Les énergies - 1 -

Une année cruciale vers la “transition énergétique”

15 janvier 2008

Quel bilan pouvons-nous faire de l’année 2007 sur le plan des énergies et de la politique énergétique à La Réunion ? L’année dernière a été marquée par des événements importants - le lancement de la recherche en géothermie, la création de Témergie, la révision du PRERURE, la consultation locale autour d’une centrale thermique de remplacement, l’enclenchement du processus des villes solaires... entre autres faits notables - eux-mêmes partie prenante d’une logique alternative à long terme, visant « l’autonomie énergétique » en 2025 à partir de sources d’énergie renouvelables en proportions croissantes... qui un jour seront majoritaires.

En 2007, nous pouvons considérer que La Réunion a parcouru un tiers du chemin sur la période de sa transition énergétique 1996-2025. Au moment de faire le bilan de cette année, il est important de situer cette phase de transition - essentielle pour notre île - dans le contexte mondial, ne serait-ce que pour éclairer l’événement politique - un temps incompris ici des faiseurs d’opinion - qui, il y a bientôt huit ans, a placé les “bouleversements climatiques” au cœur du débat politique des législatives partielles de septembre 1996.
Le “choix” des Législatives a été quasi anecdotique, c’est pourquoi ceux qui n’ont pas vu qu’il fallait sortir du cadre de la seule politique réunionnaise ne l’ont pas compris. C’est à l’échelle de ce qui se jouait dans le monde sur la question du climat que se comprend la prise de position exprimée par Paul Vergès en septembre 1996.
Il s’agissait pratiquement de la première élection d’envergure nationale (*) depuis la Convention scientifique de Berlin (avril 1995) au cours de laquelle les scientifiques du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, avaient fait entendre fortement et pour la première fois collectivement, leurs inquiétudes au sujet de la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre (GAS) décidée en 1992 à Rio. Cet objectif devait être atteint en une décennie, or dès 1995, à Berlin, les scientifiques firent voir la nécessité de fixer des objectifs plus ambitieux pour la réduction des émissions de CO2. Le prochain rendez-vous était alors le Protocole de Kyoto (1997) et la bataille faisait rage, en coulisses, entre les scientifiques du GIEC et les lobbies industriels prêts à tout pour s’opposer à quelque réglementation que ce soit.
Rappelons ici que le GIEC - qui réunit 2.500 des plus grands scientifiques mondiaux - a été créé par les Nations Unies en 1988 pour produire des rapports d’évaluation scientifiques sur le réchauffement climatique. Son premier rapport date de mai 1990 et c’est aussi depuis cette date que de très grosses sociétés industrielles - multinationales américaines, européennes, japonaises... - ont constitué un réseau de groupes de pression, menant d’intenses campagnes de propagande contre toute remise en question de la politique énergétique fondée sur les combustibles fossiles.
Ces multinationales, matrices de la nouvelle économie mondiale, sont devenues une projection du monde de la finance (fonds d’investissements spéculatifs et fonds de pension) et convergent comme lui vers un but unique : l’accumulation sans limites du profit.

