Une étude souligne l’inégalité des lycéens face à l’orientation

Parcoursup : programme pour renforcer les inégalités sociales

13 septembre 2018

Dans une interview publiée dans « le Journal du CNRS » le 27 août dernier, Agnès Van Zanten, sociologue et spécialiste des politiques éducatives revient tout d’abord sur la reproduction des inégalités par le système scolaire, et présente le résultat d’une étude sur les plate-forme numériques d’orientation. Il s’avère qu’un outil comme Parcoursup a pour effet de renforcer encore les inégalités. Voici des extraits de cette interview.

« En privilégiant un enseignement plus soucieux de fabriquer une élite que de faire acquérir à tous les élèves un socle commun de connaissances, notre système éducatif répond mal à la massification de l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur. Chaque année, environ 20 % des jeunes quittent l’école sans diplôme ni qualification, 23 % des élèves des filières professionnelles échouent au CAP, 26 % au BEP, et autant d’étudiants ou presque abandonnent leurs études supérieures. Ce taux d’échec élevé charrie beaucoup de frustration, de fatalisme et de doutes sur leur valeur personnelle chez celles et ceux qui sont ainsi mis de côté et se sentent condamnés à rester dans les strates inférieures de la société.
Depuis les travaux du sociologue Pierre Bourdieu dans les années 1970, on sait en effet que la réussite scolaire est étroitement corrélée au capital économique et culturel familial. Les chiffres sont implacables : les enfants de cadres sont deux fois plus souvent diplômés du supérieur que les enfants d’ouvriers, même si le système a tendance à nier l’impact du milieu socio-économique sur les performances. Selon les enquêtes Pisa (Programme international pour le suivi des acquis), la France est un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE, un de ceux où le déterminisme social est le plus fort, où l’école, malgré des alternances politiques et des réformes successives, demeure « indifférente aux différences », comme le disait Pierre Bourdieu.

Inégalité de temps

L’enquête que nous avons réalisée dans quatre lycées franciliens le montre clairement. Dans les deux établissements les plus favorisés où il n’y a ni problème de discipline ni problème de décrochage, tous les personnels (direction, professeurs, conseillers d’éducation…) sont concentrés sur l’orientation et aident les lycéens à se projeter dans l’univers des études supérieures. On y parle de choix des filières post-baccalauréat très en amont, dès la classe de seconde.
Les élèves reçoivent des informations et des conseils personnalisés et sont fortement incités à s’orienter vers les classes préparatoires aux grandes écoles par lesquelles de nombreux professeurs sont passés et qu’ils perçoivent comme la « voie royale » vers l’élite. La situation est tout autre dans les lycées moins favorisés. Les équipes éducatives mobilisées sur la lutte contre le décrochage et plus encore sur la réussite au bac s’investissent peu dans l’orientation. On ne commence à en parler que lorsque la plate-forme d’accès à l’enseignement supérieur (« Admission post-bac » au moment de l’enquête, « Parcoursup » aujourd’hui) entre en service, c’est-à-dire en janvier de l’année du bac. Les élèves n’ont donc que quelques mois pour faire leur choix.
Par ailleurs, le peu de temps qu’ils consacrent à préparer leur orientation est le plus souvent un temps collectif. Les entretiens en face-à-face sont rares. Et on leur vante surtout les mérites des filières non sélectives de l’université et des sections de technicien supérieur qui préparent au BTS.

Inégalité sur la stratégie

Les plates-formes techniques d’admission dans l’enseignement supérieur qui se sont succédé ces dernières années fournissent les mêmes renseignements aux lycéens et les astreignent aux mêmes procédures. Mais tous les jeunes ne sont pas égaux devant ce type d’outil qui exige des compétences et un accompagnement, qui suppose d’élaborer des listes de choix de façon stratégique, qui réclame de la patience en cas de non-réponse rapide. Dans les établissements favorisés, des réunions sont organisées à l’intention des élèves et de leurs parents, des dépliants sont distribués, des informations sont mises en ligne sur le site du lycée. Jusqu’au remplacement d’APB par Parcoursup, on enseignait aux élèves des familles de statut élevé les ficelles pour optimiser leurs chances d’obtenir la formation recherchée (en établissant entre autres une hiérarchie des vœux en fonction de leur niveau scolaire et du degré de sélectivité de ces formations). Dans les lycées moyens, les élèves sont beaucoup moins aidés. Les conseils qu’on leur prodigue portent essentiellement sur l’utilisation formelle – et non stratégique – du système. On leur parle davantage de calendrier que de contenus, en leur recommandant notamment de ne pas oublier de saisir leurs vœux avant la clôture du dispositif. »

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