Eugène Rousse, enseignant et conseiller municipal, critique la loi Fillon

’Une loi de régression pour l’école publique’

5 mars 2005

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N’ayant manifestement pas réussi à convaincre son auditoire que le projet de “loi d’orientation pour l’avenir de l’École” a un contenu progressiste, le recteur Christian Merlin a eu recours lors du débat télévisé de lundi dernier à une pitoyable diversion.
Il s’en est pris aux maires et singulièrement au maire du Port en déclarant : "je ne pense pas qu’offrir des bus à des lycéens pour aller manifester soit une attitude ni très responsable ni très courageuse. C’est manifester par l’intermédiaire d’autrui...". Le ministre de l’Éducation nationale exprime le même avis lorsqu’il accuse les syndicats enseignants de "pousser les jeunes dans la rue".
Retraité de l’Éducation nationale, membre de l’équipe municipale portoise, j’estime devoir répondre aux propos du recteur. Ce, d’autant que Radio Réunion a donné une assez large publicité à la stupéfiante déclaration de Christian Merlin dans ses journaux de mardi dernier.
Il me faut rappeler ici que dès 2003, outre la suppression du corps des surveillants d’externat et d’internat (SE - SI), le gouvernement Raffarin s’est engagé dans une entreprise de démantèlement du service public d’éducation. Le transfert des TOS aux collectivités territoriales s’est effectué sans concertation et ouvre à l’évidence la voie à la privatisation d’un pan non négligeable du service public ainsi qu’au transfert d’autres personnels. Le gouvernement Raffarin a refusé obstinément le réexamen d’une mesure prise unilatéralement, en dépit des protestations de la totalité des personnels de l’Éducation nationale, en dépit également du refus des Conseils généraux et régionaux de prendre à leur charge des personnels ayant jusqu’ici le statut de fonctionnaires d’État.
Lors des multiples manifestations visant à faire reculer le gouvernement Raffarin, les élus progressistes dont le maire du Port se sont exprimés et sont mêmes descendus dans la rue à plusieurs reprises.
Parallèlement au démantèlement du service public d’éducation, le gouvernement Raffarin s’est efforcé de réduire les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l’école. La commission Thélot y a travaillé. Le projet de loi Fillon s’est inspiré largement du rapport de cette commission. Ce rapport préconise notamment la mise en place d’un "socle commun" qui ne peut que contribuer à aggraver les inégalités face aux savoirs et à la culture. Le rapport Thélot ne cache pas que l’école ne doit pas se
"proposer que tous les élèves atteignent les qualifications scolaires les plus élevées".
Le projet de loi Fillon souligne la nécessité de l’acquisition par tous les élèves d’un "socle commun des indispensables". Socle commun où ne figurent pas des disciplines tels l’EPS, les enseignements artistiques, la technologie... Socle commun dont devront se contenter les élèves en situation d’échec scolaire imputable le plus souvent à leur origine sociale.
Ce qui revient à créer une école à deux vitesses et à recourir à une ségrégation, génératrice assurément d’un climat conflictuel au sein des établissements et susceptible de fragiliser la cohésion sociale hors des établissements.
Dans les lycées et collèges, le projet Fillon hiérarchise des disciplines dont tous les pédagogues s’accordent à affirmer qu’elles concourent toutes à l’épanouissement de nos jeunes. Cette hiérarchisation - combattue avec force il y a trente ans par le ministre de l’Éducation nationale, René Haby, auteur en 1976 d’une réforme qui porte son nom - vise à rayer des emplois du temps des disciplines comme l’EPS, le dessin, la musique, la technologie dont l’enseignement risque de devenir facultatif.
Il est bon de signaler qu’avant l’adoption par le Parlement du projet de loi Fillon dont l’examen s’est fait dans la précipitation en raison de la procédure d’urgence imposée par le gouvernement, le Ministère n’a pas hésité à recourir à la suppression d’options, de dédoublement, de TPE... Sans véritable concertation, il a également tenté d’imposer une réforme du Baccalauréat.
C’est parce que la politique éducative du gouvernement Raffarin s’oppose à l’accès de tous à la culture, que le projet de réforme proposé par François Fillon est combattu très largement par l’opinion comme en témoignent tous les sondages et que ce projet a été massivement repoussé par le Conseil supérieur de l’Éducation nationale en décembre dernier. Au sein de cette instance, les représentants du MEDEF ont été pratiquement les seuls à apporter un soutien sans réserve au projet Fillon. Le MEDEF revendique par ailleurs "une place à part entière dans la fonction éducative".
Je dois ajouter que c’est pour protester contre la dramatique insuffisance de moyens mis à la disposition de l’École que les CTP préparatoires à la prochaine rentrée scolaire sont actuellement boycottés par les représentants des personnels enseignants.
Conscients que la loi Fillon est une loi de régression pour l’École publique, les lycéens du Port comme leurs homologues de la France hexagonale sont descendus dans la rue au cours du mois de février. Ils se sont adressés au maire de la ville pour qu’il mette des transports à leur disposition. C’est tout naturellement que le premier magistrat de la cité maritime a accédé à leur demande. Comptable des intérêts de tous ses administrés et singulièrement des plus jeunes, le maire du Port a ainsi permis à ces derniers d’exiger que leur droit à une formation de qualité soit respecté. Il a donc eu une attitude responsable qui ne peut que lui valoir l’estime de ses concitoyens.

Eugène Rousse


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