Diplôme Universitaire Victimologie Clinique

’On ne dit pas et ne fait pas n’importe quoi quand on accueille une victime’

22 juillet 2006

On peut s’énoncer victime pour manifester une certaine souffrance mais sans l’être vraiment et se tromper alors de démarche. On peut être aussi victime sans le savoir ou sans être reconnu comme tel. Dans le cas du déni, les conséquences traumatiques sont parfois très lourdes. Afin de sensibiliser les professionnels aux différents types de victimisations, le Diplôme Universitaire Victimologie Clinique proposé par le SUFP sera reconduit cette année. Des membres de l’encadrement pédagogique nous en disent plus sur le contenu et l’intérêt de cette formation.

Les personnes qui ont subi un événement psychologiquement traumatisant ont besoin d’un accueil, d’une écoute et d’un suivi adaptés. Les professionnels issus des secteurs de la santé, du social, de la sécurité, de la justice, de la police, de la psychologie auraient tout intérêt à suivre ce DU qui leur est en premier lieu adressé.

Manque de (re)connaissance

"On ne dit pas et ne fait pas n’importe quoi quand on accueille une victime, explique Christine Douzin, Psychologue référente de la Cellule Médico Psychologique départementale et régionale. Il faut une capacité d’écoute, d’attention et d’humanité, préludes aux soins". Il faut pouvoir la diriger vers les bons partenaires, prenant en compte d’éventuels dommages ultérieurs. Une victime qui n’est pas reconnue "est renvoyée à elle-même, souffre de survictimisation. L’on risque de faire apparaître des troubles qui ne seront pas reconnus non plus, ce qui peut conduire la personne à des tentatives de suicides, une alcoolisation excessive, etc...".
Christine Douzin qui a participé, il y a 6 ans, à la mise en place du premier Diplôme Universitaire Victimologie en liaison avec la Faculté de Montpellier - qui n’a pu être pérennisé en raison d’une organisation trop complexe -, connaît tout le bien fondé de cette démarche, autant pour les victimes que pour les professionnels. "Une personne qui souffre d’un traumatisme psychologique, si elle n’est pas prise en charge, va développer une névrose post-traumatique avec cauchemars, dépression, repli sur soi". La Psychologue explique que la prise en charge et les connaissances relatives "aux psycho-trauma sont assez superficielles, aussi bien dans le milieu psychiatrique que le milieu médical. On ressent un manque de partenaires, de gens attentifs à la prise en charge de ce type de victimes (...). Au CHD, les victimes sont encore reçues de façon honteuse. On possède des services de chirurgie de pointe, travaille sur les soins somatiques, mais on ne sait pas aborder les troubles post-traumatiques alors que l’on reçoit des accidentés de la route tous les jours".

Développer un réseau

Bien que, comme le souligne Jean-Loup Roche, Psycho-clinicien, Vice-président de l’ARIV (Antenne Régionale de l’Institut de Victimologie), "dans notre pays démocratique, le droit des victimes s’est énormément développé grâce aux associations", certaines d’entre elles ont plus de mal à être reconnues. C’est le cas des victimes de harcèlement moral, le cas des proches ou encore des soignants qui interviennent sur des catastrophes naturelles. Il existe aussi ces formes modernes de victimologie comme la cyber violence, la cyber criminalité répandues dans la zone et qui alimentent les réseaux pédophiles ou favorisent les emprises sectaires. "Ce DU couvre un panel assez large de victimisations, avec un gros module sur la psycho-trauma", précise Geneviève Payet, Psycho-clinicienne au sein de l’unité victimologie du CHD et Présidente de l’ARIVE. Maltraitance, agressions, viols, inceste, catastrophes naturelles, accidents de la route, harcèlement moral... cette diversité concourre à éviter la banalisation des cas pour élargir l’écoute professionnelle. La formation insiste aussi sur les problématiques locales comme les violences conjugales et sexuelles, ou encore les spécificités victimologiques liées aux familles migrantes. "On se base aussi sur les ressources locales dans l’idée de développer un réseau, explique Geneviève Payet soulignant qu’"on se donne les moyens de comprendre ce qui se passe autour de nous".

La justice est la bienvenue

Alors que les cursus de médecine et de psychologie mettent tout juste en place des actions de sensibilisation à la victimologie, on peut dire que depuis trois ans qu’il existe, le DU mis en place à La Réunion marque une certaine avance sur le sujet. En partie théorique, ce n’est pas une formation de thérapie, mais bien une sensibilisation des professionnels aux différents types de victimisations. L’occasion également pour eux de partager leurs vécus, leurs expériences avec des tables rondes et des interventions de professionnels de la DRASS, des associations, et d’avoir une représentation plus consistance de la victimologie, une sensibilisation de Victimologues. L’aspect juridique y a également toute sa place, car l’aspect légal consiste aussi en une part importante du soin. L’équipe pédagogique espère retrouver cette année parmi ses inscrits beaucoup plus de juristes, d’avocats, d’hommes de loi pour consister un partenariat de réflexion et d’échanges plus complet. Comme le soulignait encore Christine Douzin, "on a encore énormément de travail de mise en lien avec les différents services, car il est important que chacun puisse entendre et respecter le discours des différents professionnels". Si nos juges, avocats ou autres représentants de la justice confrontés aux victimes souhaitent retrouver les bancs de l’Université, ils seront les bienvenus.

