Traitement des déchets ultimes : l’État change la donne

« La priorité ne sera plus à l’incinération » ?

10 novembre 2007

« La priorité ne sera plus à l’incinération, mais au recyclage des déchets », a annoncé le président de la République dans son discours de clôture du Grenelle de l’Environnement, le 26 octobre. Une annonce qui trouve un écho tout particulier à La Réunion où l’on tend à réduire la problématique des déchets au seul choix d’un mode opératoire pour le traitement des déchets ultimes, à savoir l’enfouissement ou l’incinération.

Toujours selon le chef de l’État, « il faudra prouver pour tout nouveau projet d’incinérateur qu’il s’agit bien de l’ultime recours. Il n’y aura plus d’incinérateurs sans contrôle permanent et transparent des pollutions émises ». Une orientation défendue par les écologistes et plus largement par tous ceux qui soutiennent qu’il reste encore beaucoup à faire dans notre île pour développer des filières de valorisation et de recyclage des déchets.

Il aura fallu réclamer le débat

Il aura fallu la crise du chikungunya pour que, au-delà du simple constat de saturation prochaine des deux centres d’enfouissement de l’île (2014 pour Sainte-Suzanne et 2011 pour Saint-Pierre), le retard dans l’élaboration d’une véritable politique locale de gestion des déchets s’affirme. Sous couvert d’urgence sanitaire, et comme inscrit dans le Plan Départemental d’Elimination des Déchets Ménagers et Assimilés (PDEDMA) révisé en 2002 par le Conseil général, l’implantation d’un incinérateur a été alors présentée par l’Etat comme la solution pour répondre au traitement des déchets.
Ne souhaitant pas qu’au risque sanitaire, on réponde par un risque industriel, des usagers se fédèrent dans le Sud, région pressentie pour l’implantation de l’usine. Sous la pression populaire, Michel Fontaine amorce une marche arrière, puis repasse la première, avant de reculer à nouveau pour finalement affirmer aujourd’hui que « tant que je serai maire, il n’y aura pas d’incinérateur sur mon territoire ». L’incinération a été le thème d’interventions tous azimuts dans les médias, laissant les Réunionnaises et Réunionnais comme souvent tentés de se faire une opinion sur la question sans qu’un vrai débat public ne soit envisagé.
À force de réclamer le droit légitime à l’information, les élections présidentielles s’annonçant aussi, le gouvernement est passé d’une tentative d’imposition de l’incinération à des dispositions plus consensuelles. En septembre 2006, François Baroin, alors Ministre de l’Outre-mer, annonce que l’Etat ne choisira pas en lieu et place des élus locaux, et annonce, afin d’éviter toute « polémique politicienne », la mise en place d’une Instance Locale de Concertation pour permettre une confrontation constructive des arguments. Néanmoins, il ne cache pas, ou mal, sa préférence en faveur d’un « centre de valorisation énergétique des déchets ».
L’Etat missionne d’ailleurs, pour « enrichir le débat », deux experts qui, après recherches de “Témoignages”, s’avèrent être « des scientifiques pro-incinération » (voir édition du 10 septembre 2006). Suite à notre article, il fera également appel à des experts moins favorables à cette solution.

Enfouissement ou incinération : la concertation au point mort

En mai 2007, l’ILC produit une synthèse des débats et dégage 3 scenarii au traitement des déchets ultimes : un site d’enfouissement de 100 hectares ; un incinérateur de grande capacité et son site d’enfouissement pour les résidus d’incinération ; ou deux incinérateurs de moyenne capacité et leurs sites d’enfouissement respectifs ? C’est à partir de ces 3 options que les intercommunalités, réunies en Syndicat mixte départemental, dont la création a été annoncée en juillet de cette année, devront d’ici juin 2008 avoir fait leur choix. Il s’avère que 5 mois après l’annonce de la mise en place de ce syndicat, la concertation est au point mort.
Maurice Gironcel, Président de la CINOR, explique que 3 réunions techniques ont jusque-là bien eu lieu, mais pour travailler sur les statuts de l’entité et la représentativité en son sein. « Il faut attendre la délibération des différentes communautés de communes et d’agglomérations sur les projets de statuts, et ce n’est qu’à ce moment que le syndicat sera définitivement en place », explique-t-il. La CINOR va quant à elle délibérer le 29 novembre, mais il semble que certaines intercommunalités ne soient pas aussi pressées sur la question. « Difficile de dire quand le syndicat sera opérationnel pour entamer son travail, poursuit-il, mais il faudra vraisemblablement attendre l’année prochaine, avant les élections, je l’espère ».

