Glaciers du Groenland

Subite et importante accélération de la fonte des glaciers

1er septembre 2009

La température moyenne de la planète a augmenté d’environ 0,6°C depuis le début du dernier siècle. Le GIEC prévoit que le réchauffement se poursuivra, et qu’il risque d’augmenter de 1,4 à 5,8°C au cours du 21ème siècle. Notons que de plus récentes études vont même jusqu’à prévoir de 10 à 12°C d’augmentation !

Gordon Hamilton, glaciologue, installe de l’équipement sur le glacier Kangerdlussuaq au Gröenland. Professeur à l’Institut du changement climatique (ICC) de l’Université du Maine, il a embarqué sur l’Arctic Sunrise pour trois semaines d’expérimentations. Gordon est un habitué du Groenland : il a déjà constaté en 2005 l’accélération de la fonte de cinq de ses plus gros glaciers (Helheim, Kangerdlugssuaq, Petermann, Humboldt, Jacobshavn). A eux cinq, ces mastodontes déversent environ 30% de la calotte glaciaire du Groenland dans les océans. Avec sa collègue Leigh Stearns, le glaciologue arpente les monticules de glace les plus stables pour y installer des balises GPS. Il profite de l’expédition de Greenpeace pour récupérer son matériel déposé, il y a déjà trois mois (appareils photo à la mémoire pleine et valises GPS ayant envoyé leurs coordonnées toutes les cinq secondes).
Interview depuis les sommets qui surplombent le glacier Kangerdlugssuaq, un géant qui déverse environ 6% de la plaque de glace du Groenland sur 6 kilomètres de large.

Quel est le rôle des glaciers de l’Arctique dans la machine climatique mondiale ?

- Principalement, ils influencent le niveau des mers et océans. Si l’ensemble de la glace qui recouvre l’île du Groenland venait à fondre, cela représenterait l’équivalent de 7 mètres d’élévation du niveau des eaux à la surface du globe. L’île est recouverte à 85% par la glace. Cette masse d’eau gelée est lentement transportée par les glaciers avant d’être rejetée dans les fjords sous la forme d’icebergs. Ceux-ci dérivent lentement jusque dans les océans. Au contact d’eaux plus chaudes, ils fondent ce qui va provoquer une élévation du niveau des eaux.


Pourquoi sont-ils si importants ?

- Si les rejets d’icebergs s’accélèrent et s’intensifient, alors l’élévation du niveau des eaux va également s’accélérer. C’est exactement ce que l’on voit avec le Kangerdlugssuaq. Depuis 2004, il a triplé la vitesse à laquelle il déverse des icebergs. D’autres glaciers suivent le même comportement que le Kanger, comme le glacier Helheim ou le glacier Petermann sur la côte Ouest de l’île, alors le niveau des océans va probablement augmenter plus que l’on croit, en tout cas.

Comment se comportent les glaciers groenlandais ?

- Ce qui nous a le plus surpris, c’est que sept des glaciers les plus gigantesques de l’île ont accéléré leurs mouvements. Cela a commencé il y a cinq ans environ. Par exemple, le glacier Kangerdlugssuaq avançait de 5 km par an en 2003, mais en 2005, il a triplé sa vitesse passant à 14 km/an ! C’est une accélération pour le moins impressionnante ! D’autres accélèrent de la même façon, et au même rythme, ce qui nous amène à penser que ce sont les mêmes mécanismes qui conduisent à ces changements.

L’élévation du niveau des eaux est-elle la seule conséquence de la fonte de la calotte groenlandaise ?


- C’est la plus évidente, mais il y a beaucoup d’autres choses. Chaque déversement de glace est un rejet d’eau douce, solide et froide dans des eaux salées. La fonte des glaciers modifie les milieux, et surtout l’équilibre de la salinité des océans, spécialement dans l’océan Atlantique nord. Or, la partie de l’océan Atlantique nord qui touche le Groenland est très importante. C’est là que l’on trouve le courant océanique qui transporte la chaleur à travers les océans de la planète. Avec plus d’eau fraîche et douce, ce courant, véritable courroie de transmission, risque de ralentir voire de se gripper, ce qui aura pour conséquences : moins de chaleur transportée des eaux subtropicales jusqu’en Europe. Cela peut très bien mener à un refroidissement global du climat européen. C’est paradoxal, mais c’est ainsi, le réchauffement climatique global peut se traduire par des hivers extrêmement rigoureux pour toute l’Europe, France incluse.

Comment le Giec a-t-il pris en compte le rôle des glaciers de l’Arctique ?

- Les scientifiques du Giec n’ont pas pris en compte le rôle des glaciers du Groenland, tout simplement parce que leur 4ème évaluation est parue il y a plus de 18 mois et qu’il était alors impossible d’inclure les dernières données dont nous disposons aujourd’hui. Les changements dynamiques comme l’accélération de l’avancée du glacier ou l’augmentation des températures océaniques, qui impactent aussi la fonte des glaciers, n’ont donc pas pu être pris en compte. C’est pourquoi les estimations du Giec — comme l’augmentation du niveau des océans de 30 à 60 cm d’ici à 2100 — nous semblent sous-estimées. Politiquement, la façon dont on anticipe une élévation de 30 cm n’est pas du tout la même que lorsqu’il faut anticiper une élévation de 1 m ou plus.

Qu’est-ce qui est à l’origine de l’accélération des glaciers ?

- Nous ne savons pas vraiment. C’est bien pour cela que nous venons ici chaque été pour comprendre ce qui se passe. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a un réchauffement de l’atmosphère, et que, ce faisant, la glace en contact avec l’air ambiant fond plus vite, se transformant ensuite en eau qui forme des lacs ou s’infiltre dans les crevasses. Comme cette eau fraîche est plus dense, plus lourde, elle trouve sa voie jusqu’à la base du glacier. Elle joue alors le rôle d’un lubrifiant sur lequel le glacier va glisser encore plus vite. Par ailleurs, le glacier entre directement en contact avec l’océan. Or, ces dernières années, les océanographes ont constaté des changements importants dans les courants. Les plus chauds issus des eaux subtropicales parviennent désormais jusqu’ici. Donc, il se pourrait que les glaciers fondent également à partir de leur base. Fragilisé, le glacier rejette davantage d’icebergs. On a également constaté l’apparition de lacs de surface de plusieurs kilomètres de long. Ils ont la particularité de pouvoir se drainer en une seule journée. Or l’ajout de toute cette eau à la base des glaciers doit probablement les fragiliser. Ces lacs à la surface du Groenland changent d’un jour à l’autre. Or, cette eau va au pied du glacier et elle doit bien avoir un effet sur l’avancée des glaces. Tout cela fait partie des phénomènes que l’on étudie, on ne sait pas encore lequel domine, mais la totalité de ces phénomènes accélère le processus global.

Tout fout le camp ?


- Vous savez, la science parle d’elle-même en ce moment et il est inutile d’être un spécialiste pour comprendre que la magnitude des changements en cours est énorme. Les changements sont tellement rapides, dans tous les domaines. Rien qu’au Groenland, la fonte des glaces de l’Arctique et du permafrost s’accélèrent. D’ailleurs, c’est assez frustrant de constater la rapidité de ces changements dans l’environnement pendant que les décideurs politiques se demandent encore comment agir le moins brutalement possible. Obsédés par leurs échéances électorales, ils semblent incapables de prendre les décisions à la hauteur des enjeux.

Propos recueillis par Laure Noualhat

Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique

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