Grande Anse : Pour une fréquentation touristique durable

Tapage politicien autour d’un projet d’aménagement

24 mai 2007

Les médias se sont emparés ces derniers temps du projet intercommunal d’aménagement du site de Grande Anse, en colportant largement une fable créée de toutes pièces par un politicien en mal de mandat : une menace de “privatisation” risquerait d’écarter les Réunionnais de leur site de pique-nique préféré. Foutaise et poudre de perlimpinpin !

(photo PD)

Certains mois d’avril sont-ils vraiment meurtriers ? Jusqu’au mois dernier, le projet d’aménagement du site de Grande Anse, à Petite Ile, suivait tranquillement son cours depuis bientôt quatre ans. Il a donné lieu à une enquête publique qui à l’époque n’a pas fait de bruit particulier. Les porteurs du projet font surtout observer qu’aucune des critiques parmi les plus virulentes entendues depuis un mois n’a été portée au registre de l’enquête d’utilité publique. Depuis le 20 mars, un arrêté préfectoral a déclaré le projet conforme au Code de l’Environnement.
Le projet ne date pas d’hier et les Petite-Ilois ont eu tout le temps d’en débattre : dès 1995, le premier Schéma d’Aménagement régional (SAR) a identifié Grand Anse comme une zone d’Aménagement liée à la Mer. La crique, qui est l’un des plus beaux sites touristiques de l’île, pouvait alors devenir projet d’aménagement, pour un site préservé, valorisé et surtout sécurisé, compte tenu de l’affluence qui s’y presse certains week-ends. Cette affluence est, avec l’érosion naturelle, la principale cause de dégradation du site dans son état actuel.
Le Président de la Région, lors de son tour des communes en 2003, avait encouragé les Petite-Ilois à être « ambitieux, sans être démesurés » rapporte Serge Hoareau, adjoint au maire de Petite-Ile.
Depuis 2002, la commune a préconisé des orientations d’aménagement et depuis deux ans, le projet est aussi porté par la CIVIS. Il comporte des enjeux environnementaux dans la partie littorale et des enjeux économiques et touristiques dans la partie haute (voir encadré), là où un hôtel quatre étoiles a ouvert ses portes, il y a tout juste un mois.
« Sur 70 salariés, près de 40 sont des habitants de Petite-Ile »
fait-on valoir au Palm Hotel & Spa, un établissement conçu sur le modèle de “lodges” à l’architecture intégrée dans la nature environnante, autour d’un noyau central auquel on accède depuis le rond-point de Grand Anse. Mais les responsables de l’hôtel ont fait un faux-pas, dont s’est aussitôt saisi l’opposant principal au maire de Petite-Ile (voir encadré), en déposant le 5 mars 2007 une demande de permis de construire concernant l’un des quatre rondavelles de la plage. « Le propriétaire de l’hôtel est architecte et il souhaitait qu’au niveau de la plage, il y ait un rappel architectural signalant une offre de restauration diversifiée » explique la directrice de l’hébergement, Frédérique Duplain, un peu embarrassée par la polémique née de cette initiative. C’est qu’il n’en a pas fallu plus pour que certains crient à la « privatisation de la plage ». Rien de moins.
A la mairie, on reste serein : « L’hôtelier trouvait que le projet des rondavelles n’avançait pas assez vite et il a voulu accélérer les choses avec cette demande de permis de construire. Mais il s’agit du domaine public. Seul le Conseil municipal peut donner un avis et il ne le fera pas puisque les rondavelles, c’est nous qui les construisons », explique Serge Hoareau.
Exit donc le permis de construire et la « privatisation ».
Reste la polémique, montée par le conseiller municipal d’opposition, François Rouxel, qui brigue pour les prochaines municipales la place de Christophe Payet, sur la base d’arguments qui ne font pas toujours honneur à l’Education nationale... La pétition lancée « pour bloquer le permis de construire », dit son auteur, a même circulé parmi les collégiens.
« Ils sont dans la manipulation politicienne. C’est vrai que la période s’y prête, mais c’est de la malhonnêteté intellectuelle » proteste pour sa part Serge Hoareau, l’adjoint au maire qui se prépare à barrer la route de la mairie à l’opposition. Ça promet du mouvement, pour les prochaines municipales.

