La vie de l’économie ou l’économie d’une vie ?

1er mars 2007

C’est la rage au cœur que, hier, j’ai lu ceci dans la presse : « Hier midi, le cyclone Gamède a fait sa première victime, rue du Général-de-Gaulle au Tampon. Gina Thim-Siong, une Tamponnaise de 45 ans, a été emportée par les flots alors qu’elle tentait de traverser le radier Don-Juan au volant de son Opel Corsa ».

Non, mille fois non, Mme Gina Thim-Siong n’est pas victime du cyclone Gamède. La malheureuse, ses filles et ses proches sont les victimes d’un système pour lequel la vie de l’économie est la règle d’or, l’économie d’une vie ne venant qu’après.

Pas question pour moi de tomber à bras raccourcis sur les autorités. Le maintien ou la levée de l’alerte rouge sont des mesures bien trop complexes pour s’ériger en juge de l’opportunité. Mais ne pourrait-on pas instaurer un degré de précaution supplémentaire dans cette alerte rouge ?

Mardi matin, nous avons tous entendu cette auditrice résidant à Saint-Pierre et travaillant dans l’Ouest. Elle a quitté son domicile dès la levée de l’alerte rouge, a franchi les obstacles jonchant la route du Bourg-Murat, a traversé des chaussées submergées, franchi la route de la Montagne en dépit des radiers en passe d’être submergés, d’une part, et malgré la multiplication d’éboulis de taille variable, d’autre part. Elle arrive à son travail et, quelques minutes plus tard, tombe la nouvelle de la très prochaine fermeture de la route de la Montagne. Elle reprend donc la route. Parvenue à mi-chemin, elle est arrêtée par un radier submergé au milieu duquel trônent des morceaux de roches arrachés à la montagne. Après un demi-tour effectué non sans mal sous une pluie diluvienne ne lui permettant pas de distinguer les limites exactes de la chaussée ni d’évaluer l’état des accotements, cette dame revient sur la région ouest et va devoir trouver un lieu d’hébergement loin de sa famille.

Était-il si compliqué que cela d’imaginer ce type de situation ? Que se serait-il passé si, en tentant de franchir le radier ou bien en effectuant un demi-tour, cette dame avait rencontré la mort ? Une fois de plus, serait-ce Gamède qu’on aurait placé sur le banc des accusés ? Entre un météore sans âme et les autorités ayant levé l’alerte rouge sans autre précaution que la proclamation de l’état de prudence, qui crée les conditions du drame ?

La dégradation des conditions météorologiques étaient-elles si imprévisibles et la réalité de l’état des routes inconnu des autorités, qu’on puisse avoir cru bon, malgré tous les cris d’alarme lancés par les automobilistes confrontés à des situations proches du dantesque, de privilégier la vie de l’économie alors même que, confrontés à la réalité, nombre de chefs d’entreprises ont pris les devants et dissuadé leurs employés de braver les éléments ?

Qui oserait avancer un prix pour une vie humaine ?

Quand Mme Thim-Song, laissant sa fille de 15 ans à la maison, a pris sa voiture le matin pour se rendre à son travail, elle a fait confiance à celles et ceux en charge de sa sécurité. L’esprit tranquille, elle a pris son poste de travail. Qui douterait que les informations données par les clients d’une part et le bruit du vent et des torrents de pluie sur la tôle du magasin ont conduit cette maman à s’inquiéter pour sa fille. Quand elle quitte son travail, elle bute sur un obstacle imprévu, le radier Don-Juan submergé. Ce radier qu’elle a traversé quasiment sans encombre le matin certaine de pouvoir l’emprunter au retour, certaine que, si on lui demandait de rejoindre son travail c’est parce que les conditions de déplacement avaient été jugées sans danger.

Certes, on ne franchit pas un radier submergé. C’est vrai. Mais il est tout aussi vrai que, régulièrement, des personnes se font prendre au piège. On le sait bien. Va-t-on indéfiniment se satisfaire de l’automaticité de la peine de mort qui accompagne ces franchissements prohibés ? Ne peut-on réfléchir sérieusement à cet adage maintes fois vérifié : le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ? Une maman rongée par l’inquiétude ne risque-t-elle pas, surévaluant les dangers potentiels encourus par son enfant, de sous-évaluer ceux, bien réels, auxquels elle va se confronter ?

Mardi soir, le ministre de l’Outre-mer a dit qu’il faudrait en finir avec les points noirs. Tous les pièges que constituent ces radiers sur les routes départementales doivent donc être éradiqués. Les baguettes magiques n’existant que dans les contes de fées, il est donc grand temps d’établir un plan décennal de construction d’ouvrages permettant le franchissement des ravines en crue sans encourir le moindre danger. Serait-il envisageable que la puissance publique refuse de garantir la vie de celles et ceux qui, en dépit des intempéries, assurent la vie de l’économie ?

Enfin, puisqu’il vaut mieux prévenir, est-il impossible d’obtenir du service public audiovisuel qu’il élabore et diffuse systématiquement, tout au long de l’année, des spots expliquant - en les “démontant” - les risques naturels auxquels nous sommes confrontés à La Réunion et la conduite à tenir pour sauvegarder sa vie ?

Jean Saint-Marc


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