Commémoration du souvenir de Guy Môquet au lycée Ambroise Vollard de St Pierre

Retour au cœur de la résistance

30 octobre 2007, par Sophie Périabe

Philippe Merleau, professeur d’histoire au lycée Ambroise Vollard a voulu donner un autre sens à cette journée de commémoration. Il souhaitait proposer aux élèves « une réelle leçon d’histoire, et non une creuse lecture de la lettre de Guy Môquet ». C’est en ce sens, que Roland Leroy, résistant à l’époque, a été invité afin de remettre cette lettre dans son contexte, de donner un aspect pédagogique à cette commémoration.
Environ 150 élèves sont venus l’écouter se souvenir de son enfance, de son adolescence au cœur de la résistance.

La lecture de la lettre de Guy Môquet a suscité des polémiques au sein du corps enseignant particulièrement. Philippe Merleau ne voulait pas d’une simple lecture sans suite. Il a donc décidé d’inviter Roland Leroy, résistant communiste et non moins historique qui a participé, comme beaucoup de jeunes communistes à l’époque, à la libération de la France.
Âgé de 17 ans à l’époque, il est entré très jeune dans la résistance, a adhéré à la Jeunesse Communiste Clandestine, a été responsable interrégional et a participé à la libération de Rouen.
« Monsieur Leroy est donc à mon avis le mieux placé pour expliquer à de jeunes adolescents de 17 ans le sens de l’engagement et de la résistance », a indiqué Philippe Merleau.
Selon ce dernier, il s’agit d’une réelle opportunité pour ces élèves de pouvoir rencontrer, de visu, un résistant, car il n’en reste malheureusement plus beaucoup et notamment sur l’île.
« Il était important de remettre cette lettre dans son contexte » et la rencontre avec Roland Leroy entrait dans un cadre tout à fait pédagogique.
« Pour préparer cette rencontre, nous avons consacré 3 heures de cours à travailler sur le thème de la résistance, pour que les élèves puissent mieux comprendre ce qu’ils allaient entendre et aussi avoir un esprit critique par rapport au discours de Monsieur Leroy ».

« Donnez un sens à votre vie »

Invité par plusieurs établissements scolaires, c’est au lycée Ambroise Vollard que Roland Leroy, âgé aujourd’hui de 81 ans, a choisi de s’arrêter un instant pour parler du sens de la résistance et du combat des jeunes résistants et particulièrement de Guy Môquet. Ce travail de transmission de la mémoire et du souvenir est pour lui important.
Après la lecture de la lettre de Guy Môquet par Morgane, élève de terminale au lycée Ambroise Vollard, Roland Leroy raconte donc ce qui s’était passé ce jour-là, ce fameux 22 octobre 1941. (Cf Encadré : article de Roland Leroy)
Mais il souligne au passage que les 27 fusillés de Châteaubriant ont tous laissé des lettres, « de même résonance » à leurs proches. Il lut aux élèves une lettre du seul viet namien fusillé ce jour-là. « Il y a la lettre de Guy Môquet mais pas seulement la sienne, les 27 résistants étaient tous fiers de mourir pour leur pays et faisaient preuve de courage et dignité ».
Guy Môquet était donc un jeune militant communiste actif, résistant aux troupes hitlériennes et distribuait donc des tracts contre les politiques d’Hitler et de Vichy. Il fut arrêté et traduit devant un tribunal français et faute de preuve, il fut acquitté. Sa mère avait pris soin de jeter tous les tracts. Mais à sa sortie du tribunal, il fut livré à la police allemande et a été conduit à Châteaubriant.
Alors, bien entendu, après son allocution, les élèves ont pu poser leurs questions, « très intéressantes, pertinentes et sensibles », selon Roland Leroy.
La condition des femmes a été évoquée, « les impacts de la résistance sur une vie d’homme et sur la sienne en particulier ? Comment s’est passée la libération ? etc. »
Roland Leroy s’est efforcé d’être le plus précis possible et a retenu plusieurs enseignants de son expérience et qu’il a transmis aux jeunes. « Il faut apprendre à ne jamais renoncer lorsque l’on est certain et convaincu. Le patriotisme et l’internationalisme peuvent se conjuguer ; en effet, on peut aimer son pays et respecter les autres peuples ». Il a également souligné l’importance de la jeunesse dans les combats ; lors de la seconde guerre mondiale, le rôle et l’engagement des jeunes ont été décisifs. Et surtout, « ouvrir les yeux sur la réalité, donner un sens à votre vie, c’est une grande leçon à retenir ».
« L’avenir est fait de notre engagement d’aujourd’hui », a conclu Roland Leroy. Car, sans nul doute, le combat continue, la résistance continue et ce, au-delà des appartenances politiques. « Aujourd’hui, la résistance prend une autre forme, mais elle n’est pas terminée ; cet esprit de résistance est, à mon avis, apolitique », a souligné Philippe Merleau.

