Education populaire ou les enjeux d’une adaptation

« On a la société qu’on mérite et qu’on construira »

8 décembre 2006

Aujourd’hui, éduquer ce n’est plus seulement transmettre et encadrer mais c’est aider à la construction du jeune, à la formation de l’adulte tout au long de la vie. Face à la désinstitutionalisation de l’éducation, les associations d’éducation populaire jouent un rôle important, mais de nouveaux enjeux s’offrent à elles. Sont-elles à la hauteur ? Eléments de réponses avec Bernard Bier, chargé d’études et de formation à l’INJEP*.

Dans le cadre de la Semaine de la Citoyenneté, le Comité régional des Associations de Jeunesse et d’Education Populaire (CRAJEP) a eu l’heureuse initiative de convier dans notre île Bernard Bier afin d’animer 2 conférences sur les thèmes : “Les politiques éducatives au regard des politiques locales et du bénévolat” et “Participation et citoyenneté des jeunes”. Nous l’avons rencontré avant son départ.

Nouveau processus de construction de la jeunesse

Quand on parle aujourd’hui d’éducation populaire, on n’est plus en présence d’un seul face à face Etat/associations. Avec la décentralisation, les collectivités territoriales constituent le 3ème acteur. Pour resituer le contexte, Bernard Bier rappelle que compte tenu de la diminution des financements publics alloués au monde associatif, du risque inhérent d’instrumentalisation de cette force d’action et face aux grands enjeux éducatifs et politiques de la France, les associations doivent penser autrement.

« Aujourd’hui, on évalue plus souvent les dispositifs et pas assez leurs impacts éducatifs »
, déplore Bernard Bier qui appelle les associations à se concentrer sur la qualité et le sens de leur projet. Elles doivent pour cela prendre en compte la mutation de la société et des jeunes. Si, traditionnellement, l’Education est un instrument de transmission et d’encadrement, aujourd’hui, « toutes les institutions d’encadrement de la jeunesse se sont complexifiées ».

On assiste à une désinstitutionalisation de l’éducation, alors que les jeunes ne sont plus simplement confrontés à l’école et aux familles comme référents éducatifs. Bernard Bier explique en effet que « la socialisation passe de plus en plus entre pairs (les bandes ou groupes, sans connotation péjorative) et par les médias. L’Education ne doit plus être pensée seulement en termes de transmission, mais il faut réfléchir à ce nouveau processus de construction ». Autre enjeu pour le tissu associatif : comment, dès lors, procéder avec cohérence ?

« Restaurer l’image positive du jeune et de ses parents »

L’association ne doit pas non plus se laisser happer par le discours sécuritaire actuel. Bernard Bier constate que « la société est de plus en plus intolérante à l’égard de la jeunesse ». Le jeune est avant tout considéré comme un danger avant même que l’on pense à lui en termes de ressources. Pourtant, pour permettre la construction du jeune, c’est en premier lieu à ses ressources qu’il faut faire appel, qu’il faut reconnaître et valoriser. « Lui demander de participer dans ces conditions est un paradoxe. Comment appeler à la citoyenneté des gens s’ils n’ont pas le droit de cité ? Ce travail prévaut également chez les adultes et les institutions pour dire clairement que les jeunes ne pourront participer que s’ils ont vraiment l’impression d’être accueillis dans notre société ».
S’appuyer sur les ressources et compétences des jeunes, c’est déjà un peu le rôle de l’éducation populaire, « mais les associations auraient vraiment leur place en accompagnant leurs initiatives, en les aidant à développer leurs projets à l’intérieur de l’association, mais aussi au travers des pratiques et de la sociabilité juvéniles ».

Le travail éducatif doit aussi s’engager sur l’ensemble du corps social. « Si l’on veut que les jeunes et leurs parents s’appuient sur leurs ressources, ce n’est pas en les invalidant. Il faut ainsi restaurer l’image positive du jeune et de ses parents ». Une société qui évolue très vite, à l’heure de l’ouverture sur le monde, de la mobilité et des nouvelles technologies : l’association ne peut se soustraire à cette réalité pour élaborer son projet. « Elle doit penser à l’éducation et à la formation tout au long de la vie ».

