Oui ou non, des forages géothermiques exploratoires ?

25 septembre 2008

Une enquête publique préalable aux travaux de recherche de gîtes géothermiques est ouverte depuis lundi 22 septembre à la mairie de Sainte-Rose. On peut s’étonner que la question mise à l’enquête publique ne l’ait été qu’à Sainte-Rose, commune abritant le périmètre prescrit par l’arrêté préfectoral du 25 août dernier. La question énergétique, en effet, est d’intérêt régional - voire national - et le champ de l’enquête aurait pu être moins limité. Quoi qu’il en soit, tout citoyen - quelle que soit sa commune de résidence - peut s’exprimer sur le projet... en se rendant à la mairie de Sainte-Rose ou en téléchargeant le dossier sur le site de la Préfecture.
La question émeut beaucoup les défenseurs du patrimoine naturel, placés dans une position inconfortable, la politique énergétique ne relevant pas de leur compétence première. Mais encore une fois, tout le monde doit pouvoir s’exprimer.
Témoignages ouvre le débat avec Philippe Berne, conseiller régional.

Le site a essentiellement un intérêt paysager. Il donne une vue sur le volcan, le piton Chisny, la Plaine des Sables...
(photo Toniox)

Philippe Berne, vice-président du Conseil régional et président de la Commission du Développement Durable :

« La ressource géothermique est de l’énergie propre »

L’enquête publique ouverte cette semaine fait polémique dans les milieux des défenseurs de la nature réunionnaise, auxquels vous vous identifiez également. Comment le lieu a-t-il été choisi et est-ce que les forages exploratoires ne pouvaient pas se faire ailleurs ?


- Ce qui est à l’enquête publique, ce n’est pas la mise en place d’une usine géothermique, c’est l’installation de forages près du Piton Chisny et de la route forestière, assez cachés pour qu’on ne les voie pas depuis le rempart de la Plaine des Sables.
Depuis 8 ans, le Conseil régional a financé des études menées par une équipe de chercheurs de l’Université de La Réunion, de Paris-VI, de Clermont-Ferrand et du BRGM, avec des spécialistes Néo-Zélandais de la géothermie. Ils ont analysé la surface de La Réunion pour voir où nous avions des chances de trouver à la fois un gradient thermique et de l’eau. Leur conclusion a été que c’est sous la Plaine des Sables qu’existe une possibilité de ressource. Ils ont fait une modélisation, ils en ont aussi mesuré les limites et ils ne peuvent pas aller plus loin dans les techniques de connaissance - qui, par parenthèse, ne sont plus ce qu’elles étaient dans les années 80. On a aujourd’hui beaucoup plus d’éléments sur le sous-sol réunionnais. Et la Plaine des Sables est le seul endroit où la modélisation montre qu’il y a des potentialités... mais il faut aller voir. Si les forages disent que la ressource n’y est pas, si on ne la trouve pas à cet endroit-là, on peut faire une croix sur la géothermie.

C’est donc totalement exploratoire, mais peut-on se passer de cette exploration ? Et peut-on se passer de la ressource géothermique ?

- Ce serait une lourde erreur dans la perspective de l’autonomie énergétique de La Réunion. L’avantage géothermique est que cette énergie participe au fonds de production électrique, parce que c’est une énergie constante. Elle est disponible jour et nuit, alors que le photovoltaïque, l’éolien ou même la houle sont aléatoires. Et à cause de ce caractère aléatoire, l’intérêt est d’avoir un mixte énergétique le plus large possible. Comment certains peuvent-ils dire que la géothermie est “d’un apport négligeable” et en même temps nous interdire d’aller vérifier l’importance de la ressource ? Personne n’a idée de ce que nous allons trouver dans le sous-sol du site proposé à l’enquête publique.

Certaines inquiétudes portent sur la détérioration du site. La SREPEN évoque par exemple « une dégradation quasiment irréversible ». L’association citoyenne de Saint-Pierre parle de « saccage ». Qu’en pensez-vous ?

- Les forages vont avoir besoin d’eau, donc il va y avoir une retenue collinaire et avant un an, nous saurons s’il y a la ressource ou s’il n’y en a pas. S’il n’y a pas la ressource, on ferme les tuyaux, on enlève la retenue collinaire. On aura des prélèvements de “carottes” que la Région a aussi financés : 1,5 km de la vie de notre volcan - ce qui, sur le plan des connaissances, est quelque chose d’extrêmement intéressant.
Dans les 3 hectares où vont se faire les forages exploratoires, on a essentiellement des scories et des lapilli (produits éruptifs - Ndlr), une végétation et une faune endémiques, mais ces endémiques se retrouvent sur les quelque 15.000 hectares autour. On trouve des branles verts, des branles blancs, des myosotis endémiques, des fourrés de sophora, des insectes endémiques peut-être... Mais comme il y en a partout dans les environs. Ces forages ne constituent pas une action contre le patrimoine faune/flore. Bien entendu, on fera attention. Ensuite, on bouchera et on ne verra plus les forages, si ce n’est les traces que nous laisserions pour une histoire - courte ! - de la géothermie.

