Rentrée 2008 : L’école publique dans la tourmente

16 août 2008

Depuis son installation à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a pris - souvent unilatéralement - des décisions dictées, selon l’ex numéro 2 du MEDEF Denis Kessler, par la volonté de « sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Programme qui, rappelons-le, a reçu l’approbation de l’ensemble de la classe politique française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui a amélioré sensiblement les conditions de vie de l’immense majorité des Français.

Parmi toutes les décisions prises par l’actuel locataire de l’Elysée, celles concernant l’Ecole suscitent de légitimes interrogations au sein de la plupart des familles. Mon propos est d’y répondre, guidé par le seul souci de rappeler aux Réunionnais le résultat de recherches effectuées au cours des dernières décennies. Mais au préalable, il me paraît nécessaire de revenir sur une déclaration stupéfiante faite à Rome le 20 décembre 2007, par Nicolas Sarkozy en présence du Pape Benoît XVI qui venait de le promouvoir "Chanoine". « L’instituteur », soutient le président de la République française, « ne pourra jamais remplacer le facteur ou le curé, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

La fatigue scolaire en France


Prétextant que « les jeunes Français sont des élèves fatigués parce qu’ils ont des programmes démentiels », Nicolas Sarkozy avait décidé quatre mois avant sa visite au Pape, de réduire de deux heures la durée hebdomadaire des cours pour la majorité des élèves du préscolaire et du primaire afin que l’Ecole de la République puisse selon lui mieux remplir sa mission. Ce but ne pourrait être atteint, d’après les calculs présidentiels, qu’en supprimant le travail le samedi pour la totalité des élèves et en consacrant les deux heures ainsi libérées à des cours de soutien dispensés "après la classe" aux 15 à 20% des élèves en situation d’échec scolaire.

Que faut-il penser d’un tel diagnostic et d’un tel remède ?

La lourdeur des programmes serait-elle la seule cause de la fatigue des élèves ? Assurément pas, lorsque l’on sait que s’agissant des contenus d’enseignement toujours en évolution, une marge d’initiative au demeurant est généralement laissée à l’enseignant dont le rôle dans le 1er degré n’est pas de faire accéder l’enfant à des connaissances encyclopédiques, mais d’éveiller sa curiosité afin qu’il éprouve une envie permanente d’apprendre et de s’approprier les savoirs.

Si les jeunes français rentraient chez eux si fatigués, comment expliquer que ceux qui sont issus des milieux favorisés aient encore suffisamment d’énergie pour se livrer, après la classe, aux activités aussi bien physiques que culturelles ou artistiques que leur proposent leurs parents ?

Les véritables causes de la fatigue à l’école et par voie de conséquence de l’échec scolaire sont à chercher ailleurs.
Nul ne conteste que la non satisfaction d’un certain nombre de besoins - tels une nourriture équilibrée, un logement offrant un minimum de confort, un environnement susceptible de développer le goût de l’effort - est responsable de la chute de motivation observée chez les élèves issus majoritairement des milieux socialement défavorisés. Ce qui a pour effet de conduire ces derniers sur la voie de la déprime, de la marginalisation voire même de la toxicomanie et de la délinquance.
Une autre cause de fatigue et d’échec est imputable à l’institution scolaire elle-même.
Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le "Rapport Pochard", du nom du conseiller d’Etat Marcel Pochard, chargé par le ministre de l’Education nationale de présider une commission ayant pour mission de se livrer à un examen minutieux de "la question enseignante".

Le rapport Pochard et les statistiques de l’OCDE

Ce rapport rendu public le 4 février dernier souligne « l’engagement et le dévouement des enseignants » et déplore que « les conditions d’enseignement dans le premier degré en France soient parmi les moins favorisées en Europe ».