Sophie Périabe


Réactions des élèves

• Léa
« Je trouve que c’est une très bonne initiative car il est vrai que lire simplement la lettre est un peu inutile si on ne comprend pas tout le sens de la résistance. Et qui est mieux placé qu’un ancien résistant pour nous le comprendre. Je remercie Monsieur Leroy pour nous avoir fait partager ses souvenirs ».

• Frédéric
« Le fait de savoir ce qui s’est passé nous permet de nous remettre en cause, nous, jeunes de 17 ans. Est-ce qu’on aurait été capable de résister ? Moi, je ne sais pas. C’est important de rendre hommage à tous ceux qui ont eu le courage et la force de résister, au prix de leur vie ».

• Mélissa
« Roland Leroy est un personnage historique et emblématique de la jeunesse résistante française et il est important, je pense, de se souvenir du passé, parfois noir. Lire la lettre de Guy Môquet, c’est bien mais il est nécessaire également de comprendre le sens de l’engagement et de la résistance ».

• Jérôme

« Je pense qu’il est important de commémorer, de se souvenir, mais est-ce nécessaire de lire cette lettre en classe tous les ans. Je trouve qu’on parle déjà assez suffisamment en classe de la résistance et de la lutte contre le régime de Vichy et Hitler, etc. alors pourquoi en faire une journée si particulière en classe ? »

• Vincent
« C’était intéressant et je suis content que Monsieur Leroy soit intervenu, cela a donné une note plus vivante à cette lecture de la lettre de Guy Môquet. Cette lettre, en elle-même, est une lettre comme beaucoup d’autres résistants ont écrit à leurs parents. Pourquoi parle t-on seulement de la lettre de Guy Môquet ? »

