Des idées pour se libérer du pétrole

La Réunion s’abonne aux énergies renouvelables

12 mars 2005

Le PRERURE (Plan régional des énergies renouvelables et d’utilisation rationnelle de l’énergie) coûtera près d’un milliard d’euros aux collectivités. L’objectif en vaut la peine : arriver à 90% d’indépendance énergétique de l’île.

(Pages 6 et 7)

"Le concept de base, c’est l’arbre : une protection solaire avec une ventilation maximale". Dans la bouche de Nicolas Picou, chargé d’opération à l’Agence régionale de l’énergie de La Réunion, cette phrase n’a rien d’une provocation. Bien au contraire, dans une île où les gestes quotidiens sont un véritable défi au bon sens énergétique, ces mots rappellent une évidence : nous consommons trop d’électricité, donc trop d’énergies fossiles, amenées à disparaître dans ce 21ème siècle.
Ce qui amène deux constatations. D’abord, il faut modérer notre consommation d’énergie (planter des arbres pour rafraîchir la maison, par exemple ; ou circuler à vélo ou en tram-train plutôt qu’en voiture). Et ensuite, parmi les énergies que nous consommons, il faut progressivement baisser la part des énergies fossiles, notamment du pétrole, pour arriver à produire nous-mêmes l’énergie dont nous avons besoin.

Dépendance actuelle : 83 %

C’est que l’objectif de l’autosuffisance énergétique pour La Réunion ressemble actuellement à un objectif Lune. L’île dépend de l’importation de carburant raffiné pour ses besoins quotidiens, et avec l’accroissement démographique et la politique du tout-voiture, la consommation augmente de 7 à 8% par an.
Selon l’INSEE, la proportion de produits pétroliers importés crée une dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour 83% de l’énergie consommée ! On imagine les conséquences dramatiques qu’entraînerait un arrêt des importations. Il est d’ailleurs étonnant qu’aucun auteur de cinéma n’ait encore utilisé ce thème pour un scénario de film catastrophe.
Pour la seule production d’électricité, l’indépendance énergétique de l’île est actuellement de 50% (ce qui signifie que La Réunion ne produit que la moitié de l’électricité qu’elle consomme). Alors qu’en 1981, la totalité de l’électricité réunionnaise était produite par énergie hydraulique (propre et renouvelable), l’accroissement de la population et l’amélioration de son confort (climatisation, téléviseurs, congélateurs ...) ont obligé l’île à importer du pétrole (à partir de 1990) et du charbon (à partir de 1995). Le taux d’indépendance énergétique n’a cessé de se dégrader : il est vital que les Réunionnais inversent la tendance.
D’autant plus que notre production d’électricité est encore assurée par EDF, entreprise qui assure une mission de service public et, à ce titre, facture les kilowatts beaucoup moins chers que leur coût réel de fabrication. Au vu de l’évolution des services publics vers des logiques comptables privées, on peut se demander combien de temps les Réunionnais vont bénéficier de ce tarif de solidarité.

Autosuffisance à 90 % en 2025

Suite à la loi d’orientation pour l’Outre-mer, le Conseil régional a hérité de la compétence pour la maîtrise des énergies renouvelables. L’objectif du PRERURE (Plan régional des énergies renouvelables et de l’utilisation rationnelle de l’énergie) est d’arriver à une autosuffisance énergétique de 90% pour l’île en 2025, en sachant que certaines énergies ne pourront jamais être produites à La Réunion (carburant pour les avions, par exemple).
Le PRERURE a un coût : près d’un milliard d’euros. Le programme des énergies renouvelables coûtera à lui tout seul 706 millions d’euros, dont 283 pour les collectivités publiques (Région, Département, ADEME, État, Union européenne, etc). Mais pour nos élus comme pour Nicolas Picou, cet investissement en vaut la peine : c’est le prix à payer pour ne plus dépendre des importations et limiter les dégâts d’un développement économique que l’on sait meurtrier pour l’environnement. Selon les documents de l’ARER, si le PRERURE est mis en œuvre, il permettra de garder constant le niveau des émissions polluantes entre 2000 et 2025. Dans le cas contraire, elles augmenteraient de 156%...!
Alors, l’autosuffisance énergétique est-elle envisageable ? "Oui", répond sans hésiter Nicolas Picou. En chassant tous les gaspillages, en améliorant la conception des maisons pour qu’elles utilisent moins de climatisation tout en garantissant un confort thermique... "La DDE (Direction départementale de l’équipement) a mis en place un programme pérenne : un référentiel de construction pour tous les climats de l’île", complète M. Picou.
"Il faudra aussi repenser le réseau électrique, qui a été conçu pour une production d’énergie centralisée, et le transformer pour une production décentralisée". La route est longue pour atteindre l’objectif Lune, mais la fusée est sur orbite.

