Mobilité et insertion

Le gouvernement pratique l’amalgame pour se dédouaner

8 février 2008

« Le Comité de pilotage existe depuis 1994 » répond la Région en relevant « l’incohérence » de la décision de l’Etat, qui réduit de 11 à 3 millions ses crédits à la mobilité-formation.

Lettre de Paul Vergès, président de la Région Réunion, et de Nassimah Dindar, présidente du Conseil général de La Réunion, adressée au secrétaire d’État à l’Outre-mer, Christian Estrosi.

L’annonce d’une diminution drastique (plus de 70%) des crédits d’Etat voués aux dispositifs PIJ-Mobilité et Formation individualisée Mobilité (FIM) a jeté un trouble d’autant plus grand que, après recoupement des informations, il apparaît que le gouvernement préparait ce retrait depuis déjà quelque temps.

C’est du moins ce que laissent penser des rumeurs circulant depuis la fin janvier et l’annulation de dernière minute d’une réunion du Comité de pilotage de la Mobilité, prévue pour la fin de cette semaine... et annulée à la demande, semble-t-il, de la Préfecture.

Depuis la fin janvier, des informations non corroborées de notifications écrites faisaient état de cette diminution des fonds : elle a notamment été évoquée lors d’une réunion des divers partenaires de la mobilité, en Préfecture, la semaine dernière. L’ANT en aurait reçu notification la première, sans le faire savoir.

Inquiets, les deux présidents des collectivités territoriales, Nassimah Dindar et Paul Vergès décidaient, le 30 janvier dernier, dans le cadre du suivi partagé des politiques publiques de la mobilité à La Réunion d’ attirer l’attention du Secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, Christian Estrosi, « sur la gravité de la situation ». Pas de réponse de la rue Oudinot... jusqu’à la conférence de presse de ce 6 février, qui a suivi de quelques heures par la conférence de presse du Président de la Région.

Autoritarisme et amalgame cynique

La décision est jugée « incompréhensible » par tous les partenaires de la mobilité, au regard des politiques engagées ces dernières années.

Le choc causé dans l’opinion a contraint le Préfet à un communiqué rendu public hier matin, dans lequel le représentant de l’Etat essaie clairement, avec tout le respect qui lui est dû, de noyer de poisson.

De deux façons principalement :

1/ En mêlant - comme s’il s’agissait des crédits 2008 - les 6 millions déjà prévus pour des formations en cours et les 3.064.324 millions à engager en 2008 pour de nouvelles mesures. Le budget réel pour 2008 est de 3 millions, alors qu’il était de 11 millions l’an dernier.
2/ En tentant de jeter un trouble sur le fonctionnement, la « lisibilité » et « l’efficacité » du comité de pilotage, dans le but d’affirmer sa mainmise sur cet organisme pluripartenarial.
Et après avoir tenté de masquer la diminution des crédits et l’avoir liée à une redistribution des cartes dans le comité de pilotage, le communiqué du Préfet finit par cette phrase laconique : « Ce n’est qu’à ces conditions qu’une éventuelle enveloppe complémentaire pourrait être mobilisée. »

Difficile de faire plus cynique dans la justification d’une décision autoritaire que rien ne permet de comprendre.

« Deux problèmes strictement distincts »

La réponse de la Région au Préfet fait part des « interrogations » et de « l’étonnement » de la collectivité territoriale devant une ”explication” qui consiste à lier la diminution de la participation de l’Etat au budget de l’ANT « à la mise en place d’une instance de concertation entre l’Etat, la Région et le Département, visant à coordonner la mobilité ».

« Il s’agit de deux problèmes strictement distincts » argumente la Région, qui met surtout l’accent sur l’urgence de rétablir des crédits attendus par plusieurs milliers de jeunes, au titre du PIJ/mobilité ou au titre du FIM, pour cette année. Ils sont 180 sélectionnés depuis la fin 2007, qui attendent de partir au Québec cette année ; les élèves infirmiers sont environ 200 chaque année et tous les jeunes en formation professionnelle, concernés par des stages de plus de 3 mois - ils seraient 3000 selon Eric Magamootoo (voir plus bas) - ne pourront pas partir si les crédits sont ramenés de 11 millions à 3 millions. C’est 70% des stagiaires dont le départ est prévu en 2008 qui sont ainsi arrêtés dans leur formation. La Région précise que le problème « ne se pose pas pour les étudiants et stagiaires actuellement en parcours ».