Ce rapport nous apprend que « le nombre moyen d’élèves par enseignant (en France) est nettement supérieur à la moyenne de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) » :

 Pour le pré-primaire 19,3 (il s’agit de chiffres concernant l’année 2005) contre 15,3, moyenne OCDE et 14, moyenne de l’Union européenne à 19.
 Pour le primaire 19,4 en France contre 16,7, moyenne OCDE et 14,9, moyenne de l’Union européenne à 19.
 Pour le 1er cycle du secondaire : France 14,2 contre 13,7 moyenne OCDE et 11,9 moyenne de l’Union européenne à 19.
Or, des études ont mis en évidence « l’impact positif important des tailles de classes réduites sur la réussite scolaire ».
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que le rapport de l’OCDE de 2007 ait mis l’accent sur la "piètre performance" du système éducatif français. Les taux de réussite supérieurs à 80% au baccalauréat - mais ne concernant que 64% d’une classe d’âge en France métropolitaine et 52% à La Réunion - ne doivent tromper personne quand on sait que pour l’OCDE « la France est parmi les pays industriels l’un de ceux où le taux d’échec des étudiants (dans le supérieur) est le plus élevé en début de parcours ».

C’est un tel constat qui conduit le directeur adjoint de l’OCDE Bernard Hugonnier à déclarer : « Aujourd’hui le système éducatif français produit trop de chômeurs... il est impératif que l’ensemble des acteurs en prenne conscience ».

Les remèdes proposés

Afin que notre école soir l’école de la réussite pour tous, le rapport Pochard préconise une augmentation sensible du temps consacré au "travail d’équipe". Mais comment prendre au sérieux une telle recommandation lorsque l’on constate que ce rapport n’intègre pas dans les équipes éducatives les enseignants des réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED), les CPE, les conseillers d’orientation psychologues (COPSY), les surveillants ; les missions de ces personnels qui sont actuellement en nombre très insuffisant - le tiers des postes spécialisés est actuellement occupé par des non spécialisés - pouvant apparemment, d’après la commission Pochard, être confiées à des enseignants non spécialisés. Le fait est que, faute de moyens financiers, la formation spécialisée court aujourd’hui le risque de disparaître.

L’institution scolaire est si malade en France que Nicolas Sarkozy a estimé devoir se précipiter à son chevet dès son entrée à l’Elysée afin de lui administrer des remèdes, mais ces remèdes paraissent pour le moins surprenants.
Outre la suppression de la carte scolaire porteuse du germe de la ghettoïsation, le président annonçait début septembre 2007 son intention de supprimer massivement des postes dans l’Education nationale (11.200 suppressions en 2008 et 13.500 en 2009 ; les prévisions de suppressions se chiffrant à 80.000 jusqu’en 2012) et sa décision de supprimer les cours du samedi ; la durée des cours dans le premier degré étant diminuée de deux heures pour la majorité des élèves.
Peu après la rentrée scolaire 2007, c’est au tour de l’enseignement professionnel d’être visé par une mesure réduisant d’une année la durée de préparation du bac pro (3 ans au lieu de 4), entraînant ipso-facto la mort du diplôme national du BEP, mais permettant au gouvernement de faire l’économie de près de 10.000 postes à l’horizon 2011. Il ne fait aucun doute que ces mesures - dont la liste n’est pas exhaustive - ont été prises dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (R.g.p.p.) voulue par Nicolas Sarkozy. Révision qui s’apparente à une vaste entreprise de destruction des services publics et qui aboutira inéluctablement à une aggravation des inégalités entre Français.

