Un débat électrisé

Et si La Réunion se passait de la centrale thermique de EDF ?

18 octobre 2007

Aujourd’hui va se tenir au siège du TCO la deuxième réunion de l’instance de concertation locale mise sur pied pour faire passer à l’opinion le projet de centrale thermique présenté par EDF, en remplacement de la centrale du Port. Cette deuxième réunion a dans son ordre du jour un débat sur le choix du foncier et, en “hors-d’œuvre” une présentation des projets économiques du TCO.

Que va-t-il sortir de la réunion de l’Instance de Concertation Locale (ICL) convoquée ce matin pour examiner, notamment, la question du foncier ? Lors de l’installation de l’ICL, le 27 septembre dernier, il est apparu que EDF était seul à défendre son projet, labellisé par la Préfecture “projet d’intérêt général” - ce qui a eu pour effet de radicaliser les oppositions, même si celles-ci obéissent à des logiques différentes.
Le Maire de La Possession, Roland Robert, a refusé de participer à l’installation de l’ICL et fait savoir à qui veut l’entendre qu’il ne se rendra pas non plus à la réunion d’aujourd’hui. « Je ne participe pas à cette mascarade ! » proteste Roland Robert, selon qui l’Instance de Concertation Locale a été mise en place par le Préfet lorsque ce dernier s’est rendu compte que « tout le monde était contre » (le projet d’EDF - Ndlr). Les élus de la Possession sont favorables à un débat énergétique, mais ne croient pas à une décision « prise à quarante » - allusion au nombre des institutions invitées à débattre - et ont demandé à rencontrer « les décideurs du projet ».

Port et Possession récusent le projet EDF

A l’instar des élus possessionnais, beaucoup en effet ont eu le sentiment que ce projet était « plié à l’avance ». Cela a instauré un certain malaise lors de la première rencontre, et poussé les élus des deux collectivités concernées au premier chef par le choix de l’implantation - Port et Possession - à défendre chacun une position très radicale. Tandis que le Maire de La Possession laissait une chaise vide, celui du Port, présent à la rencontre, y a présenté la motion municipale, adoptée la veille, proposant de faire du Port « une ville solaire ». Le divorce ne pouvait être plus grand avec EDF, qui présente en remplacement de la centrale thermique du port-ouest (125 MW), un projet de centrale thermique au fuel de 206 MW - et 250 millions d’euros - installé sur une concession de l’État à EDF de 17 ha, sise au port-est. C’est de cet emplacement qu’il sera plus particulièrement question dans la réunion d’aujourd’hui.

La question du développement portuaire

Cet emplacement a déjà soulevé les oppositions des acteurs portuaires, syndicats de dockers et acconiers pour une fois d’accord, qui certainement aujourd’hui encore feront valoir leurs arguments pour maintenir ces 17 ha à la disposition d’activités portuaires liées au schéma d’aménagement du port et au projet de faire du port de La Réunion « un port d’éclatement régional et de transbordement », rappelle le syndicat CGTR Ports et docks.
De son côté, l’État n’est pas prêt à entendre dire qu’un projet de production d’électricité déclaré “d’intérêt général” pourrait venir supprimer de l’emploi. « Il y a de la place pour tout le monde, dans le plan de propositions portuaires, à la fois pour maintenant et pour plus tard », soutient pour sa part Jean Balandras, Secrétaire Général pour les Affaires Régionales (SGAR) à la Préfecture de La Réunion.

Un choix technologique très attaqué

La question de l’emplacement est à la fois liée à des questions économiques - coût de transport du combustible, nuisances... - et à des questions technologiques, ces dernières étant mises au “menu” de la prochaine rencontre de l’ICL, le 8 novembre prochain.
Or, c’est surtout sur ses choix technologiques que EDF est attaqué dans son projet. À la Possession, majorité et opposition s’accordent à le rejeter parce qu’elles y voient un risque de « verrouillage de la réflexion et des initiatives sur 30 ans », en particulier pour les énergies renouvelables (EnR) - voir encadré.
Dans la maison EDF même, ces choix technologiques éveillent des soupçons du côté des syndicats : les gains de productivité ne vont-ils pas conduire à des licenciements ? s’interroge la CGTR-EDF.

Les débats sur l’emplacement de cette installation s’annoncent d’autant plus vifs qu’après la mobilisation populaire, en 2000, contre l’installation d’une turbine à combustion dans le Port-Est, les élus de La Possession se rappellent qu’« EDF s’était engagé à ne plus rien installer dans ce secteur, ni TAC ni a fortiori une centrale thermique cinq fois plus puissante ». Un rapport du CESR, à l’époque, a aussi gardé cela en mémoire.

Produire en “semi-base” : hors du fuel point de sécurité ?

De son côté, EDF est arque bouté à un objectif de production « d’énergie de base et de semi-base » à partir duquel se fait la modulation des différents moyens de production, organisés dans le “triptyque” bagasse/charbon, fuel et EnR. « EDF a des actions de recherche importantes pour essayer de promouvoir d’autres énergies. On est bien conscient que les émissions de CO2 sont un problème général, par rapport au climat. Mais dans le Plan Prévisionnel des Investissements (PPI), les énergies fossiles sont les moyens les plus appropriés » exposait il y a peu à “Témoignages” Philippe Teyssier, responsable du projet de nouvelle turbine (TAC) au port-est, en l’absence du Responsable Production de EDF.
Au-delà des précautions de langage, ce que EDF fait entendre, c’est que les EnR appartiennent au domaine de la prospective et tout au plus de l’expérimentation. Mais dès qu’il faut passer aux “choses sérieuses”, c’est-à-dire à la production, on ne connaît plus à EDF que le nucléaire - qui donne lieu ici à toutes sortes de plaisanteries - ou les énergies fossiles.
Ce “noyau dur” de la position d’EDF est-il compatible avec le projet d’autosuffisance énergétique inscrit dans le PRERURE (Plan Régional des Energies Renouvelables et d’Utilisation Rationnelle de l’Énergie) pour l’horizon 2025-2030 ? Faut-il accepter comme une donnée intangible que notre consommation d’électricité puisse continuer d’augmenter de façon exponentielle ? Les efforts faits depuis 2000 pour maîtriser la consommation d’électricité ont fait passer sa croissance annuelle de 7%-8% en 2000 à 4%-5% aujourd’hui.

