2007-2008, l’année polaire

Mobilisation internationale pour l’étude des conséquences des changements climatiques sur les régions polaires

23 janvier 2007

Le 1er mars 2007 verra le lancement de l’année polaire internationale (mars 2007-mars 2008), la quatrième du genre depuis 1882-83. Initiée par un hommage rendu au grand explorateur polaire Paul-Emile Victor, dont c’est le centenaire de la naissance, l’année polaire 2007-2008 va favoriser la conduite d’importants programmes scientifiques, en particulier liés à l’étude des changements climatiques.

Depuis la fin du 19ème siècle, les années polaires internationales (voir Historique) sont l’occasion d’un effort remarquable de coopération à l’échelle du monde, pour l’étude de la planète. Elles ont constitué les premiers grands programmes scientifiques internationaux.
Cette 4ème Année Polaire Internationale intervient 125 ans après la première (1882-83) et 50 ans après l’année géophysique internationale (1957-58). Co-parrainée par l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM), l’année polaire internationale 2007-2008 a été officiellement adoptée par les membres du Conseil international pour la Science (ICSU) lors leur 28ème Assemblée générale de Suzhou (Chine). Présentée alors comme « un projet mondial ambitieux » pour la recherche polaire - d’une importance comparée au voyage dans l’espace et à l’étude du génome humain, cette initiative a attiré plus de mille propositions de recherche envoyées par des scientifiques du monde entier. Un comité international de sélection, composé d’une vingtaine de personnes, a examiné la conformité de chaque projet avec les thèmes d’études et les critères retenus par les organisateurs (voir encadré) . 209 projets auraient été labellisés “Année polaire internationale” (API).
Cette année polaire sera l’occasion de campagnes internationales de grandes envergures, dans le but de faire de nouvelles avancées dans la recherche polaire. Elles se dérouleront dans les deux hémisphères, de façon à mettre en relief le rôle décisif que jouent les régions polaires pour le reste de la planète.

En France, l’année polaire sera inaugurée par un débat au Sénat, le 1er mars 2007. Un comité de parrainage français a été constitué, sous l’égide de l’Académie des Sciences, et réunit des membres de l’Académie et de l’Institut Polaire français. Il est présidé par Claude Lorius, membre de l’Académie des Sciences et Directeur de recherche au CNRS (laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement).
Ce dernier a fait observer que sur les 209 projets internationaux retenus, 55 impliquent des équipes françaises et 5 d’entre eux sont sous la responsabilité principale de scientifiques français, tels Madeleine Griselin, Directrice de recherche au CNRS (Hydro sensor flows), Jean-Claude Gascard, de l’Université Pierre-Marie-Curie (projet Damoclès), Yves Frenot, Directeur-adjoint de l’Institut Paul-Emile-Victor (IPEV), Chercheur au CNRS (station biologique de Paimpont) pour le projet Concordia ; Guillaume Ramillien, Chercheur au CNRS et au COMAAR (Consortium pour la coordination des Observations sur l’Arctique) dans un projet de comparaison du Groenland et de l’Antarctique par le suivi du satellite Grace ; et Eric Fossat, Astrophysicien spécialiste de l’Antarctique au laboratoire universitaire de Nice, dans le projet “Stella Antarctica”.
Le projet Damoclès, financé par l’Europe (9,3 millions d’euros pour la seule partie française), est l’un des plus importants et doit évaluer l’impact du réchauffement sur l’évolution de la banquise de l’Arctique.

A noter encore que, pour la première fois dans une année polaire, les sciences humaines et sociales sont concernées par les programmes de recherche, dont certains vont s’attacher à mieux comprendre les spécificités des populations de l’Arctique. Environ 150.000 Inuits seront associés via la Conférence circumpolaire inuit (CCI). Ces populations réparties entre l’Alaska, le Canada, le Groenland, la Scandinavie et la Russie sont les premières victimes du changement climatique dont les effets sont démultipliés au-delà du cercle polaire arctique. Les conséquences sont tangibles sur leur mode de vie, leurs constructions, leur consommation...
Plus de 440 millions de dollars seront mobilisés dans ce programme de recherche unique, avec comme principal contributeur le Canada (132 millions), suivi par les pays scandinaves et les Etats-Unis (50 millions).

Pendant la durée de cette année polaire, plusieurs expéditions vont jalonner l’événement. Il est prévu en particulier une grande traversée de l’Antarctique par des scientifiques français, italiens, allemands (de la base Dumont-d’Urville).
A la base franco-italienne (Concordia), russes (à Vostok), chinois (au Dôme A) et américains (par la voie des airs). Ils se livreront à toutes sortes de mesures, tandis qu’une autre expédition en dirigeable (Pole Airship), menée par l’explorateur français Jean-Louis Etienne, se donne pour objectif de mesurer l’épaisseur de la glace au pôle Nord.