Autour du Protocole de Kyoto

En Juillet 1996 a eu lieu la 2e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques. Les lobbies menèrent une bataille de plusieurs mois pour contrer les observations du GIEC, alimentant notamment la polémique sur le rôle joué par l’homme dans ces changements. C’est aussi à ce moment-là, en juillet 1996, que Greenpeace International fit paraître “le Fléau des sceptiques” (The Scourge of the Sceptics) pour combattre les manigances des grands complexes industriels, fers de lance des combustibles fossiles.
C’est à partir des négociations de Berlin qu’a été remis en cause le “mode de vie à l’américaine” basé sur une énergie abondante et bon marché. Depuis 1992, le principal accusé dans les changements climatiques et les dangers qu’ils représentent pour la survie de la planète est le CO2, produit par une utilisation massive des combustibles fossiles. Et au premier rang des utilisateurs, qui trouve-t-on ? Les Etats-Unis (25% des émissions à l’époque), partis faire la guerre à l’Irak en 1991 pour garantir son approvisionnement en pétrole, et les multinationales du carbon-lobby, coalition informelle des pétroliers, des groupes charbonniers, des compagnies électriques et des constructeurs automobiles.
Ces derniers ont tout mis en œuvre - sur les plans scientifiques, économiques, diplomatiques... - pour faire couler les négociations initiées à Berlin : ils “inventeront“ à partir de là les “puits de carbone”, puis le marché du “droit de polluer” et plus tard ses “mécanismes de développement propre” (MDP) qui permettent aux industriels d’acheter et de vendre des droits d’émissions, y compris au Pays en développement. Censés entrer en application en 2008, les permis d’émission ont très vite donné lieu à un juteux marché de 50 milliards de dollars, catalysé dès 1999 par la Banque Mondiale et son “Prototype Carbon Fund”, tandis que cette même institution consacrait moins de 10% de ses énormes moyens aux énergies renouvelables.
Malgré toutes ces manœuvres, et en dépit des compromis qu’il a fallu trouver, l’accord de Kyoto de décembre 1997 a été une défaite du carbon-lobby : les pays développés - qui sont les principaux pollueurs - se sont engagés à réduire leurs émissions de 5,2% en moyenne par rapport à 1990, et ce jusqu’à 2012.

Politique régionale : « penser global, agir local »

C’est dans ce mouvement mondial-là que La Réunion s’est inscrite en 1996, participant à son échelle à une prise de conscience planétaire sur la nécessité de remettre en cause un type de développement fondé sur le pillage (et gaspillage) des ressources naturelles et des matières premières.
À partir de là s’est développée ici la conscience d’un “développement durable” qui a trouvé sa traduction dans le programme présenté par Paul Vergès aux élections régionales de 1998 : une autre politique des transports et des déplacements, une autre politique des énergies, l’Agenda 21 mis en œuvre à La Réunion à partir de 2002... tandis que, dès décembre 2000, la Loi d’Orientation pour l’Outre-Mer (LOOM) donnait à la Région, par son article 50, la compétence en matière d’énergies renouvelables. La même année, la Région Réunion créait l’Agence Réunionnaise des Energies Renouvelables (ARER).
Depuis cette loi 2000, les objectifs énergétiques - qui auparavant étaient une compétence de l’Etat, déléguée à EDF qui établissait seule les objectifs du PPI (Plan pluriannuel d’Investissements) -, sont devenus l’enjeu - à défaut d’en être le fruit - d’une négociation... dont on a vu à la fin de l’année 2007, avec l’instance locale de concertation (ILC) pour le remplacement d’une centrale thermique au fuel, qu’elle peinait à s’instaurer. Il est de mauvaises habitudes difficiles à perdre.
L’avenir est pourtant dans une révision à la baisse de tout ce qui est basé sur les énergies fossiles. Le premier PRERURE (Plan régional des énergies renouvelables et d’Utilisation rationnelle de l’Energie) approuvé en 2005 a été mis “en révision” à compter de la fin de l’année dernière, pour permettre de réajuster les premières évaluations. Les perspectives les plus spectaculaires sont celles ouvertes par l’énergie solaire, largement sous-estimées dans le premier plan. L’éolien, la géothermie et les technologies des énergies de la mer font aussi partie des alternatives.

À suivre...

P. David

(*) En laissant de côté la Présidentielle d’avril-mai 1995, trop rapprochée. Le 2e rapport d’évaluation du GIEC est paru en décembre 1995 et il conclut que « le reste des preuves suggère une influence humaine perceptible sur le climat planétaire » et que « des réductions importantes dans les émissions nettes de GAS sont techniquement possibles et peuvent être économiquement viables ». Deux mille des plus grands économistes du monde appuyèrent cette thèse.


