La FAO, après Fidel Castro, s’inquiète des choix énergétiques

24 juillet 2007

“Témoignages”, dans son édition du 6 avril dernier, reproduisait dans ses colonnes un long article signé par Fidel Castro, dont le titre était “Convertir les aliments en carburant, c’est créer la famine”. Cet article, dans la vague du ’tout éthanol’, était à contre-courant de tout ce qui se disait et s’écrivait depuis plusieurs mois. Aujourd’hui, la FAO -, l’organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation -, émet les mêmes inquiétudes. Son Directeur général, Jacques Diouf, interrogé dans le journal “Libération”, « estime que la ruée vers l’or vert profitera avant tout aux multinationales ».

Extraits :
« Ce nouveau mouvement [la mondialisation du pétrole vert] entraîne effectivement une augmentation des prix des productions végétales, mais aussi de l’alimentation des animaux. Le prix de la viande et du lait subit une hausse, et renchérit les importations de ces produits. Cette année, la valeur des importations alimentaires mondiales devrait ainsi subir une augmentation de 5% par rapport à 2006.
Comme toujours, ce sont les pays les plus vulnérables qui seront les plus affectés. (...)
Le boom des biocarburants va entraîner une augmentation de 9% des dépenses globales d’importations alimentaires des pays en développement. Parallèlement, le niveau des réserves d’aliments dans le monde baisse. (...)
Les urgences alimentaires ont augmenté depuis le milieu des années 1980. De 15 opérations par an, on est passé à 30 opérations annuelles depuis l’an 2000. Le changement climatique va accentuer cette tendance. Il va affecter en particulier les plus démunis, les petits agriculteurs et les pasteurs nomades qui dépendent directement d’une agriculture pluviale. En Afrique, 55 à 65 millions de personnes supplémentaires risquent de souffrir de faim vers 2080, à cause d’une élévation de température d’environ 2,5°C. La bioénergie vient se rajouter à ce problème déjà très complexe : elle pose la question de l’utilisation des ressources naturelles. La disponibilité, l’accès, l’offre et l’utilisation des aliments pourront être affectés par l’expansion des bioénergies.
Si l’augmentation du prix des matières premières est favorable aux producteurs de cultures énergétiques, elle implique des coûts supplémentaires pour les agriculteurs qui en ont besoin pour nourrir leur bétail. En revanche, un coût plus faible des bioénergies par rapport à l’essence et au diesel pourrait faciliter la mécanisation, et notamment l’utilisation des tracteurs et des équipements de transformation des produits agricoles.
Mais ce sont les grands producteurs agricoles et les sociétés transnationales de négoce qui sont les mieux placés pour tirer profit de cette nouvelle donne du marché. (...)
La mission de la FAO, c’est d’abord de faire en sorte que les 850 millions d’affamés puissent se nourrir. On va donc assister les gouvernements dans leurs politiques pour un meilleur usage de leurs ressources en biomasse, tout en préservant la sécurité alimentaire et en contribuant à un développement durable. »


La production d’éthanol

Aux Etats-Unis, la production annuelle d’éthanol à partir de maïs devrait doubler entre 2006 et 2016, tandis que dans l’Union Européenne, les volumes d’oléagineux destinés à la production de biocarburants devraient passer d’un peu plus de 10 à 21 millions de tonnes au cours de la même période. Les pays émergents font de même. Au Brésil, la production annuelle d’éthanol devrait atteindre quelque 44 milliards de litres d’ici 2016, contre 21 milliards environ aujourd’hui. La Chine devrait voir sa production actuelle d’éthanol, de l’ordre de 2 milliards de litres, grimper jusqu’à 3,8 milliards de litres.


Un monde à l’envers

Après Fidel Castro, la FAO s’inquiète des impacts des bioénergies sur la sécurité alimentaire.
En mars dernier, des manifestations virulentes ont éclaté au Mexique, mettant en cause la flambée des prix de la Tortilla, aliment de base des Mexicains fabriqué à partir de maïs. Dépendant des importations de maïs américains, le pays se voit confronté à une diminution des disponibilités, le maïs étant utilisé à des fins énergétiques aux États-Unis pour la fabrication d’agrocarburant.
La production d’éthanol à base de maïs s’est en effet accrue de 150% de 2000 à 2005 aux USA et l’on prévoit une nouvelle hausse de 20% pour 2006. Le pays compte une centaine d’usines d’éthanol opérationnelles, réparties dans 20 États, et 42 usines supplémentaires sont en cours de construction. 

Si cette crise s’est soldée, au final, par l’importation massive de 450.000 tonnes de maïs américains exemptés de droits et de 200.000 autres tonnes de toutes origines, elle est un exemple des tensions susceptibles d’apparaître suite au développement massif des bioénergies. L’intérêt grandissant pour ces carburants neutres sur le plan des émissions de CO2, fabriqués à partir de matières premières alimentaires comme la canne à sucre ou encore le maïs, risque de déséquilibrer et de mettre en péril la sécurité alimentaire de certaines populations. 


Afin d’évaluer l’importance de ces risques et les conséquences possibles de la production de biocarburants à grande échelle, des experts internationaux sont réunis au siège de l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) pour examiner l’état actuel des connaissances et proposer une feuille de route pour l’avenir. 

Les experts représentant différents pays, ainsi que des spécialistes de l’énergie, du climat et de l’environnement de la FAO et d’autres organismes, évaluent le potentiel global des bioénergies et les effets possibles de ce secteur à forte croissance sur la sécurité alimentaire.
La bioénergie détient un potentiel formidable pour les agriculteurs, en particulier ceux du monde en développement, indique Gustavo Best, Coordonnateur principal pour l’énergie à la FAO. « Mais elle n’est pas sans danger, et nous devons en faire état clairement », ajoute-t-il. 

En décembre 2006, à travers son rapport annuel sur les marchés alimentaires, la FAO mettait déjà en évidence une baisse des stocks mondiaux de céréales et les risques de pénurie alimentaire consécutifs. Des récoltes faibles à cause d’un climat difficile et une demande accrue en agrocarburants expliquaient cette situation.
Ainsi, un développement anarchique de ces nouvelles énergies changerait la donne et perturberait les équilibres alimentaires mondiaux déjà fragilisés par des conditions climatiques changeantes. 


Outre des problèmes de disponibilité alimentaire, le développement des agrocarburants ne sera pas exempt d’impact sur l’environnement et les écosystèmes agricoles. 

Les experts réunis à la FAO doivent donc évaluer le potentiel des biocarburants et identifier les moyens de les produire de manière durable et respectueuse de l’environnement et de la sécurité alimentaire. Cette réunion devrait aboutir à la rédaction d’une série de recommandations à destination des gouvernements membres de la FAO. 



F. Laby pour Actu Environnement



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