Inauguration de l’école d’Aurère à Mafate

Une rentrée pas comme les autres

24 août 2006

Il en aura fallu des combats pour voir sortir de terre l’école d’Aurère, belle bâtisse de bois et de tôles, inaugurée mardi, jour de la rentrée scolaire. C’est un grand jour pour les familles de l’îlet comme pour les partenaires qui ont œuvré à sa réalisation. Un jour emprunt d’émotion et de fierté.

Après 4 appels d’offres infructueux lancés par la commune de La Possession, l’ONF, le RSMA et la Mairie ont finalement décidé de relever le défi et de construire l’école réclamée depuis près de 10 ans par les habitants d’Aurère.

"Les coudes se sont serrés, les rivalités se sont tues"

L’Office National des Forêts (ONF) a fourni les éléments de menuiserie et mis à disposition des ouvriers forestiers spécialisés. Le RSMA a détaché 20 personnes, dont 13 jeunes stagiaires qui ont pu se former aux techniques d’une construction originale de style créole, à l’ossature bois et à la toiture en tôle, et vivre une véritable aventure. Enfin, la Mairie, en charge de la conception, a pu obtenir les compléments financiers du Conseil général, de l’État et de l’Europe.
En dépit des fortes pluies, du chikungunya, d’une épidémie de gastro-entérite qui a sévi sur le chantier, les délais ont été respectés, et après 10 mois de labeurs intenses, l’école a pu, mardi, ouvrir ses portes aux 13 enfants scolarisés, de la maternelle au CM2, de 3 à 12 ans. "Les coudes se sont serrés, les rivalités se sont tues", commente Jacques Primet, agent ONF qui a dit toute sa satisfaction et sa gratitude aux différents partenaires.
Pour le Colonel Philippe Loiacon, du 4ème régiment RSMA, mardi était un moment "magique". Il s’est dit fier de ses hommes qui ont su s’adapter au terrain, aux spécificités de la construction, rechercher et développer de nouvelles techniques tout en encadrant des jeunes. "Ce n’était pas une mission impossible, souligne le colonel, mais bien d’avenir avec un grand A, guidée par le sentiment de réaliser quelque chose de vraiment utile". L’Adjudant Pausé qui a suivi la totalité du chantier se dit aussi "fier et content pour les habitants". Il parle d’une expérience rare vécue avec les jeunes impliqués dans le chantier (seuls absents mardi). "Ils ont appris la vie en communauté, la cohésion, et au fur et à mesure, les liens se sont resserrés après le travail. Il y avait une vraie joie de vivre dans le travail".

"Une révolution"

Une joie également affichée par les parents et les élèves qui n’auront plus à se lever grand matin dans le froid pour parcourir leur demi-heure de marche vers l’école d’Ilet à Malheur. "Avec les pluies, le trajet pour l’école était devenu dangereux pour les enfants, explique une maman. Il y avait de gros problèmes de sécurité, et les parents ne pouvaient pas toujours les accompagner. Aujourd’hui, tout est différent. C’est un grand jour pour nous, habitants d’Aurère". Une salle de classe chauffée au poêle, une cuisine, un réfectoire, une salle de toilettes, un préau et tout le matériel pédagogique nécessaire : pour Frédéric Arsé, enseignant de l’école, c’est "une révolution". Avec 30 mètres cubes de capteurs photovoltaïques et une utilisation rationnelle de l’énergie électrique fermée en batterie, l’école peut tenir une semaine. Elle bénéficie également d’une installation thermique qui en fait une structure conforme aux normes environnementales. Trois nouveaux emplois ont été créés pour pourvoir aux besoins de l’école et répondre aussi à la crise de l’emploi qui sévit dans les Hauts. Le Maire de La Possession a ainsi parlé à raison d’un véritable "challenge" pour bâtir une école d’un genre nouveau respectueuse du site, exceptionnel.

Égalité des chances

L’ouverture de l’école d’Aurère représente aussi pour le Maire Roland Robert "un acte fondateur, une fenêtre de plus, ouverte sur le savoir et la connaissance". Elle concourre ainsi pour Daniel Gilly, représentant de l’Académie de La Réunion, à faire vivre le principe d’égalité des chances et à répondre à l’objectif académique de maîtrise du français. "On a le pain et le couteau, reste à l’Éducation nationale de couper la tranche et c’est le plus difficile". Enfin, Franck Olivier Lachaud, Secrétaire général de la Préfecture, s’est dit "heureux d’affirmer que les principes de la République s’appliquent à Mafate comme ailleurs. C’est peut-être la première leçon d’instruction civique à délivrer aux enfants pour cette rentrée".


Professeur à Mafate : avant tout un choix

"Là, on a un rôle à jouer"

Frédéric Arcé est professeur à Aurère depuis 2 ans. Auparavant, il a enseigné à Saint-Benoît et à Saint-Pierre, mais l’appel des Hauts a été plus fort. Etre enseignant à Mafate demande une bonne condition physique, en plus d’un amour certain de son métier car les conditions d’exercice sont atypiques pour ne pas dire extrêmes. Pour Frédéric Arcé, cette nouvelle école est une vraie "révolution".

