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Les Portois manquent rarement un passage du Marion Dufresne aux quais de l’ancien port. Cet imposant paquebot de plus de 120 mètres de long sur 2O mètres de large, d’un tirant d’eau de près de 7 mètres et capable de transporter 2.500 tonnes de fret, est l’un des rares traits d’union entre notre île et les terres du bout du monde, dont la plus rapprochée, Crozet, est à plus de 2.800 km au Sud de La Réunion. Le Marion Dufresne effectue plusieurs rotations annuelles vers le grand Sud et le soutien des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises), en la personne de François Garde, administrateur sur le départ, aux biologistes qui sont à l’origine de ce “projet algue”, a été décisif pour l’organisation de cette mission.
Après l’escale des Kerguelen, où va séjourner la mission réunionnaise à près de 3.500 km au Sud de nos côtes, le Marion Dufresne débarquera en Terre Adélie, pour des carottages, une autre équipe de scientifiques de l’institut Paul-Émile Victor.

Gisements vastes et précieux

Le retour de la mission réunionnaise est prévu pour le 23 février. Elle est dirigée par Jean-Claude Pieribattesti, professeur au département de biochimie et biologie moléculaire de l’Université de La Réunion, détaché à la Technopole. Trois autres personnes l’accompagnent, tous plongeurs : Franck Grangette, cameraman à ICV, Harold Cambert, ingénieur VAT à l’ARVAM (association pour la valorisation des algues marines) et Valérie Senant, pharmacienne à Sainte-Suzanne rompue à la plongée sous toutes les latitudes. À Port-aux-Français, point d’attache de la mission, sur les rives du golfe du Morbihan, les plongeurs n’iront pas au delà de 13 mètres de profondeur... dans une eau glaciale, de 2° à 3°C.
Il n’est pas nécessaire non plus d’aller très profond pour trouver la ressource qui a motivé ce déplacement aux Kerguelen, archipel aux côtes très découpées, d’une superficie souvent comparée à celle de la Corse (environ 7.215 kilomètres carrés). Ses gisements d’algues, vastes et précieux, sont comparables à ceux des Malouines ou de Tasmanie : plus de six-cents mille tonnes par kilomètre de rivage dans le golfe du Morbihan, où le gisement excède le million de tonnes.
Ces algues ont fait l’objet d’un large inventaire par le professeur René Delépine, de l’Université Pierre-Marie Curie (Paris VI) qui a répertorié près de cent trente espèces. Dans la dernière décennie, les travaux scientifiques se sont beaucoup intéressés aux propriétés médicinales des algues marines et c’est une rencontre avec le Dr. Francis Parc, médecin tropicaliste spécialisé en micro-biologie et en immunologie, qui a décidé de la tournure de cette mission. Depuis quelques années, le docteur Parc travaille à La Réunion sur la prévention des maladies inflammatoires et les molécules d’origine végétale susceptibles de les combattre (voir encadré).

Des perspectives

Les propriétés des algues en font une plante médicinale du plus haut intérêt - bien connue de la tradition médicale chinoise notamment - et la proximité relative des Kerguelen, vaste espace naturel épargné par les pollutions, a ouvert pour notre île la perspective d’une exploitation industrielle à forte valeur ajoutée et de débouchés économiques importants. C’est ce que cette mission va aller vérifier.
Après avoir préparé tout le matériel logistique utile aux collectes d’algues et à leur conditionnement - séchage au gros sel, au vent ou en étuve ; ou congélation - l’équipe va constituer un “herbier” de vingt à trente espèces d’algues : des Chlorophytes, des Phaeophytes et des Rhodophytes - de couleurs verte, jaune-brun ou rouge/rouge-brun. Les algues quantitativement les plus importantes sont les macrocystis - qui peuvent mesurer jusqu’à cent mètres de long - et les durvillea, toutes deux de couleur jaune-brun (groupe taxinomique des Phaeophytes).

Les échantillons rapportés - quelques centaines de grammes de chaque espèce - n’excéderont pas cent cinquante kilos en tout, mais les perspectives d’exploitation, lorsqu’elles auront été précisées, tablent sur des quantités beaucoup plus importantes.
Il y a une dizaine d’années, une étude de faisabilité d’exploitation par la SAPMER, avec l’appui du CPI, s’était intéressée à la transformation de la biomasse pour l’industrie. Bien que concluant, le projet a achoppé sur le coût du transport. Avec le soutien logistique des TAAF et de leur bateau scientifique - ce fut l’objet de la convention signée le 14 décembre dernier - un fret biologique de six-cents tonnes annuelles pourrait être assuré.

Créer des emplois

En support scientifique, cette mission est appuyée par l’IUT de Saint-Pierre et par l’ARVAM, l’Institut Paul-Émile Victor, le professeur René Delépine et le Museum national d’Histoire naturelle (Paris).
Les structures économiques impliquées à ce stade du projet sont le CPI (Comité de pilotage de l’industrie) et la CIVIS. Cinq à six industries françaises, européennes et asiatiques des secteurs de la cosmétologie, des compléments alimentaires et de la micronutrition, ont signalé leur intérêt pour le projet et suivront de très près les retombées de la mission.
Pour les TAAF, cette démarche est analogue dans son concept à celle de l’exploitation des ressources halieutiques : légine et langouste notamment.
Les résultats attendus sont d’une part d’ordre scientifique, pour l’intérêt médicinal de la ressource, dont les perspectives ouvrent de nouveaux champs jusque-là réservés à des structures métropolitaines. Ils sont aussi d’ordre économique, avec la possibilité de créer des ressources génératrices d’emplois à grande échelle.

Pascale David

Molécules d’algues :

Des propriétés anti-inflammatoires

À l’initiative de cette mission, le Dr. Francis Parc travaille à des publications internationales qui appréhendent de façon globale les propriétés anti-inflammatoires, en particulier d’origine végétale. Il s’est notamment intéressé aux algues pour leurs effets contre le diabète et le cholestérol. Après une carrière de médecin tropicaliste dans les instituts Pasteur d’Outre-mer, il travaille également sur des maladies infectieuses d’origines diverses.
"L’administrateur des TAAF s’est montré très soucieux d’ouvrir La Réunion, en particulier son milieu scientifique, sur les Kerguelen, alors que jusqu’à présent l’île est restée à l’écart des recherches menées principalement par des équipes extérieures", a déclaré hier à “Témoignages” le Dr Francis Parc.
Par ailleurs membre de l’APLAMEDOM (une association régionale ayant pour vocation la mise en valeur des plantes médicinales d’Outre-mer), le Dr Parc travaille à un projet d’exploitation des plantes médicinales, qui a fourni le thème d’une récente “université rurale” tenue dans le Sud de l’île. Ce projet devrait déboucher dans un peu moins de deux ans, à la Rivière Langevin, sur l’ouverture d’une industrie des plantes médicinales de La Réunion et de l’océan Indien, dont il est à la fois l’inspirateur et le coordonnateur.

P. D