L’ANPE et la formation

Un bilan de compétences s’impose

10 août 2006

À La Réunion, les fonds formation de l’Assedic ne sont pas tous utilisés et risquent d’être retournés à leur envoyeur, l’État. Et ce en dépit du taux de chômage record dans notre île et du manque de qualification souvent avancé !

À moins qu’un demandeur d’emploi, indemnisé, souhaite se former pour répondre aux besoins des métiers dit en tension, avec la certitude de déboucher sur une reprise d’embauche, le projet individuel - susceptible au demeurant de permettre la création d’une activité - ou la reconversion, ne répondent pas aux priorités technocratiques.

D’abord les économies

Aucune possibilité non plus de financer à cette jeune femme le suivi des deux UV qui lui manquent pour obtenir sa validation des acquis et de l’expérience et ainsi obtenir son diplôme de BTS Action Commerciale. Pour préciser ses compétences dans le but de coller à une demande, il faut que l’employeur potentiel soit d’entrée prêt à investir 50% de la formation de sa recrue. Sinon, pas de formation. Le poste ira à quelqu’un d’autre. Tout est fait pour économiser l’argent de la formation et faire entrer les demandeurs d’emplois dans des moules. À moins que ce ne soit pour les rendre plus malléables, les dissuader de tout projet professionnel personnel ?
Concrètement, sans les dispositifs de la Région Réunion et de l’AFPAR, point de salut pour les chômeurs. Quant à l’ANPE, il semblerait qu’elle fasse ce qu’elle peut, à savoir le minimum. Sa marge de manœuvre est limitée, presque réduite à l’accueil du public, au plébiscite des métiers de maçons, boulangers, bouchers et que sais-je encore. L’Assedic a le dernier mot et plus haut encore le ministère.

Stéphanie Longeras
[email protected]


Témoignage

Ce n’est certes pas Didier Billaud, chargé de formation à la direction déléguée de l’ANPE Réunion qui nous a dressé ce tableau un peu glauque, il faut bien le reconnaître. Il a su mesurer ses réponses, s’accorder des temps de pause éloquents sans pour autant sembler hésiter, et est parvenu subtilement à ne pas approfondir certains sujets sans jamais pour autant les esquiver. Pas de discours supra technocratique, pas non plus de considérations sociales, il a respecté la mesure. Extraits de l’entretien.

Quels critères un demandeur d’emploi doit-il présenter pour bénéficier d’une formation ? Et pour quel type de formation ?

- Je ne présenterais pas les choses sous cet angle. Si la personne n’a pas de projet professionnel définit, on peut, au travers d’une prestation de trois mois qui comprend un cahier des charges précis, réfléchir avec elle sur la construction d’un projet, sur son vécu, ses représentations personnelles du travail. L’objectif est qu’elle parvienne à définir un souhait de travail sur un métier et qu’elle sache pourquoi elle fait ce choix. Après on pourra l’amener à la qualification par la formation. Par contre, si le demandeur d’emploi a déjà un projet, on l’oriente alors sur les dispositifs existants : le Plan Régional de Formation Professionnelle qui propose 15.000 places pour des formations sectorielles comme dans le tourisme par exemple, l’AFPAR, partenaire de la Région qui propose des formations homologuées par un titre du ministère, et dans certains cas, on peut orienter vers les formations Assedic qui ont représenté 11 actions individuelles l’année dernière. Toutes ces formations concernent des métiers sous tension, mais il est aussi possible, suite à une demande faite auprès de l’ANPE, de mettre en place une formation adaptée pour préparer à l’ouverture d’un magasin, à un recrutement dans la grande distribution par exemple.

"On voit que le compte n’y est pas"

Qu’est-ce qui explique ce faible taux d’actions individuelles ?

- Pour les formations hors groupe, hors PRFP, il faut se tourner vers les mesures individuelles proposées par l’Assedic comme l’AFPE (Action de Formation Prélable à l’Embauche), mais il faut un engagement de l’employeur. Elle est prise en charge à hauteur de 7,70 euros hors taxe de l’heure, avec des plafonds de 450 heures et de 1.525 euros hors taxe. Si on fait le calcul, on voit que le compte n’y est pas, que l’Assedic ne prend en charge qu’à peu près 4 euros de l’heure. C’est pourquoi il faut un engagement de l’entreprise derrière, sachant que le bénéficiaire sera toujours indemnisé par l’Assedic non plus par le biais de l’AREF (Allocation de Retour à l’Emploi Formation). Cela permet ainsi de préparer la personne à occuper un poste en la familiarisant par exemple avec le logiciel utilisé par l’entreprise.

Et si la formation souhaitée par la personne ne répond pas à un besoin immédiat du marché ?