Prof d’anglais SDF

"D’un simple local, on passe à une nouvelle classe équipée, avec du matériel et du mobilier neufs, des outils pédagogiques adaptés à tous les niveaux, grâce à un effort particulier de subventions de la Mairie". Vu la cherté du matériel, l’enveloppe de 300 euros habituellement délivrée par les communes n’aurait pas permis de telles acquisitions. "On peut regretter que le logement de l’enseignant se trouve à une demi-heure de là, à l’Ilet à Malheur. C’est le seul hic", souligne Frédéric Arcé qui regarde son collègue professeur d’anglais avec un peu d’empathie. En effet, Damien Touvet, nomade de l’Éducation nationale, le plus physique des enseignants de Mafate, sillonne les 8 écoles du Cirque avec son cartable sur les épaules et trouve logis chez ses collègues, assez sympas pour l’accueillir. Sinon, "pour les enfants, tout est parfait", resitue Frédéric Arcé. L’année dernière, il fallait au professeur parvenir à mobiliser l’attention d’élèves engantés, bonnets vissés sur la tête, avec une température pouvant atteindre les 11 degrés dans le "local" de classe. Cette année s’entame avec un poêle à bois, matériel pédagogique à part entière, véritable incitation à aimer l’école.

"Expérience humaine et professionnelle très enrichissante"

Au vu des conditions extrêmes d’enseignement, qu’est-ce qui peut motiver un professeur à demander sa mutation à Mafate ? Des semaines plus courtes ? Si l’on tient compte du fait que les cours sont aménagés du lundi après-midi au vendredi matin pour offrir de vrais week-end à l’enseignant à qui il faut 1 heure 30 de marche pour rejoindre sa famille dans les Bas et un peu plus pour faire le trajet inverse : on peut en douter. Un salaire majoré ? Que nenni, l’on nous répond que "la prime Mafate est un mythe". Pour Frédéric Arcé, "c’est une nouvelle expérience humaine et professionnelle très enrichissante. Même si cela s’avère plus difficile qu’on peut l’imaginer au départ, même s’il faut apprendre à se passer de certaines choses, il y a l’environnement, la rencontre avec les habitants. À côté, il y a vraiment du travail. Il faut essayer de donner un peu d’ambition, préparer à fournir les efforts maintenant pour rendre le collège plus facile. Là, on a un rôle à jouer, une part de responsabilité, même si l’on ne peut pas porter tout le poids de l’échec. Ouvrir les enfants vers l’extérieur le plus tôt possible est primordial". L’année dernière, après une course aux subventions effrénée, toutes les écoles du cycle 3 de Mafate ont pu partir en Afrique du Sud pour un voyage langue et découverte inoubliable.


Julia et Florence, élèves d’Aurère

"Merci à tous pour cette nouvelle école"

Julia et Florence, toutes deux âgées de 9 ans, en classe de CM1, ne portent pas attention aux allers-retours des hélicoptères qui amènent officiels et journalistes pour inaugurer leur nouvelle école. Elles recopient avec application sur leur papier, en multicolore, le message inscrit au tableau : "Merci à tous pour cette nouvelle école et bienvenus". C’est absurde de leur demander si elles sont contentes d’avoir une classe toute neuve et équipée, car la réponse affirmative est assurée. L’année dernière, elles devaient étudier dans le froid, l’humidité et "même avec les souris", précise Julia pour qui "la cheminée" (à savoir le poêle) représente un vrai changement. Oui, elles aiment l’école, mais "nana in pe travay lé dur", poursuit la fillette. Le français, sa conjugaison et sa grammaire, les exercices de lecture ne font pas partie de leurs préférences. Toutes deux penchent plutôt vers les mathématiques, ou encore l’anglais qui permet certainement de dépasser le clivage français-créole et met tous les enfants sur un même pied d’égalité. Toutes deux encore ont déjà une même ambition professionnelle : devenir boulangère. "On sait déjà faire la cuisine, justifie Julia. On aide maman à préparer les gâteaux", poursuit Florence. Et là où leur projet se précise c’est qu’elles ne comptent pas ouvrir leur commerce à Aurère. "Non, on s’installera dans les Bas pour avoir plus de clients", établit la première qui voit sa stratégie soutenue par un hochement de tête de la seconde.
À suivre.


Des Hauts vers les Bas : maintenir le dialogue social

La Mairie se veut à l’écoute

Difficile pour les habitants de Mafate et la Mairie de La Possession de rester en contact constant pour traiter des problèmes éventuels du Cirque et y apporter des réponses en temps, avant que l’impatience ne suscite parfois la colère et l’incompréhension. Roland Robert a pu mardi discuter plus longuement avec ses administrés des Hauts et a proposé de recevoir une délégation dès la semaine prochaine.