Propos recueillis par Sophie Périabe


L’engagement de leur jeunesse

À l’aube de ce matin d’octobre 1940, aussitôt après la levée du couvre-feu, un de mes jeunes cousins arriva chez nous pour nous annoncer que son père et un autre cousin venaient d’être arrêtés par la gendarmerie française. L’un mourut plus tard au camp hitlérien de Sachsenhausen, l’autre fut fusillé à Compiègne. Ils étaient victimes de la “rafle Pucheu” (du nom du sinistre ministre de l’Intérieur de Pétain).
Je fis aussitôt à pied, comme lui mais en sens inverse, les quelques kilomètres qui nous séparaient du centre de la ville d’Elbeuf pour prévenir un de mes frères. Chez lui, je trouve la porte ouverte, le lit défait. Je crus un instant qu’il avait été arrêté lui aussi. Mais il venait d’accompagner son épouse à la maternité ! Ainsi, mon neveu, plus tard militant syndicaliste de l’usine Renault de Sandouville, est donc né le jour de la mort de Guy Môquet.
C’est dans la journée que la radio annonça l’exécution des “otages” de Châteaubriant. Très vite, il apparut que le but de cette féroce répression était loin d’être atteint. Au lieu de tarir toute action, les arrestations et les exécutions galvanisèrent l’élan de résistance, éclairèrent aux yeux d’un grand nombre le sens de l’affrontement, balayèrent généralement les effets du trouble réel qu’avait provoqué le traité germano-soviétique. Les coups étaient portés aux forces les plus déterminées, à celles qui avaient fait quelques années plus tôt la victoire du Front populaire.
Mon père était ouvrier cheminot, d’esprit révolutionnaire teinté d’anarcho-syndicalisme comme l’étaient beaucoup d’ouvriers de Haute-Normandie. Les années de mon enfance et de mon adolescence étaient celles de la crise et du chômage qui frappait l’industrie textile, de la guerre d’Espagne qui nous avait fait accueillir en notre famille deux enfants de républicains, Conchita et Gregorito, des années de Munich et du prolongement deux fois répété du service militaire de mon frère aîné, plus tard prisonnier en Allemagne. Mon enfance et mon adolescence, c’est aussi les grandes grèves et manifestations ouvrières de 1936, l’élan du Front populaire, les congés payés et les auberges de jeunesse, la grève du 30 novembre 1938 où je vis les larmes de mon père déchiré par la répression policière. C’est aussi les voyages à Paris, grâce aux facilités de transport de mon père, l’exposition de 1937 avec ses deux pavillons, soviétique et hitlérien en face-à-face, les grandes manifestations avec les drapeaux rouges et tricolores pour la première fois mêlés et les âpres discussions qui s’ensuivaient dans la famille.
En lisant le livre de Michel Etievent, je viens d’apprendre que Guy Môquet, comme moi, lisait et diffusait à l’école “Mon camarade”, le journal pour enfants, en quelque sorte précurseur de Vaillant. C’est donc d’un mouvement naturel que, en même temps que j’entrais à la SNCF après un concours, je rejoignais les rangs de la Jeunesse communiste dans cette région urbaine dont la situation géographique faisait qu’elle était une zone de dense occupation hitlérienne et d’activité policière intense ; par conséquent où la répression creusait les rangs, ce qui me fit accéder rapidement - peut-être trop rapidement - à des responsabilités importantes.
Ceux qui, aujourd’hui, sur un ton de mépris, contestent le sens profond et conscient de l’engagement de Guy Môquet, négligent ces données essentielles pour comprendre le comportement d’une génération. Les mêmes valeurs ont toujours surgi dans la jeunesse, dans les grandes périodes de notre histoire. Le Gavroche de Victor Hugo n’est pas seulement le personnage type du “titi” parisien. Sa lucidité, son courage, même s’il voisine parfois avec l’imprudence inconsciente, sont celles de Jeanne d’Arc, de Bara, de Viala, de Guy Môquet, de tous ceux qui, adolescents en période de bouleversements sociaux et nationaux, s’engagent totalement dans un combat pour eux vital, essentiel. Comment ne pas comprendre que, dans de telles périodes, la jeunesse ne peut prendre son sens que dans son action transformatrice.
J’ai entendu récemment un de ces grincheux qui, au nom de la lutte politique nécessaire contre le pouvoir de Sarkozy, refusent d’évoquer Guy Môquet, dire : « Mais dans sa lettre, il n’y a rien de politique. » Quelle curieuse idée appauvrissante de la politique que de refuser de considérer dans toute sa signification cette phrase courte mais riche de tout son poids : « Certes, j’aurais voulu vivre, mais ce que je souhaite de tout mon coeur, c’est que ma mort serve à quelque chose. »

Un article de Roland Leroy, publié le 22 octobre 2007 dans “l’Humanité”


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Messages

  • Excellente initiative de Mr Merleau ! Ces quelques heures passées avec Roland Leroy seront, je pense, ancrées dans nos têtes a tout jamais. Un grand merci à ces deux personnes ainsi, bien-sûr, qu’aux autres organisateurs de cette rencontre mémorable !
    Barbara

  • Tout comme ma chère collègue Barbara, je voudrait remercier l’initiative de notre professeur d’histoire Mr Merleau en ce jour. J’ai, face à Roland Leroy et à son discours, ressentit une grande émotion qu’il était difficile de me contenir, être en face d’une personne qui a "vécu un passé" singulier et que je ne vivrais sans doute jamais.

  • Cette rencontre avec Mr Leroy a été une expérience enrichissante pour nous, élèves de terminale. La volonté de Philippe Merleau d’inviter le résistant à témoigner devant nous est à saluer. Non seulement on a eu la chance de revivre l’ambiance de la résistance mais on a pu, en outre, mettre au clair quelques points, en lui posant des questions. Grâce à Mr Merleau et à son idée astucieuse, la lecture de la lettre de Guy Môquet s’est faite intelligemment. Ainsi, l’idée de Sarkozy de vouloir se servir de Guy Môquet pour amadouer les jeunes n’aura pas réussi. Son souhait de réveiller en nous notre patriotisme aura échoué.
    Encore une fois merci à Philippe Merleau, "Mr Pédagogue".


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