Nastassia


Avec la SAPHIR, la pluie pourrait faire de la lumière

La Société d’aménagement de périmètres hydro-agricoles développe actuellement le principe de turbines, pour produire de l’électricité à partir des captages d’eau.

Pourquoi se fatiguer à pomper de l’eau lorsqu’elle coule naturellement vers nous ? Cette question de bon sens, c’est Christian Delvas qui la pose. L’adjoint au directeur général de la SAPHIR (Société d’aménagement de périmètres hydro-agricoles de l’Île de La Réunion), société privée qui gère le réseau de distribution d’eau dans la région de Saint-Pierre, propose une idée très simple : utiliser l’eau de pluie canalisée à la fois pour l’irrigation et la production d’électricité.
"L’eau descend par gravitation, de la cote (altitude) 350 jusqu’au bord de la mer", explique Christian Delvas. "Et dans certaines canalisations, on observe de très fortes pressions". Normal, pour dix mètres d’altitude en moins, la pression augmente d’un bar. Sur un réseau de 9.000 hectares, entre Saint-Leu et Petite-Île, l’eau circule beaucoup...
"Dès l’origine, le concepteur du réseau a prévu des réducteurs de pression, poursuit M. Delvas, des appareils hydrauliques qui agissent mécaniquement sur le fluide pour casser la pression". Un système de piston additionné à un ressort provoque l’accélération de l’eau, ce qui affaiblit sa pression.
"L’idée de SAPHIR, suggère M. Delvas, est de placer des turbines à ces endroits-là, pour casser la pression et faire tourner des roues à aubes". Le principe médiéval du moulin à aube servirait à produire de l’électricité. L’idée n’est d’ailleurs pas neuve : une turbine de la CISE produit déjà de l’électricité à Bras-des-Lianes, près de Salazie, à partir du réseau d’eau potable (1) .
Pour la SAPHIR, qui transporte l’eau brute à la fois pour les communes et pour l’irrigation des champs de canne, les conclusions de l’étude de faisabilité sont très favorables. "Il y a onze sites, sur nos réseaux, où nous pourrions produire de l’électricité de façon rentable", explique Christian Delvas. C’est-à-dire où le prix d’achat par EDF permettrait à la société privée de réaliser un bénéfice.
Outre son caractère novateur, cet investissement aura l’avantage de produire autant d’électricité que celle que la SAPHIR achète actuellement à EDF ! "EDF aura gagné 6,3 GW/h", simplifie le directeur. C’est minuscule par rapport à la consommation totale de La Réunion, mais plusieurs petites économies cumulées pourront aboutir à une grande.
"Si les concepteurs du réseau avaient prévu des turbines dès le départ, cela aurait été dix fois plus rentable", regrette Christian Delvas, qui précise que dorénavant, lorsqu’un concepteur de réseau fait des études, il peut prévoir directement un appareil de production électrique. "Il y a la possibilité de placer des micro turbines sur les réseaux urbains ; il y a là de l’énergie à récupérer. Ce sont des petits plus qui contribueront à l’autonomie énergétique".
D’autant plus que La Réunion reçoit chaque année cinq milliards de mètres cubes de pluie (ce n’est pas un hasard si le cirque de Salazie détient le record mondial de pluviosité). Des millions de mètres cubes partent directement à la mer, pendant que la Générale des eaux pompe pour diffuser de l’eau potable. En dehors de quatre mois de relative sécheresse chaque année, pendant lesquels le pompage restera nécessaire, La Réunion devrait pouvoir mieux utiliser ses eaux de pluie. "Nous sommes acculés physiquement à régler nos problèmes localement", conclut Christian Delvas.