L’hydre capitaliste ou les nouveaux dieux du climat

Fait sans précédent dans l’Histoire, certaines entreprises ont dans le système actuel plus d’avoirs et d’influence que certains pays riches. Wal Mart, géant de la distribution, fait 350 milliards de (US) dollars - équivalent du PIB de la Belgique ou de l’Arabie Saoudite. Le chiffre d’affaires de General Motors dépasse le PIB du Danemark, celui d’Exxon Mobil, le PIB de l’Autriche. Cette multinationale pétrolière a explosé en 2005 le record historique des bénéfices nets : 10,7 milliards de dollars en un seul trimestre. Il n’est pas difficile d’imaginer la capacité de nuisance que peuvent avoir de tels mastodontes lorsqu’ils décident de s’unir sur un objectif : l’élection de George W. Bush par exemple, en 2000 et 2004.

Liste non exhaustive des lobbies les plus puissants

Le Global Climate Coalition (GCC) - qui a mené l’opposition au Protocole de Kyoto en finançant des “études scientifiques” concluant à l’absence de lien entre les activités économiques des multinationales et le réchauffement climatique. Créée en 1989 par la firme de Relation publique Burston-Marsteller, la GCC a regroupé des membres de poids comme Amoco, Chevron, Chrysler, Dow Chemical, DuPont, Exxon, Ford, General Motors, Mobil, Shell, Texaco et Union Carbide. Ensemble et avec l’Association des Industries de l’Automobile (AAM), ils ont dépensé 13 millions de dollars US pour tenter d’empêcher les réglementations sur les émissions de gaz à effet de serre.
La Chambre de Commerce Internationale (ICC) est en elle-même une vaste coalition de lobbies nord-américains, introduits sous cette façade dans toutes les négociations politiques internationales. L’ICC est une organisation mondiale qui a créé des comités nationaux sur les cinq continents. Dans notre région (OI et afrique orientale et australe), ICC est présente à Madagascar, en Tanzanie et en Afrique du Sud.
L’IPIECA (Association internationale de l’industrie pétrolière pour la Sauvegarde de l’Environnement) a eu parmi ses membres Exxon et Mobil, avant et après leur fusion.

30% du Produit mondial brut sous contrôle

La Business Roundtable (BRT), regroupant 200 PDG et chefs d’entreprises - dont ceux d’ExxonMobil -, est l’une des plus anciennes et plus efficace organisations politiques des USA. Aux Etats-Unis toujours, l’American Farm Bureau Federation (AFBF), puissant lobby agricole, a lancé le groupement des Farmers Against the Climate Treaty (FACT) contre toute négociation sur le climat.
Il faut aussi compter avec la Business Council on National Issues (BCNI) du Canada, formée dans les années 70 sur le moule de la BRT américaine et regroupant 140 des entreprises les plus puissantes (dont : Macmillan Bloedel, IBM, Shell, Texaco et Ford).
Moins connues, l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE) et la Table ronde européenne des Industriels (ERT, en anglais) - cette dernière regroupant les PDG de 45 des plus puissantes firmes européennes - sont de ces hydres capitalistes introduites partout. Fondée en 1983 par les patrons de Fiat, Philips et Volvo, l’ERT a développé une stratégie moins agressive que les lobbies américains mais pas moins dangereuse.
Plus de 15.000 lobbyistes travaillent aujourd’hui à Bruxelles où leurs effectifs ont doublé entre 1995 et 1999. Selon le commissaire européen chargé des affaires administratives, d’audit et de fraude, les lobbyistes représentent quelque 3.000 groupes d’intérêt et drainent à eux seuls un budget annuel de 60 à 90 millions d’euros. Ils sont près de 35.000 à Washington, où les agences ont doublé entre 2000 et 2005.
D’un point de vue collectif, les multinationales les plus influentes disposent de richesses qui leur confèrent un pouvoir démesuré : en 2002, les 200 plus grandes sociétés multinationales contrôlaient ensemble le quart du produit mondial brut. En 2006, elles se rapprochaient des 30%.

P. D.

Les atouts de La RéunionEnergies renouvelables

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