Réforme de l’école primaire : démagogique et sans ambition

Rythmes de vie des enfants : les vraies questions occultées

19 février 2008

Au cœur de la réforme de l’enseignement primaire présentée le 15 février par Nicolas Sarkozy, la polémique sur la commémoration des enfants de la Shoah, bien que légitime, ne doit pas détourner les attentions du vide dont est empreint ce dit projet éducatif. En occultant la connaissance sur les rythmes de vie des enfants et les préconisations des spécialistes sur le sujet, loin de réduire l’échec scolaire, cette réforme ne va qu’aggraver le quotidien des élèves. Eléments d’explications.

Depuis près de 20 ans, des spécialistes de l’enfance tels que les Professeurs Hubert Montagner, François Testu, Christian Mandel et bien d’autres se sont penchés sur les rythmes de vie des enfants. Ils ont inventorié les facteurs (sommeil, transport, alimentation, horaires de cours, périodes de vacances...) qui, dans l’organisation du système éducatif français, sont causes de fatigue, d’inadaptation et d’échec scolaire.

« La semaine de 4 jours est une aberration ! »

De ces études, ils ont dégagé des propositions, formulé des préconisations à l’attention des décideurs, afin d’alimenter la réflexion, la concertation pour servir l’intérêt, l’épanouissement et la réussite scolaire des enfants. Ces rapports, souvent méconnus du grand public et des parents, sont malheureusement toujours restés dans les fonds de tiroirs des ministères. Aujourd’hui, en décrétant la suppression du samedi de cours pour les élèves du Primaire et l’instauration de deux heures de soutien pour les élèves en difficulté, Nicolas Sarkozy va à l’encontre de l’avis des scientifiques.
Michel Turquet, pédiatre réunionnais qui a collaboré plusieurs années avec le Professeur Montagner, soutient que « la semaine de 4 jours est une aberration ! ». « Les enfants ont déjà des journées trop longues, sont déjà fatigués par trop d’heures de classes, alors, leur demander de faire des heures supplémentaires est une véritable aberration. Tous les spécialistes le disent, mais rien ne bouge (...). On les mandate pour des audits afin de se donner bonne conscience, mais dans notre pays, seuls les politiques décident ». Si Michel Turquet se défend de vouloir faire de la politique, il soutient que le devenir de l’école et de ses élèves est bel et bien un vrai sujet de société sur lequel il est urgent de débattre pour conduire enfin une réforme profonde.
Dans son rapport sur les rythmes des enfants à La Réunion, publié en juillet 1996 et réalisé à partir de la plus importante enquête jamais menée en France auprès d’un échantillon de 3.000 élèves, le docteur Turquet met à son tour en exergue le surmenage des enfants dû à un calendrier scolaire déséquilibré et des programmes inadaptés. « Ce rapport reste valable. On n’a pas progressé, déplore-t-il. On est le 22ème pays européen sur 27 au point de vue des résultats scolaires ! ». Déjà en 1996, il s’opposait à la semaine de 4 jours, soulignant que cette formule ne servirait que « l’intérêt de certains parents et enseignants qui y trouvent un certain confort. Mais l’égoïsme des groupes d’adultes va à l’encontre de l’intérêt des enfants ».

La vie d’un écolier ne doit pas se résumer aux « fondamentaux »

Qu’importe donc l’avis des spécialistes, Nicolas Sarkozy décrète en démocratie, tout en prétendant apporter les moyens de « traiter les problèmes de l’échec scolaire à la racine ». Quels moyens ? L’accent sur les « fondamentaux » que sont la maîtrise du français et des mathématiques n’a pourtant rien d’innovant. Loin de remettre en cause l’intérêt et la nécessité de leur maîtrise, à la veille de la Journée Internationale des Langues Maternelles, le vrai changement éducatif aurait été d’accueillir tous les petits Français, d’horizons géographiques et culturels divers, dans leurs langues d’origine pour les conduire plus facilement à la maîtrise du français. Cette « priorité absolue » de maîtrise de la langue doublée d’un impératif de sur-évaluation des élèves comme des professeurs tendra plutôt à exclure ceux des enfants qui maîtrisent mal la langue française, car confrontés au départ à une école maternelle qui ne sait pas les accueillir avec leurs compétences communicationnelles initiales.
Évaluer, noter, mettre en concurrence les enfants dès le plus jeune âge permettra surtout de dégager les bons élèves des autres, de faire un tri sélectif précoce, d’initier les futurs citoyens aux réalités d’une société qui se confond dans l’individualisme et le rejet de ceux qui ne collent pas à la norme. Pour les spécialistes de l’enfance comme le docteur Turquet, l’école doit apprendre à concilier l’enseignement des « fondamentaux » avec des activités d’éveil, artistiques, sportives, etc...

