Rapport de la Commission des Affaires économiques du Sénat

Le Brésil vert - 1 -

25 mars 2008

Avec un territoire immense 15 fois supérieur à celui de la France et des ressources naturelles riches et diversifiées, le Brésil est devenue en 2006 la dixième puissance économique avec un Produit Intérieur Brut (PIB) de 1.067 milliards de dollars, contre 510 milliards de dollars en 2001.

Même si ce pays, qui partage une frontière de plus de 700 km avec la Guyane française, ne se situe pas dans un ensemble géographique prioritaire pour la diplomatie française, il n’en reste pas moins l’un des acteurs majeurs de la scène économique internationale en tant que leader des exportations de produits issus de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire, et d’Etat industriel en plein essor. En effet, le Brésil a su développer des pôles d’excellence dans plusieurs secteurs comme l’aviation civile ou l’automobile grâce à une base industrielle solidement établie.
Ce sont toutes autant de raisons qui ont poussé la commission des Affaires économiques du Sénat à se pencher sur cette économie brésilienne florissante. Ainsi, dans le cadre d’une mission d’information effectuée en septembre 2007 dans les trois principales villes du pays (São Paulo, Brasilia et Rio de Janeiro), une délégation de 9 sénateurs a mené une étude de ce “décollage économique”, plus précisément dans les domaines de l’agriculture, avec un focus particulier sur l’élevage et les organismes génétiquement modifiés, l’industrie automobile et les biocarburants.

un peu plus gros qu’un intertitre
LE POUVOIR VERT DU BRESIL

L’immensité du territoire brésilien et de ses terres exploitables constitue l’un des atouts majeurs de son économie agricole. Le Brésil consacre près de 60 millions d’hectares aux différentes cultures et 230 millions d’hectares aux pâturages pour l’élevage. Et il resterait, sans tenir compte du territoire de la forêt amazonienne, près de 90 millions d’hectares de terres disponibles pour accroître les cultures et des pâturages pourraient être libérés pour d’autres usages agricoles si l’élevage devenait plus intensif.

L’industrie agroalimentaire : facteur majeur de croissance

Même si le Brésil a fondé son développement économique sur la culture de café, le pays est devenu, au fil des années, le premier exportateur mondial de soja, de sucre et d’éthanol, de bœuf, de poulet, de tabac et de jus d’orange.
Les succès de ce développement reposent essentiellement sur l’existence d’importantes ressources en eau (le pays disposant de 18% des ressources mondiales), la modernisation et la mécanisation de nombreuses exploitations et, plus récemment, par l’augmentation des surfaces cultivées.
Principal moteur de la croissance économique brésilienne, le secteur agroalimentaire représente entre 27 et 30% du PIB, 37% des emplois et jusqu’à 40% des exportations totales.
Les pays membres de l’Union européenne figurent parmi les principaux clients du Brésil (22,1%), tout comme, pour une part croissante, l’Amérique latine (21%), les Etats-Unis (17,3%), la Russie et l’Asie (19%), notamment sous l’influence du dynamisme de la Chine.
Malheureusement, les bénéfices de ce développement économique concernent essentiellement les grandes exploitations, qui, alors qu’elles ne représentent que 3,5% des 4 millions d’entreprises agricoles recensées au Brésil, totalisent plus de la moitié de la surface agricole du pays. Il apparaît donc un clivage évident entre une agriculture insérée dans les échanges internationaux et une agriculture de subsistance, laquelle concerne encore plus de deux millions d’exploitations.

La santé animale en question

L’état sanitaire du cheptel bovin brésilien est aujourd’hui au cœur d’un conflit opposant les autorités du Brésil à la Commission européenne sur les conditions d’exportations de cette viande. En effet, la législation communautaire en vigueur, exige, de la part de tout producteur souhaitant exporter sa viande vers l’Union européenne, une homologation et la possession d’un certificat sanitaire. Or, au regard de ces exigences juridiques, seuls 312 des 600 abattoirs du pays sont soumis à un contrôle sanitaire du ministère de l’agriculture et 60 seulement sont autorisés à exporter vers l’Europe.
Ce contentieux, dont les motifs s’avèrent tout à fait légitimes aux yeux des membres de la délégation, ne doit pas cependant masquer l’existence de réelles mesures de protectionnisme économique mises en place par l’Union européenne dans ce domaine, comme l’ont précisé les représentants de l’Association brésilienne des industries exportatrices de viande (ABIEC).
Ces mesures protectionnistes s’appuient notamment, pour la viande bovine, sur une taxe de 176% sur la valeur du produit. L’indice élevé de ce droit de douane n’empêche pas pour autant les exportations de viande brésilienne vers l’Europe, qui ont progressé de 20% depuis 2003 et représentent désormais 66% de la viande importée par les pays de l’Union européenne.