P. David


Une ouverture au grand public

L’année polaire mobilisera notamment des établissements de recherche (CNRS, CEA, CNES, Météo-France, Ifremer, ...) et des universités concernées par les recherches dans les régions polaires, pour établir avec les acteurs de la diffusion de la culture scientifique (Musée, CCSTI, associations, ...) un dialogue direct entre scientifiques et grand public autour de grands thèmes qui concernent l’ensemble de la planète.
C’est pour le public l’occasion de débattre et de s’informer sur des questions comme l’évolution du climat, l’ozone atmosphérique, la biodiversité, qui sont au cœur des grandes problématiques qui engagent l’avenir de nos sociétés.


Concours photos

Le CNRS et l’Institut Paul-Emile Victor (Institut polaire français) organisent un concours de photographies sur le thème “Science et logistique sous les hautes latitudes”, pour garder un témoignage de l’année polaire 2007-2008 vue par les scientifiques.


Historique

1882-1883 : première année polaire internationale (API). A l’origine de cet évènement, la constatation que les phénomènes géophysiques ne pouvaient pas être appréhendés de manière unilatérale, par les nations. 12 pays rassemblèrent donc leurs forces pour organiser cette année-là 13 expéditions en Arctique et 2 en Antarctique. C’est à cette occasion, par exemple, que les Américains établirent leur base à Barrow, le long de la côte Nord de l’Alaska.

1932-1933 : l’Organisation Mondiale de la Météorologie initie la deuxième API pour étudier spécifiquement les implications, au niveau mondial, du "Jet Stream", récemment découvert. Des avancées significatives furent alors obtenues dans les domaines de la météorologie, le magnétisme, les sciences atmosphériques et ionosphériques.

1957-1958 : la troisième API se fit dans le cadre de l’Année Géophysique Internationale (AGI). L’Année Internationale de la Géophysique de 1957-1958 exploitait à des fins pacifiques les technologies développées pendant la 2ème Guerre mondiale et a donné des résultats marquants comme la découverte des ceintures de radiations de Van Allen qui entourent le globe, les premières évaluations de la taille de la masse glaciaire de l’Antarctique et la confirmation de la dérive des continents.

Un demi-siècle s’est écoulé depuis la dernière initiative de projet de recherche internationale polaire de l’ICSU.
La recherche polaire a pris son essor à partir de cette époque : 12 nations ont établi des observatoires sur le continent antarctique, dont Amunden-Scott (USA), Vostok (URSS) et Dumont-d’Urville (France)
Les scientifiques de l’ICSU voient l’Année Polaire Internationale 2007-2008 comme une opportunité d’exploiter les avancées technologiques modernes, des capacités de détection à distance des satellites à l’analyse génomique, pour livrer un héritage tout aussi impressionnant.


Les thèmes de travail

Six thèmes fédérateurs capables de rassembler le plus grand nombre de projets d’études ont été sélectionnés :

- Thème 1 - Prendre le pouls des régions polaires : Evaluation de l’état actuel de l’environnement polaire en quantifiant sa variabilité spatiale et temporelle

- Thème 2 - Comprendre les changements : Quantifier et comprendre les changements environnementaux et humains, passés et actuels, afin d’améliorer nos prévisions pour le futur

- Thème 3 - Etablir les liens globaux : Faire progresser notre compréhension des liens entre régions polaires et le reste de la planète, à plusieurs échelles, et sur les processus contrôlant ces interactions

- Thème 4 - Etudier l’inconnu : Etudier l’inconnu aux frontières de la science dans les régions polaires (caractéristiques des océans profonds, des écosystèmes sous-glaciaires, organisation et structure de la biodiversité polaire, effets de la terre solide sur la dynamique des glaciers... )
Thème 5 - Profiter de la position unique des régions polaires : S’appuyer sur la position géographique unique des régions polaires pour mettre en place ou développer des observatoires sur la Terre profonde, le magnétisme terrestre, l’espace, le soleil et au-delà
Thème 6 - Sciences humaines : Etudier les processus culturels, historiques et sociaux responsables de la résilience et du maintien des sociétés humaines arctiques et identifier la spécificité de leur contribution à une diversité culturelle globale


Entretien avec Michel Champon, préfet administrateur supérieur des T.A.A.F

Les TAAF et la logistique des bases antarctiques françaises

Vous êtes administrateur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Pouvez-vous situer le rôle de cette collectivité par rapport à l’Antarctique, où le secteur français paraît petit, relativement aux autres, et assez éloigné des terres australes françaises puisqu’il fait face à l’Australie ?


