LE FONCIER À LA RÉUNION

Faut-il avaliser l’existant ou faire preuve de plus d’exigence ?

Entretien avec Philippe Jean-Pierre, Directeur de l’Agorah

4 août 2007

Au travers des questions soulevées par des récentes affaires posant la question de la propriété de la terre réunionnaise, Philippe Jean-Pierre, Directeur de l’Agence pour l’Observation de La Réunion, l’Aménagement et l’Habitat (Agorah), donne ici une approche de l’Aménagement qui n’est pas seulement comptable de décisions à court terme, mais qui s’interroge aussi sur les choix collectifs à faire pour, dit-il, « façonner la ville et La Réunion de demain ».

L’Agorah travaille à un inventaire du foncier disponible. Comment, à partir de ce qu’il vous permet de voir de la réalité, percevez-vous les tensions qui se sont fait jour ces derniers temps dans des querelles de propriété ?

- Nous travaillons en effet sur un inventaire des terres disponibles pour l’économie et pour l’habitat - et par “habitat”, il faut entendre aussi les structures de loisir et d’équipement. Ce travail permet de montrer que, sur le plan économique, il n’y a pas suffisamment de zones aménagées et en perspectives d’aménagement. Dans les projets en “valise”, il n’y a pas assez pour satisfaire un besoin estimé entre 700 et 800 ha.
Sur le plan de l’habitat, les tensions auxquelles nous assistons sont présentes parce que les réserves foncières ne sont pas suffisantes non plus. L’inventaire général donne un stock, dans les réserves des communes, de 775 ha affectés à la réalisation de logements et d’équipements, pour des moyens disponibles évalués à environ 1.000 ha, aux trois-quarts destinés au logement. Mais ce n’est pas avec cela que nous allons pouvoir construire les dizaines de milliers de logements à programmer.
Cette pénurie implique une tension à la fois sur les prix - sur le logement social et non social - que sur les choix des lieux où construire. Cela entraîne aussi bien la pénurie de logements sociaux que, dans les catégories moyennes et intermédiaires, des sacrifices pour trouver un logement à prix raisonnable.
Tous ces problèmes pointent des enjeux. A la fois parce qu’il faut satisfaire la demande de logements et qu’il faut le faire en maintenant un équilibre sociétal.

Justement, dans les problèmes soulevés, on voit bien qu’il s’agit de Réunionnais qui, après avoir été “exclus” des politiques du logement, se verraient maintenant exclus des terres où ils sont installés...

- Ceux qui ne pouvaient pas se reporter sur un logement ont fini par construire, y compris dans des zones où ils ne pouvaient pas le faire. Devant cet état de fait, faut-il avaliser l’existant ou doit-on se montrer plus exigeant ? Il y a trois éléments qui plaident pour l’exigence. C’est en premier lieu une question de gouvernance : si on laisse faire les uns, et pas d’autres, on va au-devant de très grosses difficultés. Deuxièmement, si on veut relever les défis économiques, il ne faut pas laisser s’installer le mitage, qui casse l’équilibre agricole. Enfin, il faut respecter les règles, et en particulier les documents de planification.
Si on veut que les particuliers respectent les règles, encore faut-il leur proposer des alternatives viables, et ne pas manier uniquement le bâton. Or, quelle est notre capacité à offrir une alternative acceptable ?

Dans votre inventaire, avez-vous pu aller jusqu’à vous intéresser au statut juridique de la terre ?

- Dans les études sur les RHI, nous recensons les zones et essayons de déterminer de quel type de terrain il s’agit. C’est en cours et je ne peux pas vous en dire beaucoup, mais tout le monde sait que des maisons se sont installées sur des emplacements qui n’avaient pas vocation à les recevoir. Que faire ? On s’aperçoit aussi souvent que les communes n’ont pas toujours respecté les recommandations du Schéma d’Aménagement Régional.

Qui, ou quoi, aurait vocation à les faire respecter ?

- C’est à l’Etat de les faire respecter. A l’époque du premier SAR, certains maires ont dit qu’ils ne se sentaient pas engagés par un document à l’élaboration duquel ils n’avaient pas été associés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On voit, dans l’élaboration des SCOTT, la possibilité de mettre les élus d’accord sur des principes, même s’ils tardent souvent à s’accorder et s’abritent ensuite derrière la gestion quotidienne... pour faire autre chose.
Cela entre dans un problème de gouvernance générale. Au niveau des grandes collectivités - Région, Département -, il faut arriver à dire ce que nous voulons faire de La Réunion. Espérons que les 12 prochains mois permettront de déboucher sur une réflexion commune pour les grands chantiers d’aménagement. On ne peut pas constamment opposer des réponses négatives aux acteurs si les institutions ne font pas ce qu’il faut pour proposer des alternatives.
D’une façon générale, les classes moyennes sont de plus en plus amenées à faire des sacrifices pour se loger. Il faut veiller à ce que les gens ne soient pas exclus de la propriété.

Qu’il s’agisse de la propriété ou d’un “projet commun” à élaborer, n’est-ce pas d’abord aux Réunionnais de s’entendre ?

- Si les autorités sont là pour faire respecter la loi, il est important que les porteurs du “projet Réunion” puissent donner leur avis. Il faut pouvoir créer de l’activité économique pour que nos enfants aient un emploi demain. Tout le monde est co-responsable de cette direction ; tout le monde doit ramer dans le même sens. Il ne faudrait pas qu’on en arrive à un point où le Réunionnais, se sentant exclu de sa terre, donne dans une “corsisation” de la société.

Vous revenez d’une mission pour l’Agorah : est-ce que les solutions trouvées en France sont forcément adaptables à La Réunion ?

- Je l’ai vu dans les régions de Toulouse et Bordeaux : les problématiques sont différentes là-bas. Nous pourrions très bien être pris par le vertige de la vitesse, ne faire que du quantitatif et densifier : mais nous n’aurions pas pour autant les avantages existant dans les environs des grandes villes de province.
Actuellement, à l’Agorah, nous avons une réflexion alternative portant sur “quel modèle de vie réunionnaise voulons-nous pour demain : du R+2, une densification moyenne, autre chose ?”
Et puis, nous engageons une autre réflexion sur La Réunion 2030-2040 : pourrait-elle être simplement une partie d’une grande ville qui irait du Cap à Port-Louis ? Cela change les dimensions. Cela change aussi les données de la mobilité, qui n’est plus seulement entre La Réunion et la France ou La Réunion et le Québec. Nous pourrions être mobiles depuis un quartier d’une grosse agglomération de l’Océan Indien.
Le quantitatif doit être modulé sous l’angle du qualitatif, sinon tout le monde va freiner et on constatera dans 15 ou 20 ans que c’est un échec. Une des grandes réflexions dans lesquelles je souhaite mettre l’Agorah est : “Comment façonner la ville de demain” ?

Propos recueillis par P. David


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