(1) Voir le site Internet de l’ARER www.arer.org


Des vagues, du vent, du soleil : une carte postale !

De nombreuses initiatives ont déjà été prises, médiatisées et soutenues par le Conseil régional pour encourager la production d’énergies renouvelables (chauffe-eau solaires, maîtrise de l’énergie à l’usine Edena, éolienne à l’IUT de Saint-Pierre, etc). Nous avons souhaité interroger des acteurs d’initiatives plus récentes ; mais ceux-ci préfèrent rester discrets. Nous nous contenterons donc d’un petit tour d’horizon, avec l’aide de Nicolas Picou, de l’ARER.
En commençant par les chauffe-eau solaires : "Il y en a 50.000 à La Réunion ; ça marche bien", confirme M. Picou. On mesure leur rôle social lorsqu’on voit des chauffe-eau solaires sur les toits de modestes habitations dans les Hauts, dans des familles aux revenus très modestes : oui, l’énergie, ici subventionnée par le Conseil régional, doit rester un service public.


Des éoliennes pour alimenter Sainte-Rose

Une autre initiative a déjà fait couler de l’encre : les vingt-trois éoliennes de Sainte-Rose suscitent déjà les craintes des riverains en raison du bruit. L’entreprise Vergnet océan Indien n’a pas souhaité répondre à nos questions. Selon Nicolas Picou, ces éoliennes vont bientôt entrer en phase industrielle et produiront de l’électricité, revendue à EDF. D’après nos confrères du “Quotidien”, la production attendue est de 10 millions de kilowatts/h par an, soit l’équivalent de la consommation de la ville de Sainte-Rose. En cas de cyclone, les 23 éoliennes seront rabattues sur le sol.
La force de l’eau est utilisée dans les centrales hydroélectriques depuis le début du 20ème siècle. Mais l’Homme essaie désormais de la domestiquer hors des ravines : l’eau de mer réserve quelques petits secrets. Non pas avec les marées, invisibles à La Réunion en raison de la forte pente du bord de mer, mais avec l’énergie des vagues. "Le Conseil régional a lancé une étude pour évaluer ce potentiel", précise M. Picou. Des expériences sont déjà menées en Écosse et aux Açores.
Des vagues, du vent et du soleil : tous les attributs d’une carte postale touristique sont désormais sollicités pour produire de l’électricité, et économiser le coûteux pétrole.


Canne : "subventionner la bioénergie plutôt que le sucre"

La canne ne se transforme pas seulement en sucre. Déjà deux sucreries (Gol et Bois-Rouge) sont flanquées d’une centrale thermique, qui produisent chacune de l’électricité à partir de la bagasse. Et si, comme le laissent entendre les négociations actuelles de l’OCM, La Réunion devait limiter sa production de sucre ?
Nicolas Picou, de l’ARER, évoque l’hypothèse de sélectionner la canne pour ses qualités énergétiques et non sucrières. Voire de remplacer carrément la canne par un autre végétal sur certains sites. Avec ça, imagine M. Picou, "on résout deux problèmes : l’agriculture vit d’une production locale, et on continue à avoir des ressources locales d’énergie". Autrement dit : "On subventionnerait la bioénergie plutôt que le sucre".
Car l’usage du sous-produit de la canne a fait ses preuves : "la bagasse permet d’éviter la production de gaz carbonique : elle n’entraîne donc pas d’effet de réchauffement climatique", constate Nicolas Picou. C’est différent de l’exploitation fossile du bois, extrêmement destructrice en Amazonie ou en Afrique centrale, car les espèces coupées ne sont pas replantées et donnent lieu à une véritable déforestation. Un pillage des forêts pauvres qui entraîne de lourdes conséquences pour toute la planète.