Le PDEDMA caduc

Le sujet est environnemental, mais, comme souvent, aussi politique, surtout à la veille d’échéances électorales. Comme lors de l’annonce de la création du Syndicat mixte, le président de la CINOR ne cache quant à lui pas sa position. « Nous ne sommes pas d’accord sur le principe de l’incinération, le mot qui fâche et que, du coup, personne ne veut prononcer. Nous souhaitons privilégier une démarche de réduction des déchets à la source, de valorisation et de recyclage, créatrice d’emplois ».
Le positionnement du chef du gouvernement correspond donc à cette vision et s’avère, pour Maurice Gironcel, « une bonne chose, d’autant que durant le Grenelle, l’Ordre National des Médecins a préconisé un moratoire. Les craintes relatives à la pollution sont bien réelles ». L’élu précise également que l’impact financier pour les contribuables est une donnée importante.
La CINOR réfléchit à la mise en place de puces électroniques sur les poubelles qui permettraient de facturer les usagers en fonction de leur production de déchets. Rappelons également que le coût à la tonne est estimé à 86 euros pour une mise en décharge totale et 93 euros pour un incinérateur avec mise en décharge résiduelle. « L’intérêt du syndicat est de permettre la péréquation entre le coût du traitement et le tonnage, poursuit Maurice Gironcel. Plus on valorise, plus on diminue le tonnage ».
La réflexion est bien avancée de ce côté de l’île, mais en est-il de même ailleurs ? Si l’on prend en compte les annonces du chef de l’Etat, d’une part, le PDEDMA est de facto caduc, et d’autre part, le syndicat mixte ne doit plus se concentrer sur le choix incinération ou enfouissement, mais bien sur les alternatives encore non exploitées et permettant de développer des filières de recyclage et de valorisation. C’est Nicolas Sarkozy qui l’a dit : « Il faudra prouver pour tout nouveau projet d’incinérateur qu’il s’agit bien de l’ultime recours ».

Stéphanie Longeras


Toujours pour l’incinérateur M. Virapoullé ?

Protéger la planète d’accord, mais où sont les bacs jaunes à Saint-André ?

En septembre 2006, lorsque François Baroin est venu annoncer la mise en place de l’ILC et soutenir qu’il appartenait aux élus de choisir un mode opératoire pour le traitement des déchets ultimes, il est un élu qui s’est distingué par son zèle, en proposant que sa commune accueille l’incinérateur. Au mépris de tout débat, de concertation avec ses administrés (expression démocratique auquel il n’est pas familier), le maire de Saint-André avait cette fois encore voulu faire mouche, son show devant les caméras. Mais comment, aujourd’hui, cet expert du retournement de veste, cette incarnation du paradoxe, celui à qui colle à merveille l’expressive créole « Bourrik i kaka pa lor », comment M. Virapoullé va-t-il se repositionner suite aux annonces du Président Sarkozy sur l’incinération ?

« Il n’est pas à une contradiction près »

Soit il désavoue son parti national, ce qui semble impensable ! Soit il se penche enfin sur la problématique du tri et de la gestion des déchets sachant que l’opportunité d’une usine fourre-tout, qui l’aurait épargné de tout effort sur la question, risque de lui passer sous le nez. Pour Eric Fruteau, conseiller municipal de l’opposition à Saint-André, le maire de la commune conduit depuis 32 ans une politique qui va à l’encontre des préconisations du Grenelle de l’Environnement.
« Il n’est pas à une contradiction près, note-t-il. Comment peut-on organiser la Fête de la Lumière sous le signe de la protection de la planète, alors qu’il n’y a même pas un seul bac jaune sur la commune, qui a attendu 1999 pour se doter de bacs roulants ? La politique menée par la CIREST n’incite pas du tout au tri, ne responsabilise aucunement sur la problématique des déchets. A l’école, les élèves apprennent comment trier les déchets ; les familles, les enfants, les professeurs s’investissent sur ces questions, mais la CIREST, pas du tout. Par contre, elle fait payer sa taxe de ramassage à 13%, comme ailleurs, sans services identiques, sans que la population ne voie les répercussions sur le terrain ». Pour Eric Fruteau, la commune ne compte plus ses retards, a besoin d’une réelle volonté politique capable de coller aux enjeux du développement durable. « Il y a d’autres alternatives à l’incinération, à cette logique de masse. En créant des filières de méthanisation, de recyclage, de valorisation, il y a énormément d’emplois à créer, du manutentionnaire au cadre. En remettant par exemple en état de marche du matériel informatique, on peut empêcher la rupture numérique pour des familles qui ont de faibles revenus. Il y a beaucoup à faire ». Mais à Saint-André, on préfère brûler les déchets verts quitte à favoriser l’émission de gaz à effet de serre, à porter atteinte aux asthmatiques, plutôt que d’exploiter la méthanisation. « Ça fait plus de 30 ans que la population observe les retards et payent. C’est long, coûteux pour eux, et pour l’environnement réunionnais ».

SL

Energies renouvelables

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