’Biodiversité, science et gouvernance’ à Paris

’On n’a pas compris que la nature, c’est nous’

25 janvier 2005

La conférence internationale sur la biodiversité s’est ouverte hier. Mille deux cents personnes y participent, pour évoquer la disparition accélérée des espèces, à un rythme 100 à 1.000 fois supérieur au rythme naturel. Le président Chirac y a annoncé hier que la France devrait créer des réserves naturelles dans les terres australes de l’Antarctique, ainsi qu’à Mayotte et à La Réunion.

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L’idée de conférence internationale sur la biodiversité avait été proposée par Jacques Chirac au sommet du G8 à Evian, en juin 2003. Or, la France, "qui est extraordinairement bonne pour donner des leçons aux autres", n’a toujours pas de parc national en Guyane, ni de réserve pour ses coraux en Nouvelle Calédonie, déplorait hier Nicolas Hulot.
La Ligue de protection des oiseaux (LPO) rappelle, quant à elle, que la Commission européenne a désigné la France au début du mois comme l’un des mauvais élèves de l’UE en matière de protection de la nature. Sur les 100.000 chercheurs français, moins de 5.000 travaillent sur la biodiversité.
La biodiversité désigne la variété des espèces et des milieux naturels dans lesquels elles évoluent. Le succès de l’humain sur terre se traduit par une disparition accélérée des espèces, à un rythme 100 à 1.000 fois supérieur au rythme naturel, selon les scientifiques.
"On n’a pas compris que la nature, c’est nous", lance Robert Barbault, directeur du département Écologie du Muséum d’histoire naturelle. "La déforestation, c’est une catastrophe économique en préparation", relève-t-il.
La conférence internationale sur la biodiversité s’est ouverte hier à Paris. Elle s’achèvera vendredi par l’adoption d’un document final intitulé "Déclaration de Paris". Mille deux cents responsables scientifiques, politiques, écologistes réfléchiront ensemble sur le devenir de la biodiversité. Le président Chirac y a annoncé hier que la France défendrait la création d’aires protégées dans les océans et qu’elle relançait la création de parcs nationaux, "au plus tard en 2006, en Guyane et à La Réunion, en accord avec les autorités locales". Elle devrait aussi créer des réserves naturelles dans les terres australes de l’Antarctique, ainsi qu’à Mayotte et à La Réunion.

"Le point de départ d’une mobilisation"

Selon Michel Loreau, président du Comité scientifique, "la Déclaration de Paris" recensera les principaux points d’accord de 4 jours de discussions et précisera pour chacun des acteurs les tâches destinées à mieux préserver la biodiversité. "Nous voulons surtout que Paris soit le point de départ d’une mobilisation en faveur de la biodiversité", a-t-il déclaré lors d’un point de presse.
L’universitaire français a en outre insisté sur l’importance de la rencontre de Paris, affirmant qu’elle offre, pour la première fois dans le monde, l’occasion aux scientifiques, aux hommes politiques et à la société civile d’engager ensemble la réflexion sur le devenir de la biodiversité.
"Des colloques scientifiques de haut niveau sur la biodiversité sont régulièrement organisés. Des hommes politiques en parlent entre eux. Et les entreprises n’ont jamais eu leur mot sur le sujet. La grande opportunité qu’offre la conférence de Paris est de mettre tout ce monde à la même table", s’est réjoui le président du Comité scientifique.
"Nous avons pris du retard dans les connaissances en matière de biodiversité. Le mécanisme existant est insuffisant. Cette conférence va être un temps fort pour dresser un état des lieux précis de la biodiversité et envisager les évolutions pour les prochaines années", a ajouté Michel Loreau.
Près d’un millier de délégués représentant les États, les ONG, les institutions d’enseignement et de recherches sont attendus à Paris. Les travaux, qui se déroulent dans les locaux de l’Organisation des Nations unies pour l`éducation, la science et la culture (UNESCO), seront rythmés par 15 ateliers thématiques, tous en rapport avec le thème central de la rencontre : "la biodiversité : science et gouvernance".


"On n’avance pas"

La "liste rouge" de l’Union mondiale pour la nature (UICN) dénombre au moins 15.589 espèces confrontées à un risque d’extinction. Face à cette hécatombe, "La communauté scientifique est fragmentée et n’a pas les moyens de mener les recherches", estime Michel Loreau, président du conseil scientifique de la conférence.
La biodiversité souffre de n’avoir aucun groupe d’expertise validé par la communauté internationale pour alerter les chefs d’État et l’opinion. La Convention sur la biodiversité, signée en 1992, n’impose pas de cadre contraignant aux États, contrairement au Protocole de Kyoto pour le climat.
"On n’avance pas", résume Sébastien Moncorps, directeur de l’Union mondiale pour la nature (UICN) pour la France. Les chefs d’État se sont engagés en 2002, au sommet de la Terre de Johannesburg, à réduire la perte de biodiversité d’ici à 2010, un objectif jugé à la fois trop vague et irréaliste par les scientifiques.
La conférence de Paris, organisée en dehors du cadre officiel de négociation des Nations Unies, ne peut rien adopter formellement. Mais elle pourrait proposer la création d’un groupe d’experts mondial sur la biodiversité, comparable au groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC ou IPCC en anglais).
Le prix Nobel de la Paix Wangari Maathai, vice-ministre de l’environnement du Kenya, le Premier ministre de Malaisie Abdullah Badawi, les présidents de Madagascar et du Nigéria, le directeur général du Programme des Nations Unies pour l’environnement participeront aux débats, à côté de scientifiques de renom, comme le "père" de la notion de biodiversité Edward Wilson (Havard, États-Unis).
Le raz-de-marée en Asie a révélé la vulnérabilité accrue des côtes, privées de la protection naturelle des mangroves et récits coralliens. Partout dans le monde, de l’Asie à la Californie tout récemment, les dégâts sont plus importants sur les sols dénudés.


15.589 espèces risquent l’extinction

Contrairement aux crises précédentes qui se sont étalées sur des milliers, voire des millions d’années, la crise actuelle "se compte en dizaines d’années ou en siècles, mettant la capacité d’adaptation des espèces à rude épreuve", selon Robert Barbault. La dernière crise a vu disparaître les dinosaures, il y a 65 millions d’années.
* Au moins 15.589 espèces, animales et végétales, sont confrontées à un risque d’extinction, notamment un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un amphibien sur trois et près de la moitié des tortues d’eau douce ("Liste rouge" de l’UICN)
* Depuis 1500, 784 espèces animales et végétales sont considérées éteintes et 60 supplémentaires ne survivent qu’en captivité ou en culture
* L’homme n’a décrit que 1,75 million d’espèces sur un total estimé entre 10 et 30 millions
* Pour chaque plante tropicale qui disparaît, environ 30 espèces associées disparaissent. Pour chaque arbre tropical, ce sont 400 espèces qui disparaissent
* Les trois quarts de la population mondiale se soignent grâce aux plantes, et 70% de nos médicaments sont dérivés de plantes (Nicole Moreau, CNRS)


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