An plis ke sa

o + 350% : c’est l’augmentation de la consommation d’énergie ces vingt dernières années, essentiellement par le pétrole et le charbon.

o 2079 GW/h : c’est la production électrique totale de La Réunion en 2003, calculée en gigawatts (milliards de watts) par heure. Dont 30% par énergie hydraulique, 14% par exploitation de bagasse, 27% par fuel lourd et gazole et 29% par charbon.

o Géothermie : des études sont menées pour déterminer si La Réunion possède des sources géothermiques (nappes d’eau à forte température), en raison de son activité volcanique. Si oui, ce pourrait être, comme en Islande, une source d’énergie renouvelable et non polluante.

o Biomasse : l’ADEME (Agence départementale pour la maîtrise de l’énergie) étudie la possibilité d’exploiter du bois pour fabriquer de l’énergie : soit des espèces plantées, soit des plantes invasives qui repoussent spontanément. Peuvent aussi être utilisés les déchets industriels du bois et des espaces verts.

o Biogaz : des expériences sont en cours, mais l’agriculteur que nous avons sollicité n’a pas souhaité nous recevoir. Il s’agit de fabriquer de l’énergie à partir d’un gaz de fermentation de déchets agricoles. Les boues de stations d’épuration peuvent aussi être utilisées pour la production de méthane, qui sera brûlé dans une turbine. En 2005 doit être réalisé le centre d’enfouissement technique du Gol : une décharge qu’on recouvre d’une bâche. La fermentation produira du méthane.

o À lire : l’édition spéciale de “Systèmes solaires, l’observateur des énergies renouvelables” consacrée à l’île de La Réunion (janvier-février 2004). Ce document, réalisé en partenariat avec l’ARER, cite les expériences menées dans l’île.


Une agence SAVE pour La Réunion

Dans un communiqué diffusé hier, l’ARER (Agence régionale de l’énergie Réunion) fait savoir qu’elle-même ainsi que l’Agenzia veneziana per l’energia et Kaunas regional energy agency "ont contracté en 2003 un contrat SAVE (Specific action for vigourous economy) pour le soutien à la mise en place d’agences SAVE respectivement sur l’île de La Réunion, la ville de Venise, en Italie et la ville de Kaunas, en Lituanie" et que "ces 3 agences se rencontrent à La Réunion le 15 et 16 mars prochain en présence de M. Ballesteros Torres, responsable du programme SAVE Agency à la Commission européenne".
Cette rencontre a pour objectif "de présenter à la Commission européenne l’état d’avancement et le fonctionnement de chaque agence, de définir des axes potentiels de coopération entre les agences". Pour La Réunion, "c’est une occasion exceptionnelle de valoriser auprès de partenaires européens les savoir-faire et les initiatives techniques et financières innovantes relatives à la maîtrise de l’énergie et aux énergies renouvelables".
Selon l’ARER, "les acteurs réunionnais de l’énergie ont une connaissance imparfaite de l’action de l’Union européenne dans le cadre de la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique" et qu’à l’inverse,
"l’Union européenne n’a pas une vision très précise des actions menées au niveau régional et dans l’océan Indien sur ces domaines particulièrement stratégiques pour les îles tropicales comme La Réunion".
Ainsi, l’ARER organise le 16 mars prochain à l’IUT de Saint-Pierre "une journée de concertation entre ce représentant de la Commission européenne et divers acteurs locaux du monde institutionnel, économique et de la recherche sous forme de conférence présentant le Programme énergie intelligente pour l’Europe le matin et d’ateliers de travail sur différentes thématiques liées à la mobilisation des aides européennes pour structurer l’action régionale l’après-midi".
Cette journée est ouverte aux acteurs intéressés qui peuvent s’inscrire au 0262.38.39.34

Energies renouvelables

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