Des maires convoqués par la Justice

Assainissement : les maires demandent la clarification dans la sérénité

30 mai 2008, par Manuel Marchal

Au moins 7 maires sont convoqués le mois prochain devant un juge d’instruction pour répondre de faits de pollution commis par la commune entre 2003 et 2005. Cet événement sans équivalent en France met sur le devant de la scène le retard dans la mise aux normes européennes des réseaux d’assainissement. Alors que des projets sont prévus et lancés depuis longtemps, des retards indépendants des communes et des intercommunalités rallongent les délais de réalisation. Jadis à 80%, le taux de subvention de l’Europe et de l’Etat a diminué, il dépasse aujourd’hui à peine 30%, alors que le prix d’une station d’épuration se chiffre en dizaines de millions d’euros. L’Association des Maires de La Réunion a déposé hier une motion auprès du préfet et du procureur de la République. Elle s’étonne de la judiciarisation de cette question, l’instrumentalisation de l’institution judiciaire et demande la clarification sur les modalités de financement des réseaux d’assainissement.

« Les maires de La Réunion (...) s’insurgent contre un tel procédé qui consiste purement et simplement à instrumentaliser l’institution judiciaire comme si elle pouvait gérer, par ses moyens coercitifs, les questions relevant des compétences des collectivités territoriales (...) ; estiment que le traitement pénal de cette affaire, tout à fait singulier, n’est pas de nature à permettre le règlement du complexe et coûteux dossier des stations d’épuration à La Réunion ; attirent solennellement l’attention du représentant de l’Etat sur le fait que le retard apporté par la France dans le traitement de l’application des directives européennes en matière de collecte et de traitement des eaux usées a entraîné la condamnation de l’Etat français en septembre 2003 par la Cour de Justice des Communautés européennes et ne peut, en aucun cas, à La Réunion se prolonger par la pénalisation des maires dans ce dossier qui requiert beaucoup plus de respect, de sagesse et de sérénité (...) ; souhaitent être fixés de manière définitive sur les modalités de financement de ces équipements, au mieux des intérêts des finances locales et du développement durable ».
Ces quelques lignes sont extraites de la motion de l’Association des Maires de La Réunion, déposée hier à la Préfecture et auprès du procureur de la République.

Une procédure d’exception

Elle est le résultat d’une situation sans équivalent dans la République : au moins 7 maires de notre île sont convoqués par un juge judiciaire en vue d’être mis en examen pour des faits liés à l’assainissement. Hier, l’Association des Maires, représentée par Eric Fruteau, Jean-Yves Langenier, Maurice Gironcel, Bruno Mamindy Pajany et Jean-Claude Fruteau, a souligné le caractère inédit de la situation, et cela à plusieurs titres.
En effet, habituellement, les différends avec les collectivités se règlent devant la juridiction administrative. C’est donc la première fois que pour des faits liés à l’assainissement, des maires sont convoqués par un juge judiciaire. C’est d’ailleurs une première pour toute la République, constate l’Association des Maires. Ce précédent ne concerne pour le moment que les communes de la juridiction Nord et Est : Saint-Paul, Le Port, Sainte-Marie, Sainte-Suzanne, Saint-André, Saint-Benoît et Sainte-Rose. Cette convocation est adressée au représentant légal de la commune, à savoir le maire en exercice.
Sont également visées des communes qui possèdent déjà une station d’épuration qui était, dans le passé, aux normes françaises, mais qui n’est plus adaptée aux normes européennes. C’est par exemple le cas du Port. Ces nouvelles normes, les maires ne les contestent pas, bien au contraire, ils soutiennent que le développement durable ne peut pas se concevoir sans un réseau d’assainissement capable d’éviter toute pollution.
Mais plusieurs questions se posent. Il s’agit tout d’abord du contexte spécifique à La Réunion. Du fait de ces retards structurels par rapport à l’Europe, notre île est une région ultrapériphérique bénéficiant du niveau le plus élevé de fonds européens au titre de l’appartenance à l’Objectif Convergence. Et depuis de nombreuses années, les communes investissent dans les infrastructures, l’assainissement, le logement, le bâti scolaire notamment. Par ailleurs, en raison d’un chômage structurel, les revenus de la population sont bien plus faibles qu’en France, d’où des ressources fiscales inférieures à la moyenne des communes métropolitaines. Sachant que même en France, il est impossible pour une commune de financer toute seule la construction d’une station d’épuration, souligne Jean-Claude Fruteau, c’est d’autant plus vrai à La Réunion.

