Conflit autour de l’installation de la Réserve marine Un pêcheur à la gaulette témoigne

« I fé parti d’nout tradision, d’nout kiltir »

28 août 2007

Comment concilier respect de l’environnement et de la culture ? Comment protéger les lagons, les coraux, permettre aux futures générations d’apprécier une faune aquatique riche et diversifiée sans priver les pêcheurs traditionnels de cette pratique culturelle, transmise de père en fils ? Pour Gilbert Lauret, pêcheur à la gaulette, la répression n’aura pour effet que de susciter la colère des pêcheurs qui braveront d’autant plus les interdits. Il faudrait mieux leur réserver des zones de pêche adaptées à leurs pratiques.

Pour Gilbert qui pratique la pêche à la gaulette depuis l’enfance, la répression n’est pas une solution, il faut entamer une médiation, envisager de leur réserver au minimum une zone de pêche homologuée. « Les pêcheurs ne veulent pas être des hors la loi, mais c’est impossible pour eux de séparer ça de leur vie ».
(photo S.L.)

Ses temps libres, Gilbert Lauret les consacre à la pêche à la gaulette. C’est Fortuné, son papa, pêcheur professionnel à l’Etang-Salé, qui lui a transmis, ainsi qu’à ses 3 frères, son savoir, son amour de la mer. Des moments de partage inestimables qui ont scellé la fratrie autour des récits en mer, autant de paraboles de la vie qui ont forgé toute leur éducation.

« I pé pran anou pou d’zasasin koma ! »

C’est en canot que Fortuné allait pêcher. « Quand la mer était mauvaise, il allait pêcher l’anguille, le cabot, le mulet en étang. C’est là qu’il nous a tout appris », explique Gilbert. Fortuné n’est plus de ce monde, mais son souvenir est présent dans chaque roulis de vagues que Gilbert contemple tous les jours après son travail. A 53 ans, cet employé de banque habite dans un appartement face au lagon de Saint-Leu. Un choix qui n’est pas innocent. Chaque week-end, quand la mer le permet, il prend sa gaulette de bambou, ses appâts et va taquiner plus loin le macabi, du côté du COGHOR. Il ramène juste de quoi préparer un carri pour la famille. « C’est là que je décompresse, que j’oublie les soucis de la vie, confie Gilbert. C’est un peu ma façon à moi de méditer, de me rapprocher de la nature aussi. Certains marchent, moi je pêche ». Depuis quelques semaines, bien que n’étant que deux, les éco-gardes de la Réserve marine se font plus présents. Gilbert avait entendu parlé, par les médias, du projet de Réserve marine, mais il n’en connaissait pas vraiment la teneur. Les éco-gardes l’ont alors gentiment rappelé à l’ordre et prévenu de la sanction qu’il encourrait si jamais il était repris dans le lagon du COGHOR : 1.500 euros d’amende et inscription au casier judiciaire. De quoi dissuader ! « On ne peut du jour au lendemain interdire aux Réunionnais de pêcher partout. Sa in afèr i fé parti nout tradision, nout kiltir, soutient Gilbert. I pé pa pran anou pou d’zasasin koma ! Je suis d’accord qu’il faut protéger le lagon. Moi aussi je veux que mes petits-enfants sachent ce que c’est qu’un corail, je veux à mon tour les emmener à la pêche, leur transmettre tout cet état d’esprit qui l’accompagne. Mais protégeons 4/5ième et laissons le reste pour les pêcheurs. Depuis que La Réunion existe, il y a des pêcheurs à la gaulette. On ne pourra pas leur interdire, ça fait partie de leur vie ». Gilbert est favorable à un compromis, car il est convaincu que partie sur de telles bases, la mise en place de la Réserve marine, plus que de susciter l’adhésion des pêcheurs, ces derniers se sentant dépossédés, va les inciter à se braquer. Même s’il n’a pas participé au rassemblement samedi matin sur le port de Saint-Leu, il comprend leur colère et déplore le défaut de concertation, que leur avis et leur ressenti ne soit pas pris en compte. Il invite la Préfecture à réagir.

Réserver une zone pour les pêcheurs à la gaulette

« Le Préfet devrait mettre en place une, voire deux (pour l’Ouest et l’Est) zones homologuées de pêche, appropriées à nos pratiques, comme entre le COGHOR et la Ravine Trois-Bassins par exemple. C’est idéal selon moi, d’autant qu’il y a là deux passes assez dangereuses dans lesquelles les gens qui ne sont pas du coin s’aventurent en toute quiétude. C’est doublement idéal pour la pêche, car ce n’est pas loin pour aller jusqu’au brisant. Il faudrait réfléchir à ça ». Où qu’elle soit, Gilbert serait ainsi favorable à ce qu’une zone réservée soit aménagée, quitte à mettre en place, comme en Thaïlande, des pontons flottants pour être assuré de la protection totale des coraux.
Notre pêcheur déplore que l’on cherche à stigmatiser les pêcheurs comme lui, qu’on les montre comme des pollueurs, des destructeurs qui piétinent joyeusement les fonds marins. Si l’on fait attention à sa façon de jeter sa ligne, à la mesure de son fil pour éviter qu’il ne se prenne dans les coraux, on peut, selon lui, avoir une pratique raisonnable et respectueuse de l’environnement. « Sans chercher à renvoyer la faute sur l’un ou l’autre, mais quand on voit les sachets dans le lagon, pris dans les coraux, que nous, pêcheurs, nous retirons ; quand on voit toutes les saletés qui s’écoulent des ravines et toutes les sources de pollution qu’on ne connaît même pas encore : le procès que l’on nous fait est injuste, inadmissible même. Comme dans tout, peut-être que certains font moins attention, mais il ne faut pas généraliser. Une gaulette, ça n’est pas un fusil. On ne tire pas sur tout ce qui bouge, on attend avec patience que le poisson bèk ». Généralement, comme l’explique Gilbert, les pêcheurs à la gaulette prennent juste de quoi faire un carri, économisant ainsi le prix d’un, voire deux repas, surtout que dans son cas, le macabi se vend entre 15 et 20 euros le kilo. « Peut-être que certains voient là une concurrence déloyale aux supermarchés ? », souligne-t-il alors, poussé dans ses retranchements.
« À Saint-Leu, personne ne laissera quelqu’un faire la loi sur la pêche à la gaulette. Les pêcheurs ne veulent pas être des hors la loi, mais c’est impossible pour eux de séparer ça de leur vie. Ils vont se cacher comme des voleurs, mais ils vont continuer ». Gilbert ferra certainement partie de ceux-là.
Alors, la question reste entière : comment concilier protection de l’environnement et respect des pratiques culturelles ? Ce pêcheur ouvre des pistes et invite surtout à la mise en place d’une concertation rapide, d’une médiation, seule capable d’éviter les effusions véhémentes comme ce samedi à Saint-Leu.

Stéphanie Longeras


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Messages

  • Ce style de pêche est responsable, entre autre, depuis 300 ans de la destruction des lagons, merveilles de la Réunion. Comment peut-on assimiler à une "pratique culturelle" un comportement anarchique qui anéantit des espaces de nature et des espèces d’animaux ; et l’esclavage ? c’est une pratique culturelle peut-être ?? Non !! A un moment donné il faut avoir le courage et l’intelligence de dire : ces pratiques sont d’un autre age... à l’époque ou on ne savait pas ou on n’était pas instruit, ou fallait pêcher pour manger ... Avec cet aveuglement bientôt nos enfants et petits enfants n’auront plus que des photos à regarder en guise de ... Pratique Culturelle ...


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