Trop d’enfants s’ennuient à l’école

Des aménagements simples et qui n’engagent aucun investissement financier pourraient être faits si courage et volonté prédominaient. Michel Turquet explique par exemple que l’heure d’entrée à l’école devrait être revue pour coïncider avec les périodes de plus grande vigilance des enfants, notamment pour les élèves de Maternelle et du Primaire qui perdent ici un temps de sommeil précieux en commençant leur journée à 8 heures.
De nombreuses études ont démontré que c’est entre 9h30 et 11h30-12h, et de 14h30-15h à 17h que les élèves sont les plus réceptifs, capables de fournir un effort intellectuel productif. Les périodes intermédiaires (qualifiées de « temps sujet » par le Pr Montagner) sont plus favorables à d’autres activités qui permettraient à l’enfant de s’ouvrir au monde, de trouver des sources de motivation pour aller à l’école. Varier les activités pour éviter la monotonie, source de fatigue chez l’enfant, est un impératif qui n’a pas encore sa place sur les bancs de l’école.
Comme le président de la République, les spécialistes sont interpellés par les chiffres de l’échec scolaire, estimant que les programmes sont inadaptés et que trop d’enfants s’ennuient à l’école. Une école qui peine à susciter émulation et motivation. L’Education physique et sportive, par exemple, reste le parent pauvre du système éducatif dans toutes les tranches d’âges. Michel Turquet note que les 5 heures hebdomadaires dans le Primaire sont rarement appliquées et que le retard dans les matières dites fondamentales est rattrapé sur ces heures pourtant essentielles au développement de l’enfant et du jeune qui ont besoin d’une heure minimum de sport par jour. Le président de la République, féru de jogging, devrait comprendre cela ! Le manque d’exercice physique est source de fatigue et peut se traduire par des difficultés scolaires secondaires, à l’indifférence, voire, à l’inverse, à des troubles du comportement de type agressif. De même que le sport, les enfants ont besoin d’activités qui les éveillent au monde (arts plastiques, culture, danse, jeu d’échec, informatique...) et rendent aussi à leur yeux l’école plus attractive.

« Une conception élitiste périmée »

L’enfant qui s’ennuie à l’école finit par la rejeter. Incompris par ses parents, il rejettera ensuite sa famille, puis la société et, rapidement, sera pris dans l’engrenage de la délinquance, de la violence... Si le gouvernement veut agir à la racine de l’échec, il doit procéder à une remise en cause profonde du système éducatif, reconsidérer avec courage les programmes, les horaires, les finalités. Mais comme le note encore le docteur Turquet dans son rapport, « le Français est trop casanier et marqué par une conception élitiste périmée pour accepter ce qu’il considère comme une perte de temps ». Ce dernier ne voit « aucun progrès » dans cette réforme de l’enseignement primaire, juste de la « démagogie » et de la stupidité dans la commémoration des enfants de la Shoah. Il observe que les décideurs ne sont pas en phase avec la réalité de terrain, rappelle que les enfants d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux d’il y a 30 ans. « Ils sont plus dégourdis, revendicateurs, posent plus de questions. Le revers de la médaille est qu’ils respectent moins l’autorité ». Nul besoin, selon lui, de rétablir l’instruction civique et morale, sachant que les professeurs agissent déjà sur ces questions de comportements.
La discipline est certes une bonne chose, selon le docteur Turquet, si elle est bien présentée, expliquée et justifiée.
En résumé, ce sont « la pédagogie et les programmes qui ne sont plus adaptés aux rythmes des enfants, d’une part, et à leur capacité d’apprentissage. C’est toute notre pédagogie qui doit être remise en cause, insiste le docteur Turquet. On veut apprendre à lire et écrire aux élèves de Grande Section, alors que dans les pays nordiques, à la pointe en matière d’éducation, les enfants ne rentrent à l’école qu’à l’âge de 6 ans. Avant, ils sont dans des structures équivalentes à des garderies où ils sont initiés aux disciplines artistiques, où sont développés leurs schémas corporels... Depuis 10 ans, on enfonce des portes ouvertes face à des mesures qui n’ont rien de vraies réformes, mais qui s’apparentent plus à du bricolage ».

Stéphanie Longeras


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