L’importance des cultures génétiquement modifiées

Alors que des variétés d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ont commencé à être exploitées en plein champ dès 1998, sans cadre juridique clair et parfois en toute illégalité, une loi sur la biosécurité, promulguée le 24 mars 2005, a établi des fondements juridiques pour encadrer la culture des OGM au Brésil. Cette loi a confirmé la compétence de la Commission Technique Nationale de Biosécurité (CTNBio) pour autoriser les recherches, les cultures commerciales et la commercialisation des OGM. Toute décision d’autorisation d’utilisation commerciale d’un OGM est alors attribuée selon l’analyse du résultat des tests en milieu confiné et en plein champ.
En mars 2007, le gouvernement a décidé d’assouplir les règles d’approbation des OGM au sein de la CTNBio. Le Brésil est ainsi devenu, derrière l’Argentine, l’un des leaders des cultures transgéniques en Amérique latine. Aujourd’hui, plus de 50% du soja produit au Brésil est génétiquement modifié, cette part s’élevant à 10% pour le coton.
Dans ce cadre, la délégation s’est interrogée sur les conditions de coexistence des cultures OGM et non OGM. Tout en reconnaissant que le traitement séparé de ces cultures présentait un coût non négligeable, les entreprises brésiliennes affirment s’efforcer de maintenir des filières non OGM, à l’instar du groupe Louis Dreyfus qui a indiqué à la délégation procéder de cette manière.

À suivre... la semaine prochaine

Rebecca Pleignet


Commentaire

La loi soi-disant de biosécurité présentée dans ce rapport comme établissant « des fondements juridiques pour encadrer la culture des OGM au Brésil », n’est en fait que le résultat d’années de pressions des industriels en biotechnologies, aidés par le gouvernement américain, qui a légitimé et facilité la culture d’OGM au Brésil, alors qu’elle se faisait déjà en toute illégalité depuis 1998. Cette loi donne tous les pouvoirs à la CTNBio concernant la délivrance d’autorisations pour l’exploitation de cultures OGM, sans obligation de réaliser une étude d’impact environnemental ou sanitaire et sans même tenir compte de l’avis des ministères de l’Environnement, de la Santé ou de l’Agriculture sur la mise en culture et la commercialisation d’OGM. Cette loi contourne de façon évidente la constitution brésilienne qui rend obligatoire la réalisation d’études d’impact environnemental pour les activités potentiellement néfastes pour l’environnement. Et les cultures GM s’avèrent particulièrement nocives pour l’environnement brésilien pour de multiples raisons.

La déforestation

La première concerne la déforestation. Afin de développer cet agrobusiness, il a fallu déboiser pour libérer des sols cultivables et construire des infrastructures routières et fluviales pour permettre l’acheminement des produits vers l’exportation. L’Institut de recherche environnemental de l’Amazonie (IPAM) estime que 70% de la déforestation a lieu dans les 50 km de chaque côté des routes principales. Ceci va à l’encontre de la préservation du biome brésilien, reconnu “poumon de la Terre”, à l’heure où l’on prend conscience à l’échelle mondiale des conséquences de plus en plus marquées du changement climatique dû aux rejets des gaz à effet de serre.

L’usage d’herbicides intensifié

La deuxième concerne l’utilisation accrue des pesticides, et plus particulièrement des herbicides. D’après une étude menée par les Amis de la Terre (cf précédent article “Qui tire profit des cultures GM ?”), l’usage du glyphosate dans les cultures de soja Roundy Ready, qui est la principale souche de soja génétiquement modifié, s’est accrue de 79,6% entre 2000 et 2005, soit bien plus que la superficie plantée. En 2005 et 2006, trois nouvelles espèces de mauvaises herbes ont développé une résistance au glyphosate. L’augmentation de ces surfaces cultivées a entraîné de facto l’accroissement incontrôlé de l’utilisation d’herbicides, polluant ainsi davantage les sols et menaçant les ressources en eau. En effet, le ruissellement de ces sols constitue le vecteur de ces micropolluants vers les cours d’eau et les nappes phréatiques, représentant ainsi une menace pour la santé des Brésiliens.

La coexistence des cultures traditionnelles et des cultures GM

Enfin, la troisième raison est la contamination des cultures traditionnelles par des semences GM. L’assouplissement des règles d’approbation des OGM au sein de la CTNBio par le gouvernement en 2007 a entraîné l’accroissement spectaculaire des surfaces cultivées de soja et de coton alors qu’aucun recul suffisant d’un point de vue écologique ne permettait au gouvernement brésilien d’autoriser une telle expansion. Et quelle hypocrisie de la part des industriels implantés au Brésil que de dire vouloir maintenir des cultures non OGM alors que la réalité témoigne du contraire ?

On comprend bien ici que les enjeux économiques d’un tel développement prévalent de façon évidente sur la sécurité environnementale et sanitaire de la population brésilienne.

RP


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Messages

  • Je m’etonne que l’on puisse citer l’agroalimentaire brésilien comme un facteur de croissance

    Le Brésil est une puissance agricole mais certainement pas agroalimentaire

    En effet ce terme indique une compétence en matiere de transformation et de valorisation des produits agricoles

    Or ce n’est pas une compétence que maitrise le Brésil

    Le Brésil ne fait qu’exporter des produits agricoles et en aucun cas des produits élaborés

    Les plus grandes entreprises AgroAlimentaires sont en fait étrangères (Nestlé, Danone et les autres)

    Contrairement à la Chine qui a fait de la question des transferts de connaissance un point incontournable pour les investisseurs étrangers sur son territoire

    Le Brésil ne fait qu’attirer les investisseurs etrangers sans beneficier de leur savoir faire

    L’industrie automobile est un excellent exemple quasiment 100% du secteur (sous-traitant compris) est sous domination de capitaux etrangers ( Ford, Wolkswagen, fiat, etc)


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