Stéphanie Longeras


Pour en savoir plus sur le DU

Pour accéder à la formation, il faut être soit diplômé de la médecine, de la santé, de la psychologie, soit avoir un niveau Bac+2 avec 3 ans d’expérience professionnelle pour les secteurs de la justice, du social, de la police, ou enfin présenter une validation de l’expérience professionnelle et des acquis de formation pour les autres cas. Bien que la priorité soit donnée aux professionnels les plus exposés, Michel Latchoumanin, Doyen de la Faculté des lettres et des sciences humaines et responsable pédagogique du DU, souligne que "tous ceux qui y trouveront un intérêt, associations, institutions, peuvent retirer un dossier d’inscription". La formation se compose de 150 heures réparties en 5 modules dont 2 se dérouleront sous forme de séminaire d’enseignement bloqué sur une semaine et animé par des intervenants extérieurs. Les autres modules s’étaleront sur l’année au rythme de 2 journées (vendredi et samedi) toutes les 3 semaines. La formation est délivrée dans le Nord et dans le Sud sur 2 sites de 25 personnes. Son coût est de 1.265 euros en individuel et de 1.770 euros avec une convention employeur. Les dossiers sont acceptés jusqu’au 31 août.
Pour plus de renseignements, adressez-vous à l’Unité de Victimologie du CHD au 0262.90.57.20 ou au Centre Médico Psychologique Labourdonnais au 0262.90.57.20

SL


Témoignages

o Myriame Laborde, Psycho-clinicienne, élève de la promotion 2005-2006

"J’ai appris à ne rien banaliser"

"Qu’est-ce que c’est qu’une victime ? Quel type de dégât a engendré son préjudice et quelle réparation est possible ? À qui adresser cette personne ? Quel type d’accueil ?..."
La jeune femme présente à la conférence témoigne de toutes les questions que ce DU a suscitées en elle et auxquelles sa formation ne l’a pas forcément préparée. "Grâce à ce DU, j’ai appris à ne rien banaliser, à définir clairement une victime. Car si l’on comprend plus facilement qu’une femme violée soit victime, on accordera moins d’intérêt à un accidenté de la route qui a vu sa femme par exemple succomber sous le poids d’un galet, alors que lui s’en est sorti... Je trouve cela scandaleux. De plus, confrontée souvent aux abus sexuels, j’avais tendance à mettre du trauma à gogo. Depuis le DU, j’ai compris que le traumatisme était un terme clinique. Pour être plus concrète, je prendrai l’exemple de cet enfant battu par sa mère. Je suis parvenu à lui dire que ce qu’il a vécu était grave et que cela devait être très difficile. Puis,
alors que l’équipe voulait organiser une médiation avec sa mère, j’ai pu réagir à temps pour anticiper sur des dommages ultérieurs éventuels, ce que peut-être je n’aurai pas su faire avant". "Cette formation m’a appris à ne pas banaliser les choses, mais à avoir une représentation plus consistante de la victimologie".

o Bruno Droneau, Éducateur spécialisé auprès des jeunes en difficulté

"Permettre que la parole puisse exister"

Sa formation de 3 ans pour devenir Éducateur spécialisé lui a offert des clés un peu sur tous les sujets, mais sur rien précisément. À lui par la suite, face aux situations et aux cas rencontrés, de faire des propositions avec ses outils. C’est pourquoi ce DU qu’il a financé lui-même est un moteur dans l’exercice de sa profession. "Le DU m’a offert un autre éclairage sur ma pratique où je travaille avec des jeunes que l’on étiquette de façon réductrice de délinquants. Cela m’a permis de travailler différemment, de mieux entendre et écouter cette parole confiée pour pouvoir en faire autre chose, pour faire de cette parole une action... Grâce à une meilleure écoute, on n’est pas de suite dans le jugement de la personne et des parents agresseurs. On peut ouvrir ainsi les portes au dialogue, et quand les parents se reconnaissent déjà en tant que victimes, ils reconnaissent plus facilement qu’ils ont pu être maltraitants (...). Une victime ne s’exprime pas toujours par des pleurs. Les jeunes difficiles, sans tomber dans le misérabilisme, ne sont pas considérés comme des victimes, car à travers leurs provocations, ils s’excluent eux-mêmes et sont doublement victimes. Ils n’ont pas d’autres moyens de dire qu’ils ne vont pas bien et malgré cela, ils ne sont pas entendus. On préfère les exclure, car leurs comportements dérangent et c’est plus facile. On banalise ces comportements, alors qu’il faudrait seulement permettre que la parole puisse exister, et selon ce que va en faire l’environnement, qu’elle puisse se transformer en action".

SL


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Témoignages - 80e année


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