"La rout sé inn atou pou nou"

"Sa lé sir, lékol lé bèl, la pli bèl ékol Mafat, soman la falu batay pou gyin sa", commente Libel, à l’écart des officiels. S’il est légitime pour les habitants de revendiquer une amélioration de leurs conditions de vie, Roland Robert a pu leur rappeler que la Mairie n’avait pas compétence dans tous les domaines et que la difficulté de financement restait bien souvent entière. Les habitants d’Aurère réclament par exemple la réouverture de la piste de 12 kilomètres dans le lit de la rivière, détruite par les dernières pluies, qui permet d’atteindre le village de La Rivière des Galets en 4X4.
"La rout sé inn atou pou nou. Lélicoptèr sé 400 euros", expliquent Libel et Timon. D’une part, elle permettrait aux enfants scolarisés dans les Bas de revenir plus souvent, de se ravitailler plus facilement, mais aussi "lé bien pou tourist. Astèr ni pèrd in bon pe klian. Sé sat i fé viv anou". Les habitants pensent alors qu’il appartient à la Mairie d’agir. Le Maire, à l’écoute de leurs préoccupations, a précisé que si La Possession a accepté, avec les collectivités et le TCO, d’être le maître d’ouvrage du tracé, c’est parce que la Communauté de communes n’a pas voulu assumer sa compétence. "Le problème est que les études sont en cours et que les travaux devraient commencer en fin d’année pour un rendu en 2007, explique Roland Robert. Mais en attendant, on va quand même essayer de conforter la piste".

Intervenir ou intercéder

"Les habitants nous font part de différents problèmes. Je leur ai donc proposé de recevoir une délégation à la Mairie dès qu’elle sera constituée afin de tous les évoquer et l’on verra ceux qui relèvent de nos compétences, explique le Maire. Dans le cas contraire, la Mairie sera un relais, interviendra auprès des acteurs concernés, comme pour les élèves qui ne bénéficient pas du transport scolaire dans les Bas ou des familles d’accueil de lycéens qui perçoivent des aides inférieures à celles de collégiens". Pour ne pas laisser les problèmes gangrener, il faut rétablir et préserver le dialogue avec la population, mais l’on comprend que la distance freine ce lien de proximité et que tous les problèmes, comme celui de l’emploi, ne puissent être résolus dans l’instant.


Initier les Mafatais à l’informatique

"Je ne veux pas que les jeunes aient une vision fermée"

Rudy Bernnus, 20 ans, est le seul bachelier d’Aurère. Il a profité de la présence de Franck Olivier Lachaud, Secrétaire général de la Préfecture, à l’inauguration de l’école de l’Ilet pour lui faire partager son ambition : initier au plus tôt les enfants de Mafate à l’outil informatique. Une démarche courageuse qui a porté ses fruits.

"Une fenêtre sur le monde"

Rudy a su dépasser sa timidité pour aller à la rencontre du représentant de la Préfecture qui a apprécié son initiative et son idée. "Je lui ai dis que je voulais me rendre utile dans l’école en initiant les jeunes de Mafate à l’informatique. Je suis passé par là avant eux et je ne veux pas que, comme moi, ils ne soient pas préparés à l’extérieur. En arrivant en 6ème, ils sont largués. Je ne veux pas que les jeunes aient une vision fermée. En tissant un lien avec Internet, c’est une fenêtre sur le monde qui leur est ouverte. Ils peuvent se rendre compte des métiers qui existent, avoir des rêves, de l’ambition. C’est aussi un autre regard". Rudy, Mafatais, un Bac STI en poche, sait donc de quoi il parle, et à l’heure des débats sur l’égalité des chances, sur l’accès pour tous aux nouvelles technologies, il a visé juste.

Un CAE en attendant mieux

Le représentant de la Préfecture lui a donc proposé un CAE au départ de 6 mois pour travailler en itinérant sur toutes les écoles de Cirque et l’a incité par la suite à poursuivre des études à l’IUFM. Reste à ce que ces dernières aient le matériel informatique adéquat. La nouvelle école d’Aurère a juste un ordinateur qui, connecté au réseau hertzien de faible débit, permet juste des échanges de courriers. Mais déjà, un don de nouveau matériel est envisagé. Le professeur d’école Frédéric Arcé a par la suite essayé de faire entendre ses propres besoins qui pourraient être conciliés aux objectifs de Rudy. Un poste d’assistant de directeur en charge de la tenue administrative de l’établissement via l’informatique reste à pourvoir. Le financement est là, mais Rudy n’étant pas érémiste, il ne peut y prétendre. Et nul besoin d’insister pour déroger à cette règle, la Préfecture est formelle. Rudy va donc entamer son projet avec ce petit contrat, suivre les cours de la Faculté par correspondance pour d’ici 3 ans arriver à l’IUFM et multiplier des démarches auprès des collectivités et autres intermédiaires afin d’obtenir d’éventuels soutiens pour développer son programme Internet sur le Cirque. À bon entendeur... Rudy est prêt à tout et déterminé.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?

Messages

  • QUI POURRAIT ME COMMUNIQUER les coordonnées du chef de Village ou du Maire (s’il y en a un) de Mafat ? ou encore de la Mairie de la Possession qui s’occupe de cette partie si petite de l’île ? Important : proposition à faire pour aider cette population. Merci


Témoignages - 80e année


+ Lus