Un levier puissant : la maîtrise de la consommation

A l’ARER, Laurent Gautret, directeur technique pour le secteur ouest, rappelle que la maîtrise de la consommation est un levier fort, mais qu’il exige une réelle volonté politique. « Si la volonté régionale était relayée par EDF et par l’État, La Réunion pourrait commencer dès 2008 une expérimentation de l’opération “100% de chauffe-eau solaire” et “réglementation thermique sur la base du référentiel PERENNE pour tous les bâtiments”. A cette double condition, la progression de la consommation réunionnaise peut être stoppée et on parlera beaucoup moins de centrales fuel et de centrales thermiques » soutient-il.
Cette volonté politique, que la Réunion a réaffirmée lors du Grenelle de l’Environnement et qu’elle a les moyens de mettre en œuvre dès 2008, pourrait selon l’ARER être appuyée par un même volontarisme dans des EnR “à grande échelle”. La plus pointue à l’heure actuelle est l’Energie thermique des mers (ETM), dans laquelle Hawaï et le Japon sont leaders. Selon Laurent Gautret, « Le projet ETM pourrait être une solution pour une production d’énergie de base à grande échelle à une échéance de 15-20 ans. Et à courte échéance, 5 à 10 ans, cela peut être un projet créateur de richesses et d’emplois pour une île comme La Réunion ». Des projets de co-génération, alliant production d’électricité et utilisation de la chaleur dans de petites unités industrielles seraient en phase de gestation dans les hauts de l’Ouest.

Cet aspect sera certainement plus détaillé lors de la réunion de novembre. Néanmoins, il n’est pas sans incidence dans le débat portant sur le choix de l’emplacement, lorsqu’il faudra comparer la valeur économique relative des différents projets.

P. David


Le Port, « ville solaire »

Tirer les leçons du passé

Le Maire du Port, Jean-Yves Langenier, lorsqu’il récapitule tous les facteurs qui font du dossier de centrale thermique EDF une vraie « quadrature du cercle », ne peut qu’inciter à plus de réflexion et de débat.
« Il faut tirer les leçons du passé et ne pas répéter les mêmes erreurs. Le problème de l’extension du port va se poser tôt ou tard... », estime Jean-Yves Langenier, pour qui « l’erreur (de l’Etat et de la DDE- Ndlr) a été de ne pas avoir fait de réserve foncière dans le port ouest ».
Sur la question énergétique, la ville du Port se prépare à « tourner le dos aux énergies fossiles ». « On est à la fin d’une période, avec la raréfaction des énergies fossiles et leur renchérissement. Le pétrole va être de plus en plus cher. Aujourd’hui, il faut aller vers la transition énergétique et utiliser les énergies renouvelables ».

P. D.


La Possession

Majorité et Opposition disent “Non”

Pour le Maire de La Possession, EDF - qui intervient déjà dans le financement des travaux portuaires en cours - n’a retenu ce terrain que parce qu’il lui a été cédé par l’Etat. « Il faut regretter qu’il n’y ait pas eu plus de réflexion sur des alternatives », ajoute Roland Robert. L’autre point très négatif est à ses yeux la situation de “monopole” de EDF et « la complicité de l’Etat pour appuyer le passage en force d’EDF ». « Et si un jour le prix garanti par une subvention de l’Etat disparaît, quel sera le prix du kW/h pratiqué par EDF, avec une énergie fossile dont le coût explose ? »
Enfin, l’inquiétude la plus vive passe par ce que les élus de La Possession appellent « le verrouillage de l’avenir » : « Si on ne se passe pas de la CT, on va décourager toutes les initiatives EnR. Elles ne vaudront plus que pour remporter des prix dans des Salons ou des Congrès... »

L’opposant François Mas « soutient complètement l’opposition de la Mairie à ce projet ». Dans une conférence de presse, il s’est indigné qu’« au moment où le Grenelle de l’Environnement donne pour objectif de diviser par 4 les émissions de CO2 sur dix ans, EDF d’un seul coup vient multiplier par 2 les émissions de CO2 de toute La Réunion ». Selon les chiffres d’EDF, le projet nécessitera l’importation de 150.000 à 200.000 tonnes de fuel par an. « Cela correspondait peut-être à quelque chose d’économique avec un baril à 60 dollars... Mais à 86 dollars comme aujourd’hui et sans doute 100 dollars bientôt... Le seul prix du carburant justifie qu’on reconsidère le projet » a-t-il ajouté, en jugeant « ahurissant » qu’on puisse encore proposer une centrale au fuel lourd. « Il se fait de la R&D partout dans le monde sur les EnR » - il cite des exemples de centrale thermique solaire en Israël et de géothermie en Alsace. « Il y aura très bientôt probablement des solutions techniques. Il s’agit de produire en appoint quelques dizaines de MW, qui pourraient être couverts par l’hydraulique. (...) Est-ce qu’on ne pourrait pas tous faire un effort dans notre consommation ? C’est la problématique qu’il faut poser autrement : comment fait-on pour ajuster la demande à une offre d’EnR ? »

P. D.

Energies renouvelables

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