M.C : Si la France a une position à la fois forte et reconnue internationalement, c’est d’une part grâce à la collectivité territoriale des TAAF - qui est une structure unique - et d’autre part parce que la création des TAAF elle-même est le fait de grands pionniers comme Paul-Emile Victor (1907-1995), dont c’est cette année le centenaire de la naissance. Avant la Seconde Guerre mondiale, il a commencé avec Charcot des expéditions dans le Groenland, puis dans l’Antarctique. C’est à lui que la France doit sa présence là-bas, avec une première base, celle de Port-Martin, qui a disparu dans un incendie. Il y eut ensuite la base Dumont-d’Urville. Paul-Emile Victor a fait comprendre que si la France veut être forte, il lui faut se donner les moyens de gérer ces zones, par les TAAF, qui ont été créées à son instigation, en prévision de l’année polaire 1957-1958.
Quant au secteur français, je trouve au contraire qu’il a une position très forte. Il faut se représenter l’Antarctique et ses 14 à 15 millions de km2 - c’est-à-dire 2 fois l’Australie. La “petite tranche” dont dispose la France en Terre-Adélie est grande comme la France métropolitaine (environ 500.000 km2). Elle paraît petite à côté de l’Australie, qui s’est taillée la part du lion, mais il n’y a que 7 pays au monde qui soient possessionnaires de l’Antarctique, sur lequel toute revendication est figée par le consensus international existant autour du Traité de Washington (1959). C’est dire la force de la France : ni les Etats-Unis, ni la Russie (alors Union soviétique - Ndlr) n’ont de secteur. Il existe 48 bases en Antarctique, dont très peu de bases permanentes, et la France dispose d’une base permanente, et d’une deuxième base, Concordia, partagée avec l’Italie.

D’un point de vue scientifique, quel est le partage des rôles ?

- Jusqu’en 1992, les missions scientifiques étaient gérées directement par les TAAF. Elles sont maintenant coordonnées par l’Institut polaire français, qui est un groupement d’intérêt public. La collectivité TAAF a essentiellement pour rôle de faire vivre le territoire, d’assurer le ravitaillement, la logistique, ceci afin de permettre aux scientifiques d’exercer leurs talents. La base Dumont-d’Urville appartient aux TAAF et son chef de district est quelqu’un des TAAF. Une grande partie du matériel destiné à la base de Concordia, à 2.000 km à l’intérieur, passe par Dumont-d’Urville. Concordia est une deuxième base permanente, située dans la zone australienne. Elle a été construite par l’Institut polaire français et son homologue italien sur un programme européen (EPICA). Elle ne fonctionnait que l’été, au départ, pour des carottages profonds qui visaient à étudier l’histoire du temps, au sens météorologique du terme. Ces études ont permis de remonter jusqu’à 800.000 ans en arrière. Aujourd’hui, les carottages sont terminés, mais l’intérêt de cette base, située à mille mètres d’altitude, est d’offrir des perspectives uniques pour l’observation astronomique.

L’année polaire internationale 2007-2008 va promouvoir des projets scientifiques porteurs. Auront-ils une incidence sur des “projets porteurs” promus au niveau de La Réunion, par les institutions qui se sont intéressées aux terres australes notamment ?

- Il n’y a pas de rapport entre ces deux niveaux de recherche. Nous travaillons pour des objectifs assez immédiats, alors que les programmes de l’année polaire sont plutôt tournés vers l’observation fondamentale. Cela va être un des moments forts pour faire le point sur les évolutions climatologiques. De ce qu’on peut constater actuellement, la fonte de la calotte glaciaire n’est pas la même au pôle Nord et au pôle Sud. Elle est beaucoup plus importante en Arctique et le phénomène est très différent dans l’Antarctique, qui est un continent recouvert d’une “couche” de 3 km de glace. Le mouvement de fonte y est plus lent et moins important. En revanche, des travaux ont montré que les évolutions climatiques en cours ont, dans l’Antarctique, une influence sur la présence et la vie de colonies d’animaux, dont on a constaté une réduction des populations ou des migrations encore inexpliquées. Peut-être liées à des évolutions des courants marins déplaçant la nourriture de ces espèces... L’année polaire internationale, notamment par ses programmes de biologie, sera l’occasion d’aller plus loin.

Parmi les nombreux projets internationaux identifiés, on constate qu’il y en a beaucoup plus sur l’Arctique que sur l’Antarctique. Quel commentaire pouvez-vous en faire ?

- L’Arctique n’est qu’une calotte de glace, alors que l’Antarctique est un continent. D’une façon générale, il est plus facile de faire des recherches en Antarctique, où existe un continuum de présence scientifique depuis les années 50. En Arctique, c’est plus compliqué. C’est ce qui explique cette disproportion, accrue par la conjoncture mondiale de fonte des glaciers du pôle Nord et ses conséquences sur les colonies d’ours et de phoques, ainsi que sur l’écosystème humain des Inuits. Il faut aussi compter avec la proximité de l’Arctique par rapport aux grands pays scientifiques. Je pense que ces 3 facteurs - d’opportunité (année polaire), d’actualité (réchauffement climatique) et de proximité - expliquent la différence que vous relevez.
Je voudrais attirer l’attention sur un programme, parmi ceux qui vont se déployer dans le courant de cette année polaire : c’est un programme russe, qui se propose de percer la couche glaciaire jusqu’à atteindre ce qu’on appelle les lacs sub-glaciaires, entre la glace et la terre. C’est une zone préservée de tout depuis des millions d’années ; c’est donc très intéressant à étudier. Mais comment faire pour que ces forages, qui ont lieu actuellement au lac Vostok, ne soient pas perturbateurs du milieu qu’ils vont explorer ? C’est à la fois un défi scientifique passionnant - explorer une eau fossile - et un dilemme : comme y aller sans faire une catastrophe ?

Propos recueillis par Pascale David


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