans plus tard ?
Les lauréats au concours de recrutement des enseignants de 2010 ont dû en général préparer à leurs frais licence et master. Ils n’auront en outre pas le droit à un stage à l’IUFM (4) comme c’est la règle depuis 1992 et seront affectés directement dans des établissements. Leur formation relèvera d’un « compagnonnage » avec un collègue expérimenté. Le métier d’enseignant devient donc un des rares métiers n’exigeant aucune formation préalable.
Des enseignants « bien formés », mais aussi des enseignants « correctement payés », nous avait promis Nicolas Sarkozy. Aucun de ces deux engagements n’a été tenu, « le salaire moyen des enseignants français (étant) inférieur à la moyenne de l’OCDE », note la Cour des comptes.
Des voix pourront s’élever pour nous faire observer que, en dépit de ses défauts, le système éducatif français a un rendement satisfaisant puisque le taux de réussite au baccalauréat ne cesse de progresser. Ce taux n’a-t-il pas atteint à La Réunion 85,37% en 2009 ? Ce taux est toutefois à relativiser si l’on se rappelle qu’en 2007, Nicolas Sarkozy déplorait qu’aujourd’hui le rôle de l’école est de « brader les diplômes ». Il convient aussi de ne pas perdre de vue qu’au cours de la dernière décennie, le taux d’une classe d’âge obtenant le bac en France a stagné en dessous de la barre de 65% et qu’à La Réunion le retard sur l’hexagone est voisin de 10 points.
Il convient en conséquence que tous ceux qui estiment que l’école doit assurer la promotion de tous fassent entendre leur voix pour que le ministère de l‘Éducation Nationale prenne enfin conscience que l’édifice scolaire risque de s’écraser si la politique actuellement suivie ne subit pas un changement radical et urgent.

Eugène Rousse

(1) OCDE : Office de coopération et de développement économique regroupant 390 pays.
(2) INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale.
(3) IPES : Institut de préparation à l’enseignement secondaire.
(4) IUFM : Institut universitaire de formation des maîtres.

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