L’urgence d’aller vers le développement durable

Pétrole : réserves mondiales surestimées

19 novembre 2009

Le monde est beaucoup plus près d’un épuisement des réserves de pétrole que ce que les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) affirment, mais celle-ci minimise le danger d’une pénurie pour ne pas créer un mouvement de panique, a affirmé “The Guardian” du lundi 9 novembre dernier. « Les Américains craignent la fin de la suprématie du pétrole parce que cela menacerait leur pouvoir fondé sur l’accès aux ressources pétrolières », affirme un responsable de l’AIE.
Les Etats-Unis ont joué un rôle important pour encourager l’AIE à minimiser le déclin des champs de pétrole existants et à surévaluer les chances de trouver de nouvelles réserves, indique le quotidien britannique.

Le monde est beaucoup plus près de manquer de pétrole que ne l’admettent les estimations officielles, selon un informateur de l’Agence internationale de l’énergie qui affirme que l’imminence d’une pénurie a été délibérément sous-évaluée de peur de déclencher des achats de panique.

Ce haut fonctionnaire de l’AIE affirme que les USA ont usé de leur influence pour obtenir de la sentinelle (l’AIE) qu’elle sous-estime le déclin des champs pétroliers et surestime les possibilités de trouver de nouvelles réserves.

Ces affirmations font naître de sérieux doutes quant à la précision des récents travaux sur les Perspectives d’énergie mondiale quant à la demande de pétrole et aux réserves prouvées dont les résultats doivent être publiés prochainement. Cette publication est utilisée par les Britanniques et par nombre de gouvernements pour déterminer la politique à suivre tant dans le cadre de leur politique énergétique que dans celle, plus importante, destinée à faire face aux changements climatiques.

En particulier, ils mettent en doute la prédiction des dernières Perspectives économiques mondiales, que l’on pensait pertinente pour cette année aussi selon laquelle la production de pétrole pouvait être portée, de son niveau actuel de 83 millions de barils par jour, à 105 millions de barils/jour. Des critiques externes soutenaient fréquemment que ces prédictions ne reposaient sur aucune preuve établie et affirmaient que le monde avait déjà atteint et dépassé le "Peak Oil" (point d’extraction maximum de pétrole).

« Impératif de ne pas fâcher les Américains »

Désormais, la théorie du “Peak Oil” trouve un soutien au sein même des instances officielles responsables de la prospective énergétique. « En 2005, l’AIE prévoyait qu’en 2030, les réserves de pétrole pourraient s’élever à 120 millions de barils/jour même si, l’an dernier, elle a été contrainte de réduire progressivement cette prévision à 116 M/b/j puis 105 M/b/jour », a déclaré la source de l’AIE, qui, par crainte de représailles, tient à rester anonyme. « Le chiffre de 120 M/b/jour a toujours été une fiction, mais même aujourd’hui, la production prévue est largement surestimée et l’AIE le sait ».

« Nombreux, au sein de l’AIE, sont ceux estimant que le maintien de l’approvisionnement en pétrole, même à 90 M/b à 95 millions de barils par jour ne peut être atteint, mais il est à craindre que la panique s’empare des marchés financiers si les prévisions annoncées étaient inférieures. Et les Américains redoutent la fin de la suprématie du pétrole parce que cela menacerait leur pouvoir fondé sur l’accès aux ressources pétrolières ».
Une deuxième source éminente de l’AIE, qui, bien que n’y travaillant plus a été tout aussi réticente à donner son nom, a déclaré que l’une des règles fondamentales à l’AIE est qu’il était « impératif de ne pas fâcher les Américains », mais le fait est qu’il n’y a pas autant de pétrole dans le monde qu’annoncé. « Nous sommes [déjà] entrés dans la zone du Peak Oil ». « Je pense que la situation est très grave », a-t-il ajouté.