- Si elle veut suivre une formation pour être éleveur de taurillon et qu’il y a 10.000 demandes, on peut le faire. Mais s’il n’y a pas de demande d’entreprise, on retravaille le projet de l’individu, le repositionne vers les instances qui ont déjà leurs programmes de formations. Le but n’est pas de laisser une personne sur une filière qui n’est pas adaptée aux réalités du marché.

Quelle possibilité est offerte au demandeur d’emploi qui souhaite optimiser son temps d’inactivité forcée pour se reconvertir professionnellement ?

- Il y a le chèque compétence de la Région financé dans la limite de 3.820 euros pour une action de formation qui n’entre pas dans le cadre du PRFP ou qui n’est pas programmée. Mais c’est difficile de jongler, les critères d’éligibilité sont stricts et la reconversion n’est jusque-là pas acceptée. Cette question sera discutée dans un mois et je pense qu’il y a des chances pour que le dispositif s’élargisse à la reconversion, pour qu’un maçon, s’il le souhaite, puisse devenir horticulteur.

"C’est l’Assedic qui prend la décision finale"

Il s’agit là encore de la Région. Quel est alors le rôle de l’ANPE ? Et quelles sont ses relations avec l’Assedic ?

- Elle n’a aucun financement, aucun budget. Elle met juste en relation les demandeurs d’emplois avec les dispositifs existants. Elle étudie la faisabilité du projet et fait la demande. C’est l’Assedic qui prend la décision finale. Nous entretenons de bonne relation avec l’Assedic et sommes en contact chaque jour. Nous pouvons lui formuler des demandes particulières, mais c’est elle qui décide au final. Notre rôle est limité et c’est souvent nous qui recevons beaucoup plus de demandes de sa part.

Le conseiller n’a donc plus, depuis la suppression du Stage d’Insertion et de Formation à l’Emploi (SIFE) par la loi de cohésion sociale, la possibilité d’adapter l’offre de formation au parcours et objectifs professionnels du chômeur, au cas par cas ?

- C’est la loi de cohésion sociale qui a supprimé le SIFE ? ... (Temps de pause) On oriente sur les dispositifs existants. La seule flexibilité est celle du chèque compétence. Après, il reste nos partenaires, les Centres d’Actions Sociales, les PLI, ou certains maires qui peuvent accorder des budgets.

C’est leur rôle, vous croyez ?

- Non. Il s’agit plus d’un traitement social.

Qu’est-ce qui a justifié la suppression du SIFE ? Il offrait trop de liberté aux conseillers ?

- Décentralisation. Restructuration du budget de l’État.

Revenons à cette liste de métiers sous tensions qui dicte les formations. Comment est-elle établie ?

- Deux réflexions sont engagées. L’Assedic mène tous les ans une enquête BMO (Besoin en Main d’Oeuvre) auprès des entreprises, selon leurs positions et leurs prévisions pour l’avenir. Je pense que le taux de réponses est intéressant. L’ANPE qui a des informations sur les besoins du marché tous les jours, dresse quant à elle un constat à l’instant T sur une année révolue. Elle compare ensuite avec l’année précédente les demandes d’emplois enregistrées et les offres d’emplois qualifiées et fait le ratio. Après, il faut nuancer les propos. C’est à partir de 30 offres que l’on considère que le métier est sous tension.

"Il y aura toujours à faire en plus"

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences a du mal à s’amorcer dans les entreprises. Quelle place est laissée, dans l’analyse du marché, à l’émergence de nouvelles activités, aux niches d’emplois qui pourraient impulser de nouvelles formations ?

- L’OREF mène une analyse prospective sur 5 ans. C’est une réflexion plus large, en fonction des grands projets, une analyse plus poussée secteur par secteur. Le PRDF engage aussi cette réflexion sur 5 ans, s’interroge sur les actions de formations à mener, la façon de pallier les difficultés rencontrées. Tout le monde puise beaucoup dans les données de l’OREF qui mène aussi des ateliers de réflexions avec les entreprises, les différents organismes de formations, pour définir les grandes orientations, identifier les besoins.

Pour terminer, est-ce que dans le contexte actuel, avec les outils en place, la formation tout au long de la vie est réalisable ?

- Vu les moyens à disposition, il y aura toujours à faire en plus. Un demandeur d’emploi peut se former en permanence via l’AFPAR, les contrats de professionnalisation. Mais la formation tout au long de la vie, pour les salariés... (le doute s’installe). Toutes les entreprises cotisent à des fonds (Opcareg, Fongeciph) pour permettre cela. Elles sont censées informer leurs employés de la possibilité de formation offerte, par le biais du DIF (Droit Individuel de Formation)* ou du CIF (Congès Individuel de Formation).

Entretien SL

*Le DIF est présenté comme un véritable outil de progrès social pour le salarié, autorisé à s’absenter de son entreprise pour suivre un module de formation. Mais à raison de 20 heures par an, autant dire qu’il s’agit d’un micro module, même insuffisant pour apprendre la poterie !


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus