Femmes et Sciences à La Réunion

La matière grise n’a pas de sexe

20 novembre 2004

Les sciences et techniques ont besoin d’hommes et de femmes pour se développer. Ce ne sont pas des domaines réservés, mais juste majoritairement occupés par les hommes. Avec de la détermination, de la passion et de l’ambition, les femmes scientifiques bousculent les prés carrés.

Sur 494 prix Nobel scientifiques, seulement 11 ont été attribués à des femmes. Bien que leurs recherches soient insuffisamment valorisées, les femmes se sont toujours intéressées aux sciences. Dans le cadre de la fête de la Science, hier à la Maison de la recherche, des sciences et des technologies, des chercheuses et des chefs d’entreprise exerçant à La Réunion ont fait part de leur expérience, en présence des lauréates du prix de la vocation scientifique et technique et des élèves du lycée Jean-Perrin de Saint-André.

Ne pas abandonner

"Je suis têtue..., j’ai fini par prouver mes compétences", confie Mme Maillot, chef d’entreprise dans le BTP, première femme d’Europe à la tête d’une façonnerie de zinc, créatrice d’un profil ondulé zinc.
C’est en cheminant lentement qu’elle est parvenue à se faire sa place dans le domaine de la technique, qui l’a toujours attirée. Avec beaucoup d’humour, elle dépeint son parcours, les barrières qu’elle a dû franchir, portée par un esprit combatif, déterminée à mener à terme ses projets, à faire entendre ses idées.
Parler de zinc avec une femme n’est certes pas chose courante, mais Mme Maillot est la preuve vivante que des domaines jusque-là réservés aux hommes peuvent également être occupés par des femmes, tout aussi compétentes et innovantes.
"Vous, jeunes femmes qui suivez des études techniques, allez le plus loin possible, n’abandonnez pas", encourage-t-elle. Les études sont certes longues, difficiles, majoritairement suivies par des hommes, l’idée d’abandonner parcourt parfois les esprits, mais l’envie de se dépasser prend le dessus.
Même si les classes préparatoires de Versailles ont été "le pire cauchemar" de Sylvie Le Maire, chef de service à la Région Réunion, les études n’en demeuraient pas moins intéressantes. Elle est fière aujourd’hui d’avoir suivi les encouragements de sa famille et d’avoir mené son cursus supérieur à terme.

Bien qu’il soit difficile dans les premiers temps d’être coupée de la cellule familiale, après 10 ans en Métropole, cette Réunionnaise d’origine encourage au départ, "il faut partir, c’est très enrichissant".
De retour à La Réunion en 1995, alors que les entreprises locales confiaient leurs études de développement à des structures de Métropole, elle n’a pas trouvé de travail aussitôt, mais n’a pas pour autant abandonné, comme certaines femmes devenues mères de familles en font le choix.

Elle s’est réorientée et occupe aujourd’hui le poste de responsable de direction au Conseil régional dans le domaine des technologies de l’information et de la communication.

Faire ses preuves

Maya Césari, chercheuse spécialisée dans la biologie moléculaire, est elle aussi partie à 18 ans pour la Métropole, sans objectif très clairement défini, juste avec l’envie d’aller le plus loin possible dans ses études.

Séduite par le vivant, curieuse de mieux comprendre les mécanismes de la vie dans l’organisme, après 6 ans en Métropole, elle revient à La Réunion pour conduire son doctorat sur le diabète de type1.
"Bien qu’un peu inquiète de savoir si je pourrais m’épanouir ici, je souhaitais revenir et voir ce que je pouvais rapporter avec moi", précise Maya Césari.

