Année polaire 2007/2009

Les pôles, témoins et acteurs du changement climatique - 2 -

14 septembre 2007, par Sophie Périabe

La programmation de cette quatrième année polaire trouve un écho retentissant à un moment particulièrement critique de l’histoire de la Terre, notamment en raison de l’émergence du réchauffement planétaire. Toutes les disciplines scientifiques et humaines sont concernées par cette problématique.
Les habitants des régions arctiques sont associés à la tenue d’une “Conférence Circumpolaire inuit” dans la mesure où les populations réparties entre l’Alaska, le Canada, le Groenland, la Scandinavie et la Russie sont les premières victimes du changement climatique, dont les effets sont démultipliés au-delà du cercle polaire.
Pour la première fois, une année polaire internationale va ainsi s’attacher à mieux comprendre des spécificités sociales et humaines. Qu’il s’agisse de changement climatique ou de conservation de la biodiversité, les milieux polaires sont des lieux de recherche exceptionnels. C’est aux pôles que se trouvent les archives de notre planète : leur devenir anticipe les évolutions du reste de la planète.

Catherine Brechignac, Présidente du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), a énuméré lors de l’ouverture officielle de l’année polaire, en France, les 6 thèmes retenus pour 2007/2009 :

- les pôles eux-mêmes ;

- la pertinence et la compréhension des données, qui impliquent une coopération mondiale ;

- les relations entre les pôles et le reste de la planète ;

- la biodiversité ;

- les observatoires, qui permettent de progresser dans l’accumulation des données ;

- les sciences humaines et sociales, c’est-à-dire la vie des populations dans les régions polaires.
Et comme le soulignait également Joëlle Robert-Lamblin, anthropologue au CNRS, « pour la première fois, une année polaire internationale inscrit les aspects humains (questions socio-économiques, culturelles et politiques) à son programme de recherches ».
Avec quelque 140.000 représentants, les Inuits et les Yupiks se répartissent entre 4 Etats : le Danemark (pour le Groenland), le Canada, les Etats-Unis (pour l’Alaska) et la Russie.
Les Aléoutes, qui appartiennent à la même famille linguistique, comptent environ 12.500 individus. Pour l’essentiel, ils sont implantés en Alaska, mais quelques-uns se trouvent en Sibérie. À cela s’ajoutent les Amérindiens d’Alaska et du Nord canadien, les Sâmes ou Lapons d’Europe du Nord et les “petits” peuples du Nord de la Russie, soit une vingtaine d’ethnies, qui totalisent environ 187.000 représentants. Au total, ce sont à peu près 500.000 individus qui sont menacés.

Le changement climatique pourrait menacer l’existence de ces peuples

Même si certaines d’entre elles ont pu connaître une extraordinaire mutation socio-économique dans la deuxième moitié du 20ème siècle, les populations de l’Arctique restent étroitement liées au milieu polaire et à ses écosystèmes, dont l’équilibre est particulièrement fragile et vulnérable. À titre d’illustration de cette fragilité, on peut rappeler que le lichen, nourriture principale des rennes, ne pousse que de quelques millimètres par an.
Un changement marqué et durable est de nature à bouleverser, voire menacer la diversité culturelle des minorités autochtones du Nord, et même, dans certains cas, leur existence.
Pour l’heure, l’impact du réchauffement est diversement ressenti selon les régions, mais les modes de vie en sont déjà affectés. « Silaa Nalagavok », « Le climat est le maître » : cette formule couramment utilisée au Groenland souligne la forte dépendance de l’Homme du Nord à ce facteur.
Sur le plan politique, les gouvernements locaux et les organisations qui défendent les droits et les intérêts collectifs des autochtones telles que la Conférence circumpolaire inuit, le Conseil saami, l’Association des peuples autochtones du Nord, l’Association internationale des Aléoutes sont tout à fait conscientes des problèmes environnementaux liés au réchauffement. Ils sont également conscients que les changements climatiques, qui rendent plus accessibles les ressources de leur sous-sol, favorisent une course internationale aux richesses énergétiques et minérales dans leurs régions. De fait, les demandes de prospection et d’exploitation off-shore du pétrole et du gaz se multiplient, tandis que l’ouverture potentielle de la route maritime du Nord sibérien et celle du passage du Nord-Ouest attisent les convoitises.
Quel en sera l’impact sur les petites sociétés qui bordent ces routes ?
Y trouveront-elles des retombées économiques, ou seront-elles au contraire soumises à une terrible menace pour leurs modes de vie et leurs cultures, qui ne résisteront pas à ce choc économique et culturel ? A cela s’ajoutent les risques écologiques majeurs que cette situation nouvelle pourrait engendrer, notamment en cas de marée noire. Les études menées durant cette année polaire pourraient apporter des éléments de réponse à ces questions.