Incompréhension

Jean-Yves Langenier rappelle les conclusions d’une étude datant de 2006. Elle évaluait les investissements nécessaires à la mise aux normes européennes des réseaux d’assainissement à La Réunion. La facture s’élève à 365 millions d’euros, tout en sachant que le niveau des subventions de l’Etat et de l’Europe est passé de 80 à à peine 30%.
Dans de telles conditions, c’est donc sur une population déjà durement touchée par la vie chère et la précarité que devrait reposer l’essentiel de l’effort. Maurice Gironcel évalue cet effort à un triplement de la taxe d’assainissement que les familles paient dans leur facture d’eau. Les maires demandent une clarification sur ce point car, à ce jour, ils n’ont reçu aucune notification du montant des subventions possibles.
L’Association des Maires déplore le tournant judiciaire pris par cette affaire, au moment où toutes les communes ont un projet bien avancé, au stade de la consultation des entreprises. Les maires constatent par ailleurs que pour des raisons indépendantes de leurs services, les instructions des dossiers traînent. Jean-Claude Fruteau précise notamment que pour Saint-Benoît, le projet a été lancé en 2000. Bruno Mamindy Pajany présente une lettre du préfet lui demandant de retarder son projet car les notifications de subvention ne sont pas prêtes.
Tout cela concourt à l’incompréhension, alors que dans le même temps, aucune procédure de ce type n’a été lancée en France, alors que là aussi, bien des communes ne respectent pas les normes européennes d’assainissement comme en témoigne la condamnation de l’Etat français par la Cour de justice des Communautés européennes voici 5 ans. Les maires revendiquent également que la sérénité nécessaire pour traiter un tel dossier soit de mise. Car le bureau d’un juge d’instruction est loin d’être le lieu le plus approprié pour trancher une telle question.
« Nous voulons avoir le même traitement qu’ailleurs », conclut Jean-Yves Langenier, avant de se diriger vers la Préfecture et le Palais de Justice, accompagné par ses collègues.

Manuel Marchal


365 millions d’euros pour la mise aux normes européennes

365 millions d’euros, c’est le coût de la mise aux normes européennes des réseaux d’assainissement pour toute La Réunion.
Cela passe par la construction ou la modernisation de stations d’épuration. Pour la CINOR, la construction de deux stations est un investissement de 135 millions d’euros, avec peut-être 30 millions de subventions.
A Sainte-Rose, ce sont près de 6 millions d’euros que la commune doit trouver. A Saint-André, ce sont 4 millions d’euros. Au Port, la mise aux normes européennes va coûter 25 millions d’euros. A Saint-Benoît, le dossier est bouclé, le montant est de 15 millions d’euros, mais quid du co-financement de l’Etat et de l’Europe ?


Rechercher les responsabilités

Jean-Yves Langenier indique que l’Europe a fait connaître à l’Etat ses nouvelles directives en 1990. Ce n’est qu’en 2000 que l’Etat les a communiquées aux communes. Ce qui fait dire au maire du Port que « si on cherche des responsabilités, il faut les chercher tout azimut ».
Par ailleurs, cette question de l’assainissement bloque des constructions de logements sociaux, souligne Eric Fruteau, alors que le pays connaît une crise du logement.


MAIRES ET PRÉFET

Suite à une rencontre hier avec une délégation de Maires, le Préfet a tenu à préciser " qu’il ne lui appartient bien entendu pas de commenter et encore moins de s’immiscer dans une procédure qui relève exclusivement de l’Autorité Judiciaire." On se demande bien qui a transmis le dossier à la Justice.
Car, le Préfet le reconnaît lui-même " Actuellement, le constat est que toutes les communes ont déposé des dossiers d’autorisation qui respectent ces mises en demeure. Ces dossiers sont actuellement instruits. Les autorisations sont délivrées au fur et à mesure après instruction"...
Oui, il y a eu des retards, mais pourquoi avoir traité une affaire administrative de façon pénale ?


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