Passer de la concurrence à la coopération

Face à tous ces nouveaux enjeux, Bernard Bier interroge : « Les associations sont une richesse, mais sont-elles toujours à la hauteur ? ». Est-ce que l’association doit attendre que la personne vienne vers elle ou doit-elle au contraire aller à sa rencontre ? Doit-elle fonctionner aux heures de bureau ou être où les gens l’attendent ? « On a besoin d’un lieu de reconnaissance, et c’est la grande faute de notre société ».

Un des grands enjeux pour Bernard Bier reste que, face à la multiplicité des acteurs et des temps éducatifs, les associations ne peuvent plus travailler dans la concurrence, mais dans la coopération comme incarnant le modèle même de l’éducation populaire à transmettre. « Je ne suis pas sûr qu’elles le fassent ». Elles seront de plus en plus obligées d’engager des partenariats, pas assujettis avec les collectivités, l’Etat et des jeunes. « Elles devront travailler de plus en plus dans ce sens pour montrer leur plus-value, sans quoi on peut se tourner vers le secteur marchand. Il faut que les parents, les familles voient cette plus-value. Pour cela, elles doivent valoriser leur projet. Ne pas offrir aux enfants une multiplicité d’activités consuméristes entre balades au Croc Parc et karaoké, mais avoir cette exigence de créativité et de découverte. Il faut aussi travailler sur un projet éducatif, populaire et politique. Il y a tout un travail de relégitimisation des associations pour devenir attractives. Elles doivent diversifier leur recherche de fond et être plus rigoureuses dans leur gestion, un peu comme une entreprise même si elles n’ont sont pas ». Et c’est à l’échelle du quartier, de la commune, voire du pays, que se construisent les projets éducatifs.

Stéphanie Longeras

*Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire, établissement public du Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, situé à Marly-Le-Roi (78), qui a une dimension éditoriale, d’études et de recherches.


La responsabilité des médias

« Il y a effectivement une vraie contradiction »

D’un côté, on veut agir pour que les jeunes deviennent des citoyens responsables et participants, mais de l’autre, les médias mettent à mal ce travail de construction positive. Bernard Bier admet qu’« il y a effectivement une vraie contradiction. D’un côté, l’on dit qu’il faut aider les jeunes à devenir des citoyens impliqués et participants, et de l’autre, sans parler de censure, les chaînes publiques diffusent un modèle de vie facile, d’appât du gain. Il faut faire un travail de responsabilisation des médias publics, les interpeller sur les images qu’ils donnent aux jeunes, leur redonner le sens de l’effort ».


Le discours sécuritaire est « inefficace », « invalidant »

« Chaque individu a en lui des potentialités pour s’en sortir »

Bernard Bier l’assure : « Tous les discours sécuritaires sont de faibles opérationnalités ». Selon lui, il faut travailler sur les questions de l’emploi, du logement et de la santé mais aussi sur l’éducation dans la durée. Le discours sécuritaire, c’est finalement la voix de la facilité. « Dire qu’un jeune a des ressources, ce n’est pas dire que tout va bien, mais c’est déjà lui permettre, et nous permettre, d’avancer ensemble. Chaque individu a en lui des potentialités pour s’en sortir. On les sortira de la galère et de la souffrance - car c’est bien de cela dont il s’agit, car la violence qu’ils s’infligent par l’autodestruction, ça ne dérange personne -, on ne les aidera à se construire que quand on s’appuiera sur leurs ressources. Le discours sécuritaire est quant à lui invalidant, les empêche de se construire et est en plus inefficace ».
Un jeune qui commet des délits a besoin que la sanction qui lui est infligée soit intelligible, il a besoin de comprendre le travail de la loi, qu’elle est là pour lui. Sinon on rentre dans une « spirale de l’invalidation des jeunes » gangrenée, selon Bernard Bier par ce discours de lenteur qui focalise sur la difficulté du travail éducatif, son aspect laborieux, mais « on peut inverser le processus ».


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