La biodiversité polaire : une richesse menacée

La biodiversité polaire, nous le savons, est menacée par le changement climatique. L’un des animaux emblématiques de la banquise, le manchot empereur, présente une double particularité surprenante. En premier lieu, le mâle peut jeûner pendant 4 mois pour s’occuper de l’œuf, tandis que la femelle part à la recherche de nourriture. En second lieu, un processus biologique envoie au mâle un signal lorsque le moment est venu de reprendre son alimentation, en abandonnant éventuellement son œuf. Plus étonnant encore, ce signal prend en compte le temps de déplacement nécessaire à la recherche de nourriture.
« Face à ces deux enjeux majeurs que sont, pour les générations futures, les changements climatiques et la préservation de la biodiversité, force est de constater qu’ils sont traités de manière différente dans les médias. Le changement climatique commence à être pris au sérieux, mais le plus souvent, on a le sentiment que dans le discours sur les enjeux climatiques, le vivant constitue au mieux le décor... La société n’a pas encore bien assimilé, sauf peut-être pour l’ours polaire, la gravité de l’extinction des espèces engendrée par l’Homme », soulignait le biologiste du CNRS, Yvon Le Maho.
Le documentaire “La Marche de l’empereur” a merveilleusement popularisé l’image de ces mâles qui, pour couver leur œuf, jeûnent au cœur de l’hiver antarctique dans un froid extrême pour l’Homme. On a retenu l’idée que ceux-ci passent des jours, voire des semaines serrés les uns contre les autres afin de survivre à 4 mois de jeûne.
Malgré leurs remarquables adaptations aux aléas climatiques et à leurs conséquences sur les ressources marines, la survie annuelle moyenne des manchots diminue d’environ 10% lorsque la mer se réchauffe seulement de 0,3° C. « Naturellement, il faudra, au cours de l’année polaire internationale, tenter d’en savoir plus sur la dynamique de population des manchots, notamment la survie des immatures. Néanmoins, a priori, cette diminution de la survie des adultes est suffisante pour entraîner une baisse de leurs populations, voire leur disparition si les hausses de température se prolongeaient ».

Sophie Périabe

(Avec le rapport sur “La place de la France dans les enjeux internationaux de la recherche en milieu polaire : le cas de l’Antarctique ” - “Les pôles, témoins pour les hommes”).


La France occupe une place privilégiée dans la recherche scientifique

L’Antarctique, seul continent érigé en réserve naturelle pour l’humanité, pour la paix et pour la science, est un héritage précieux. C’est aussi un héritage fragile car, ne nous le cachons pas, sa protection tient beaucoup à son inaccessibilité.
Dans plusieurs domaines majeurs comme les sciences du climat ou la biologie, nos chercheurs se placent au premier rang mondial.
En effet, la France a toujours su occuper une place privilégiée dans la recherche scientifique et technologique des régions polaires. Elle eut, dans un passé récent, ses explorateurs célèbres : Dumont d’Urville, Charcot, ou plus récemment encore, Paul-Emile Victor. Sa présence sur les terres australes et antarctiques de Terre Adélie permet aux scientifiques de travailler dans les meilleures conditions sur des bases permanentes propres à les accueillir, notamment grâce à une desserte régulière assurée par de grands navires tel que le Marion Dufresne.
Dans les mois à venir, notre pays doit participer à 55 des 200 projets sélectionnés par un comité international des programmes scientifiques. Le CNRS et l’IPEV (Institut Paul-Emile Victor) sont appelés à jouer un rôle décisif dans cette aventure de ce début de 21ème siècle. Grâce à leur savoir-faire, acquis au cours de décennies d’expéditions sur le terrain, ce coup de projecteur indispensable dirigé par les activités polaires a par ailleurs de fortes chances de faire apparaître des domaines de recherche émergents tels que l’astronomie, notamment pour les observations par infrarouge ou encore l’étude du comportement des chercheurs en milieu confiné, dans le cas de la préparation des missions spatiales.
La communauté scientifique internationale peut donc espérer en toute légitimité un bond en avant considérable dans cette période qui s’ouvre aujourd’hui.


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