Une 3e Charte de la mobilité

En ce qui concerne la mise en place d’une instance de coordination, la Région rappelle que le Comité de pilotage de la mobilité - où siège l’Etat, la Région et le Département - existe depuis 1994. Sous l’autorité de ce Comité de pilotage, ajoute la Région, a été mise en place une « mission de coordination » à laquelle est associé « l’ensemble des partenaires de la mobilité et de la formation : Université, AFPAR, Rectorat, CCIR, Chambre de métiers, CNARM, ANT, ANPE, etc. »

Ce comité a été reconduit en 2005, avec la signature d’une 3e “Charte de la mobilité” - après celle de janvier 94 et septembre 2000 - paraphée le 6 mai 2005 par les deux présidents des collectivités territoriales et le Secrétaire général de la Préfecture, Frank-Olivier Lachaud qui, dans sa lettre d’accompagnement de la Charte, souligne à l’attention de ses partenaires qu’elle [la Charte- Ndlr] « concrétise une volonté commune de mettre en œuvre une politique volontariste en matière de mobilité ». La Charte de la mobilité précise que son objectif est « le doublement du nombre de départs de candidats à une mobilité emploi ou à une mobilité formation à visée directe d’insertion professionnelle, afin d’atteindre 8000 départs annuels à la fin 2007 ». Cette 3e Charte a pris fin le 31 décembre dernier sans avoir été dénoncée par aucun des signataires dans le délai de préavis prévu (3 mois) - d’où l’on peut en déduire qu’elle a donné satisfaction aux différentes parties.

Des dispositifs qui ont fait leur preuve

La Région souligne de plus que le Comité de pilotage « enregistre depuis sa création des résultats positifs : le nombre des bénéficiaires, la qualité et la diversification des projets de mobilité et de formation sont autant d’éléments qui attestent de la bonne coordination de ces points par les partenaires ».

Il y a pour le moins « une incohérence » entre la volonté affichée par le Préfet de « mesurer l’efficacité des mesures en faveur de la mobilité » et la réduction des crédits de l’Etat à l’ANT dans des proportions aussi dramatiques.

« Cette baisse de crédits remet en cause des dispositifs qui ont fait leur preuve », poursuit la Région, dont le communiqué conclut : « Les milliers de jeunes Réunionnais et leur famille ne sauraient en aucun cas être victimes de cette tentative d’amalgame, voulant conditionner le financement des actions de l’ANT à la mise en place d’un outil dont les objectifs seraient déjà remplis par le comité de pilotage mobilité existant. »

Sauf erreur de notre part, l’intervention pour le moins intempestive du Préfet peut s’apparenter à une volonté de mainmise de l’Etat sur le dispositif existant - en totale contradiction avec la décentralisation en cours - mais même dans ce cas, on comprend mal l’intérêt qu’il y aurait à piloter un “machin” privé des deux tiers de ses moyens d’action.


P. David


CCIR : « Nous sommes anéantis par cette catastrophe »

Le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de La Réunion, Eric Magamootoo, a alerté le 6 février les ministres Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales et Estrosi, Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-Mer, sur « le drame que représente cette décision pour nos jeunes et pour le monde économique de La Réunion ».

« Toutes les actions de mobilité des stagiaires de la formation professionnelle sont stoppées depuis le début de l’année 2008 », écrit Eric Magamootoo en soulignant l’importance de ces dispositifs « pour le développement professionnel et individuel des jeunes Réunionnais en formation » (...) pour « la réduction du chômage dans notre île, (...) la professionnalisation de nos entreprises, (...) l’ouverture sur des créneaux porteurs pour des citoyens français éloignés de la métropole ».
La décision gouvernementale stoppe brutalement les cycles de formation de plus de 3000 jeunes concernés par ces dispositifs
« Nous sommes anéantis par cette annonce, car la diminution dans ces proportions des crédits de La Réunion est une véritable catastrophe pour le monde de la formation et de l’emploi. Elle nous apparaît absolument incompréhensible et inattendue dans la mesure où elle est en contradiction totale avec les engagements du président de la République sur la continuité territoriale, sur le développement de pôles d’excellence outre-mer et sur l’égalité des chances entre citoyens français.
Tout comme le président de Région, Eric Magamootoo entrevoit le drame que va représenter, pour des milliers de jeunes, une « fermeture des portes de l’hexagone français »
, mais aussi de l’Europe, du Québec ou de l’Australie.


« Une décision à contresens »

Le 30 janvier 2008, réagissant à « un risque de diminution de l’ordre de 70% du volume financier lié aux dispositifs PIJ/Mobilité et FIM », Nassimah Dindar et Paul Vergès écrivent à Christian Estrosi : « Nous souhaitons (...) attirer votre attention sur l’enjeu majeur que représentent les actions de formation professionnelle mises en œuvre par l’ANT. Avec l’accompagnement des demandeurs d’emplois et des étudiants en mobilité, elles sont un des piliers de la stratégie des politiques publiques en matière de mobilité pour faire face à la montée en charge de nos effectifs scolaires et à l’étroitesse du marché du travail » disaient-ils. Ils soulignaient par ailleurs « la contradiction avec les engagements pris par l’Etat dans le cadre du Programme Opérationnel FSE pour la période 2007-2013 qui a défini le développement de la mobilité comme un objectif prioritaire ». La décision de l’Etat, ajoutaient les deux élus, « s’inscrit à contresens de toutes les décisions prises en la matière ces dernières années ».


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