L’AIE sait toute l’importance des chiffres qu’elle communique. Elle s’en vante ainsi sur son site : « Les gouvernements membres de l’AIE et l’industrie mondiale savent qu’ils peuvent se baser sur les Perspectives énergétiques mondiales qui leur procurent les bases cohérentes leur permettant d’élaborer leur politique ainsi que leurs "business plans" ».
Le gouvernement britannique, entre autres, utilise toujours les statistiques de l’AIE plutôt que les siennes propres pour affirmer qu’il n’existe guère de danger en matière d’approvisionnement en pétrole sur le long terme.
Le 9 novembre, l’AIE a déclaré que, à tort le plus souvent, les tenants du "Peak Oil" avaient mis en doute l’exactitude de ses chiffres. Pour autant, un porte-parole de l’AIE s’est déclaré dans l’impossibilité de faire quelque pronostic que ce soit à propos du rapport de 2009 à paraître mardi 10 novembre.

S’orienter vers un système économique plus durable

John Hemming, député présidant le groupe parlementaire travaillant sur les questions des pics pétrolier et gazier, a déclaré que ces révélations confirment les soupçons selon lesquels l’AIE sous-estimait la vitesse à laquelle se raréfie la ressource mondiale d’hydrocarbures alors même que cette raréfaction a d’importantes implications pour la politique énergétique du gouvernement britannique.
Il a dit qu’il avait également été contacté par certains responsables de l’AIE déçus par le manque d’indépendance et l’imprudence des prévisions. « Le recours à des rapports de l’AIE a été utilisé pour justifier les déclarations selon lesquelles les pics pétrolier et gazier ne seront pas atteints avant 2030. Il est clair désormais que ce ne sera pas le cas et les chiffres de l’AIE ne peuvent plus être invoqués », déclare le député Hemming.
« Tout cela confère encore plus d’importance à la Conférence de Copenhague [changements climatiques] et l’urgence pour le Royaume-Uni à s’orienter beaucoup plus vite vers un système économique plus durable [avec moins d’émission de carbone] si nous voulons éviter de très graves perturbations économiques », a-t-il ajouté.

L’AIE a été créée en 1974 après le choc pétrolier afin de sauvegarder les approvisionnements énergétiques de l’Ouest. Le "World Energy Outlook" est publié chaque année sous le contrôle du directeur économique de l’AIE, Fatih Birol, lequel a toujours défendu les prévisions et travaux antérieurs de l’AIE contre toute critique externe. Or, les tenants de la théorie du "Peak Oil" ont souvent mis en doute les chiffres de l’AIE.
Mais aujourd’hui, rapportent les mêmes sources de l’AIE ayant contacté le "Guardian", c’est au sein même de l’AIE que Fathi Birol se trouve confronté à des questions sur les chiffres qu’il couvre de son autorité.

Des prévisions trop optimistes ?

Matt Simmons, expert respecté de l’industrie pétrolière, s’est longtemps interrogé à propos du déclin des ressources que les statistiques établies par l’Arabie saoudite sur ses propres champs faisaient apparaître. À partir de là, il a publiquement demandé si le pic pétrolier n’était pas, en réalité, bien plus proche qu’annoncé.

Un rapport, publié le mois dernier par le Centre britannique de recherche pour l’énergie (UKERC), a déclaré que la production mondiale de pétrole atteindra un « pic » puis connaîtra un déclin inéluctable avant 2020 — mais que, pourtant, le gouvernement semblait ne pas vouloir tenir compte de ce risque. Steve Sorrell, auteur principal du rapport, a déclaré que les prévisions selon lesquelles la production de pétrole n’atteindra pas le "Peak Oil" avant 2030 étaient « au mieux très optimistes, et au pire, totalement invraisemblables ».

Force est de constater que, depuis 2004 nombreux sont ceux ayant poussé de tels cris d’alarme. Colin Campbell, ancien cadre de Total-France déclarait lors d’une conférence : « Si les vrais chiffres des réserves [de pétrole] se révélaient fondés, se serait la panique sur les marchés boursiers... ce qui, au final, ne ferait l’affaire de personne ».

Traduction : Jean Saint-Marc

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