Tenir bon

Maître de conférence à l’université, chargée de mission pour la mise en place du Cyclotron, élue régionale, cette brillante jeune femme estime que ses quelques découvertes n’ont rien de révolutionnaires, mais représentent une nouvelle pierre à l’édifice collectif de la recherche scientifique. Modestie féminine.
Elle se surprend, comme les autres intervenantes d’ailleurs, à se dire qu’elle a eu de la chance, comme si l’ambition et l’intelligence d’une femme ne lui suffisaient pas pour réussir.
"Cela nous pousse à réfléchir sur le regard que nous portons sur nous-mêmes. En tant que femme, on a du mal à se valoriser. On s’oblige deux fois plus que les hommes à faire nos preuves. C’est difficile, mais cela nous permet de nous dépasser".
Malgré les quelques réflexions caustiques que les femmes scientifiques et techniques peuvent entendre des hommes, il leur faut marquer les distances, tenir bon, gravir les échelons coûte que coûte pour s’affirmer et affirmer leur action.

Estéfany


An plis ke sa

Parfois, c’est l’homme qui suit
Si certaines femmes font le choix de mettre de côté leur carrière pour s’occuper de leur famille, il arrive que ce soit l’homme qui fasse cette concession. C’est le cas du sergent-chef Ludovic Bussière, époux du sergent-chef Cathy Bussière.
Après un baccalauréat scientifique, elle passe le concours de l’armée de l’Air, suit une formation militaire, puis intègre une école technique où elle se retrouve la seule femme sur une promotion de 30 hommes.
En poste durant 10 ans, à la tour de contrôle d’Orange, elle effectue plusieurs missions extérieures en Yougoslavie, qu’elle interrompt à la naissance de son premier enfant.
Placée sur les détachements, elle est en mission à La Réunion pour 2 ans. Son mari a décidé de repousser son avancement d’adjudant pour soutenir sa femme sans sa mission.
"C’était une opportunité, et même si le manque de contacts professionnels, de relationnel, commence à me peser, je suis fier d’avoir relevé ce défi. C’est une belle expérience", accepte-t-il de nous confier.
"Les mentalités ont changé, la jeune génération sera moins confrontée à la misogynie des plus âgés", confie le sergent-chef Cathy Bussière. Son mari qui a pouponné avec le petit dernier de 7 mois et s’est occupé de l’aînée de 5 ans, comprend désormais ce qu’une femme qui interrompt sa carrière pour s’occuper de ses enfants peut dans certains cas ressentir comme frustration. Il encourage, autant que faire se peut, à trouver des alternatives pour que même responsables de famille, les deux composantes du couple puissent s’épanouir dans leur travail.

L’académie manque d’élèves scientifiques
Sur 1.850 places disponibles en filières techniques et scientifiques, seulement 1.500 élèves les occupent, dont 15 à 18% en moyenne de jeunes filles.
Mieux informer, orienter, conseiller les jeunes dès la classe de troisième apparaît une nécessité pour leur faire connaître les opportunités de ces filières et les divers débouchés qui peuvent s’offrir à eux.
Le groupe de travail pour l’égalité des chances du pôle pédagogique du rectorat veille à une meilleure diffusion de l’information, afin de susciter de nouvelles vocations chez les jeunes filles qui ont tendance à délaisser ces filières, alors qu’elles se montrent dans l’ensemble beaucoup plus assidues aux études.
Jeunes filles ou jeunes garçons : si l’on manque de vocations scientifiques et techniques, à terme cela posera problème. Pour compléter les éditions d’orientation de l’ONISEP (Office national d’information sur les enseignements et les professions), le travail de partenariat avec le CRDP (Centre régional de documentation pédagogique), le groupe de travail souhaite développer un projet audiovisuel où les témoignages de Réunionnaises et Réunionnais du secteur pourraient inciter les jeunes à se tourner vers les sciences et techniques. Seul frein : le manque de financement.

Sept lauréates, sept vocations
Le recteur de l’académie, Christian Merlin, et la déléguée régionale aux Droits des femmes et à l’Égalité, Dominique Lebon, ont remis hier à sept lauréates de terminale scientifique le prix de la vocation scientifique et technique, sous la forme d’un encouragement financier de 800 euros. Murielle, Aurélie, Patricia, Marine, Véronique, Marjorie et Aurélie ont choisi de poursuivre leurs études dans ces domaines. Passion, innovation, ambition, soutien familial : leurs motivations sont variées.


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