La semaine de 4 jours

La décision du président de la République de modifier l’organisation de la semaine scolaire et d’amputer sa durée de deux heures me conduit à faire observer que tous les travaux entrepris, notamment par des chercheurs de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et des pédiatres au cours des dernières décennies aboutissent à la même conclusion : les études, quelles qu’elles soient et quel que soit l’âge de l’écolier ou de l’étudiant, impliquent un travail quotidien limité et régulier et sont incompatibles avec une semaine de cinq jours et a fortiori de quatre jours.
En conséquence, l’étalement du travail scolaire sur tous les jours ouvrables de la semaine est d’une absolue nécessité. Cela, afin que les rythmes scolaires tiennent tout simplement compte des rythmes biologiques de l’enfant.
Cet étalement présente l’avantage de réduire la nocivité du déphasage des rythmes biologiques provoqué par chaque journée de congé. Il rend également possible l’allègement des journées scolaires, permettant ainsi une exploitation plus rationnelle du potentiel de l’intellectuel de l’enfant. C’est le constat qui est fait dans les nombreux pays qui ont opté pour une telle organisation de la semaine scolaire.
On a de bonnes raisons de penser que c’est notamment la concentration du travail scolaire sur le plus petit nombre de jours possible qui a conduit le biologiste Paul Janiaud, chargé de recherches à l’INSERM, à déclarer : « C’est un crime contre l’intelligence que de ne pas utiliser les résultats des chercheurs et des enseignants dans l’organisation du temps scolaire ».
Il me faut souligner que la tendance -assez largement partagée par l’opinion- à concentrer les périodes de travail pour disposer de loisirs aussi longs et aussi groupés que possible est une préoccupation d’adultes. Mais ces week-ends « complets » sont indiscutablement la cause des médiocres performances notées chez les élèves chaque lundi.

Sans risque d’erreur, on peut donc affirmer que :
 Ce n’est pas pour des raisons pédagogiques que Nicolas Sarkozy a décidé de supprimer les cours du samedi.
 La mesure imposée par le président de la République est dictée essentiellement par le souci de diminuer le déficit du budget de l’Etat ; un déficit creusé par une politique fiscale privilégiant une minorité de Français.
 En diminuant les moyens mis à la disposition de l’Education nationale, le chef de l’Etat cause un sérieux préjudice à l’immense majorité de la population scolaire. La suppression envisagée de quelque 80.000 postes d’enseignants au cours des 4 prochaines années est d’autant plus condamnable que dans le premier degré 91.000 élèves de plus qu’en 2005 doivent être accueillis à l’horizon 2015. Dans le second degré ce ne sont pas moins de 256.900 élèves de plus qui sont attendus entre les rentrées 2009 et 2015.
Quant aux deux heures « consacrées après la classe » aux élèves en difficulté d’apprentissage, elles risquent fort de ne pas produire les effets escomptés.
Tous les pédagogues savent en effet que les élèves en situation de rupture scolaire n’ont pas besoin simplement d’un soutien de leur professeur, mais de l’aide d’enseignants spécialisés intervenant obligatoirement pendant le temps scolaire. Car le simple fait de placer cette aide « après la classe pour tous » ne peut que faire naître chez celui à qui elle est proposée un sentiment d’exclusion.

En outre, si cette aide vient s’ajouter - comme le préconise le ministère de l’Education - à cinq ou six heures de classe génératrices de fatigue pour les élèves en situation d’échec, on voit mal le bénéfice que ces derniers pourraient en retirer.
Ajoutons que la fragmentation des deux heures dites de soutien en séquences d’une demi-heure serait assurément un obstacle supplémentaire à de véritables actions de rattrapage et par voie de conséquence à la démocratisation de l’accès au savoir.
En conclusion du présent exposé, je veux ajouter que mon militantisme au sein d’association qui gravitent autour de l’école m’a conduit depuis 1950 à apporter ma contribution afin que l’Ecole de la République puisse jouer pleinement son rôle. Il m’a été donné au cours du dernier demi siècle de me faire régulièrement l’avocat d’une organisation plus rationnelle du temps scolaire à La Réunion.
Aujourd’hui, je constate que les rythmes scolaires dans notre île demeurent inadaptées et qu’ils restent l’une des principales causes du taux alarmant d’illettrisme au sein de la population réunionnaise. En réduisant scandaleusement les moyens mis à la disposition de l’Ecole publique, l’actuel gouvernement aggrave une situation déjà préoccupante. Nous avons donc le devoir de nous mobiliser pour construire ensemble l’école de demain ; une école qui permettra à tous les jeunes d’acquérir un haut niveau de formation et de qualification sans lequel l’insertion sociale restera une chimère.

E. Rousse

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