Mais l’intérêt principal de financer de tels forages ne réside-t-il pas tout de même dans une forte potentialité de trouver la ressource ? Et s’il y a la ressource, que va-t-il se passer ?

- S’il y a la ressource, les forages doivent permettre de localiser la vapeur d’eau sous pression et d’indiquer le potentiel en énergie.
Si c’est intéressant (de 20 à 50 MW), il faudra lancer une deuxième phase, qui n’a rien à voir avec l’enquête publique actuelle. Mais il faut savoir qu’on avait fait inscrire dans le décret du Parc National, la possibilité de faire de la géothermie. C’est là-dessus que porte l’enquête publique en cours : les Réunionnais sont-ils favorables à une exploration de la ressource géothermique, dans le but d’atteindre l’autonomie énergétique - et en sachant que c’est de l’énergie propre, sans rejet de CO2 ?

Pensez-vous qu’en expliquant davantage l’utilité de ces forages, il est possible de gagner l’opinion ?

- Tout à fait. On peut vouloir la préservation du patrimoine naturel sans s’interdire une source d’énergie pérenne et non polluante. C’est ce que j’ai expliqué lorsque j’ai été invité par un groupe de guides travaillant au volcan, très opposés au projet de forages. Je suis allé à leur rencontre, avec le géologue qui forme ces guides à la connaissance du volcan et qui, lui, est favorable aux forages. Nous avons expliqué, sans hypocrisie, sans rien cacher : le bilan énergétique de La Réunion, les 63% d’énergies fossiles, notre projet pour le volcan... Sur le plan touristique, une telle usine aurait un succès indéniable. Bien sûr, il ne faut pas la mettre n’importe où. Il ne faut pas faire une verrue dans le paysage. Mais enfin ! J’ai été à l’origine de toute la démarche qui a conduit à la création du Parc national. Et j’ai dit lors d’un conseil d’administration du Parc national, qu’il n’y aura pas de centrale géothermique dans la Plaine des Sables. Le Parc national est garant de cela. Tout est dans son cahier des charges : pas de publicité, pas de lignes aériennes. De nos jours, on sait faire des forages (d’exploitation - Ndlr) en biais. Il y aura un autre cahier des charges et toutes les contraintes liées aux autorisations.

La Plaine des Sables a été retirée du périmètre “Cœur du Bien” Patrimoine de l’humanité (UNESCO). Ce retrait est-il un subterfuge ?

- Le site a essentiellement un intérêt paysager. Il donne une vue sur le volcan, le piton Chisny, la Plaine des Sables...C’est magnifique ! Mais dès le départ, nous avons dit à l’UICN que nous souhaitions faire des forages. L’UICN nous a alors proposé d’enlever cette partie du Cœur du Bien, quitte à la remettre ensuite, s’il n’y a pas de ressource. Il fallait enlever une partie qui corresponde à une “unité paysagère”. Nous ne pouvions pas enlever seulement 3 ha. Mais j’insiste sur le fait que c’est en accord avec l’UICN que la Plaine des Sables a été retirée provisoirement du périmètre proposé. Et en tout état de cause, rien n’a été fait "an misouk" puisque c’est l’UICN elle-même qui a proposé cette solution d’attente. Ce n’est pas un coup fourré de la Région ou du Parc National. C’est le résultat d’une négociation avec l’organisme, mondialement reconnu, qui fait l’instruction du dossier. Il faut aussi comprendre que le “patrimoine naturel” proposé au label de l’UNESCO, ce n’est pas seulement le volcan, c’est tout un ensemble qui par ailleurs inclut des cirques, des mornes... toute une géologie particulière, que La Réunion voudrait voir classer.

Qu’apporterait ce classement à La Réunion ?

- C’est un label qui s’ajouterait au label Parc national, une attractivité touristique supplémentaire, que personnellement je ne sais pas quantifier. L’UNESCO identifie deux types de patrimoine : un “patrimoine humain” et un “patrimoine naturel”. A un patrimoine naturel correspond des contraintes, mais nous avons déjà ces contraintes avec le Parc national.

Selon vous, il n’y a pas d’incohérence dans le périmètre proposé à l’UNESCO ?

- Pas du tout. En octobre viennent deux experts de l’UICN, dont un géologue. Cette visite est prévue dans le calendrier, mais ce qu’il ne faut pas laisser faire, c’est qu’un forcing remette en cause le calendrier... Alors que nous avons toujours joué franc jeu. Personne ne peut dire que nous ne cherchons pas la géothermie depuis des années. Si nous ne faisons pas ces forages, quelle sera notre responsabilité vis-à-vis des générations suivantes ? Sans compter qu’il est incompréhensible de voir des scientifiques - ou qui se veulent tels - se fermer à la curiosité de la science et à ce qu’elle peut nous apprendre de notre volcan.

Propos recueillis par P. David

Lire demain : la position exprimée par la Société Réunionnaise pour l’Etude et la Préservation de l’Environnement (SREPEN).

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