Quelle volonté politique pour l’enseignement du créole réunionnais ?

Lui donner sa place pour la maîtrise du français

30 août 2007, par Edith Poulbassia

Cette année, les enfants du primaire n’ont plus la possibilité de choisir d’apprendre le créole en option Langue vivante. Un coup dur pour l’enseignement de la langue régionale qui a peine déjà à s’imposer à l’école. Pourtant, la prise en compte du créole permet aux enfants de mieux apprendre le français. Le gouvernement a-t-il vraiment la volonté d’accorder une place au créole dans l’enseignement ? La question est posée.

Au moment de signer la nouvelle charte pour la prévention et la lutte contre l’illettrisme, mardi dernier au Rectorat, chaque partenaire a souligné l’importance du respect de la langue créole à l’école pour l’apprentissage du français. Paul Vergès, Président du Conseil régional, n’a pas manqué de souligner que l’apprentissage de la langue officielle de la République passe par la prise en compte, dès l’école maternelle, de la langue créole. « Le problème essentiel est celui de la petite enfance et de l’adolescence en milieu créolophone », affirmait-il. Le Préfet Pierre-Henry Maccioni et le Recteur Paul Canioni affirmaient par la même occasion leur soutien à la langue créole. Mais que sera-t-il fait concrètement ? Le recteur a reconnu la nécessité de « mieux cadrer l’enseignement du créole » en accordant à la langue une heure et demie par semaine, il a aussi évoqué la préparation d’une convention et la mise en place d’outils informatiques pour les enseignants en milieu créolophone... Mais qu’en pense le gouvernement ? Est-il prêt à accorder une véritable place au créole dans l’enseignement ? Quand on sait qu’apprendre sa langue créole à l’école permettrait à de nombreux enfants, notamment de milieu défavorisé, de dissiper les confusions avec le français et par là même de mieux maîtriser l’une et l’autre langue.

Tirer profit du bilinguisme

La volonté affichée mardi dernier contraste ainsi avec l’épisode récent de la suppression de l’option Langue régionale créole en primaire pour cette rentrée 2007, au profit des seules langues étrangères. Une suppression qui prive les enfants d’une possibilité d’apprendre leur langue et d’arriver à mieux la distinguer du français. Il est vrai qu’une seule classe d’une école de Saint-Paul avait choisi l’option Langue régionale à raison d’une heure et demie d’enseignement hebdomadaire, mais on peut se demander si les parents sont suffisamment informés de l’importance de cet enseignement pour la maîtrise du français. Conséquence directe de la suppression de l’option, les professeurs des écoles ne peuvent plus acquérir une compétence supplémentaire, une spécialisation pour l’enseignement de la langue et culture réunionnaises. Dans une lettre ouverte, les associations de défense du créole et syndicats d’enseignants avaient alerté le recteur du recul pédagogique qu’entraînait cette décision. Pour eux, on assistait à une « régression de la pédagogie à un stade où la peur de la langue et de la culture créoles provoquait le désarroi des maîtres et la crainte des parents ». Aujourd’hui, et les associations et syndicats le soulignent, il reste une possibilité de rétablir un enseignement du créole dans le premier degré, en dehors des expérimentations. « Les nouveaux programmes précisent que les élèves dont le français n’est pas la langue maternelle peuvent, lorsque cela est possible, bénéficier d’un soutien linguistique dans leur langue afin de tirer le meilleur profit de leur bilinguisme ». « Lorsque cela est possible », précisent les textes, ce qui ne peut dépendre que de la volonté politique et académique.

L’exemple de la Corse à suivre

Un département comme la Corse, avec ses 300.000 habitants, a su introduire l’enseignement de la langue régionale depuis la Maternelle jusqu’au lycée, pourquoi ne serait-il pas envisageable de faire de même à La Réunion ? Le créole n’est-il pas lui aussi une langue régionale à part entière, et une langue plus que jamais vivante ? La Corse est un exemple en la matière, avec l’existence de classes bilingues corse-français au collège et au lycée, la possibilité de choisir le corse en LV2 ou LV3, un enseignement dès la maternelle et 3 heures de corse hebdomadaire dans le primaire. Le Rectorat de l’Académie de Corse reconnaît que l’enseignement de la langue régionale facilite l’apprentissage d’autres langues et privilégie l’information des parents. Les Réunionnais sont-ils moins attachés à leur langue, ce qui justifierait le refus d’un enseignement du créole à l’école ? Le dernier sondage de Lofis la lang kréol la Rénion révèle qu’il n’en est rien. 90% des personnes interrogées ont déclaré lire le créole de temps en temps, 83% croient qu’il est important que cette langue soit parlée à l’avenir... Les Réunionnais aiment leur langue, mais ils sont tout aussi attachés à ce que leurs enfants maîtrisent le français. Il faut maintenant mieux les informer que l’école est faite pour apprendre le français, mais que cela n’exclut pas pour autant l’apprentissage du créole. Bien au contraire. On aura beau y investir tous les millions d’euros possibles, la prévention et la lutte contre l’illettrisme dépendent de cet effort. Et cet effort dépend de la volonté politique.

Edith Poulbassia

Langue créole à l’école

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