P. David


Un projet évolutif

Les grandes lignes du projet d’aménagement de Grand Anse sont tracées depuis 2002-2003 selon deux axes : la protection du site dans la partie basse et des activités touristiques dans la partie haute. L’aire de pique-nique va passer de 2,5 à 4 hectares, avec des coins-feux rajoutés à ce qui était l’ancien camping. La revégétalisation vise à lutter contre l’érosion et les attaques de la houle marine. Le bassin en mer sera conservé et sécurisé, avec une rampe d’accès pour les personnes handicapées, à laquelle s’ajoutera d’autres accès aménagés à la plage, le projet s’inscrivant dans une demande de “label handicap”. Un parcours de découverte sous marine doit voir le jour dans le bassin de mer.
La baignade est prévue dans un complexe qui occupera l’emplacement de l’actuel plateau vert, à côté de la salle des Poivriers. Il pourra accueillir 400 personnes et fonctionnera comme une piscine municipale. C’est le seul point du projet qui s’est attiré une remarque critique lors de l’enquête publique. Il n’en a pas pour autant été jugé contraire au Code de l’Environnement.
Le projet comporte encore des rondavelles : trois de 50m2 chacun initialement, portés à quatre un peu plus réduits (20 à 35 m2), ils sont aujourd’hui la principale pomme de discorde du projet. Les trois camions-bar déjà installés doivent-ils craindre l’arrivée d’un concurrent qui ne jouera pas dans leur catégorie ? « Pourquoi faire un snack de luxe pour l’hôtel ? Nous, nous avons toujours travaillé là et on ne nous a pas fait de faveur. Quand il y a la houle, les cyclones, même si on ne travaille pas, on paie plein-pot » dit Gilles Ramin, l’un des gestionnaires de camion-bar. Son emplacement passera de 15 m2 à 20m2 (« moins une emprise de 3 m2 » précise-t-il), mais il craint la concurrence d’un snack géré par l’hôtel (voir ci-après).
« Ils n’ont pas compris que lorsqu’on présente un dossier en enquête publique, c’est pour arrêter des principes d’aménagement. Aujourd’hui, nous en sommes à la phase d’études de conception et de réalisation. C’est normal que le projet évolue...Nous l’affinons, tout en restant dans les proportions établies par l’enquête publique » commente Serge Hoareau, répondant aux accusations de « non respect de l’enquête publique ».
La partie haute doit recevoir, outre l’hôtel quatre étoiles, d’autres formes d’hébergement qui donneront lieu à des appels à projet. Sur les 4 à 10 ans à venir, un Village Vacances et un camping - pour remplacer celui qui a été fermé en bas - verront le jour. Ils sont destinés à créer des emplois - « plus de 200 » disent les porteurs du projet - en offrant une capacité d’accueil à un public populaire.


Gilles et Edwige Ramin

« Il y a plein de choses à faire, mais... »

M. et Mme Ramin sont présents à Grand Anse depuis toujours et gèrent l’un des trois camions-bars depuis 25 ans. Ils ne comprennent pas pourquoi on fait une quatrième rondavelle pour l’hôtel et ne voient pas non plus d’un bon œil la percée d’une piscine découverte. « On aurait dû refaire l’enrochement du bassin de mer, pour le sécuriser » dit Gilles Ramin.
Ils trouvent qu’il n’y a pas assez de places de parking prévues dans la partie où ils sont. « Le vrai parking, il sera là-haut » poursuit le restaurateur « S’il y a une navette, c’est bien, mais on ne sait rien de la façon dont cela va être géré et si c’est comme maintenant, on peut craindre un laisser-aller et bientôt plus de navettes, pas assez de places de parking. Et qu’est-ce qu’on devient, nous qui faisons vivre le site depuis 25 ans ? »
Gilles Ramin a grandi sur le cap qui surplombe Grand Anse. Enfant, il a connu le site quand il était encore occupé par une dizaine de privés - dont le propriétaire du four à chaux - dont seuls quelques pans de murs font aujourd’hui des tables de pique-nique - et du moulin maïs, dont les ruines agrémentent la zone végétalisée.
Le couple est témoin de la dégradation du site, par les éléments naturels et par manque d’entretien : des emplois supprimés, un ramassage des poubelles le mardi et le vendredi... « Il y a plein de choses à faire pour améliorer le site, mais qu’on les fasse avec ceux qui sont là depuis des années » soutient-il.
Ce qui les a jetés dans les bras de l’opposition, c’est selon eux « l’absence de concertation ». « Là, maintenant, nous avons une réunion avec l’architecte et la CIVIS. Mais depuis que le projet existe, personne n’est venu nous voir... » Ce n’est pas l’avis de l’hôtelier, qui dit avoir passé beaucoup de temps sur la plage avec eux dans la phase préparatoire. Mais c’est surtout la mairie qui est visée par la critique de « manque de communication ». « Le maire s’en va maintenant. Qu’au moins il laisse le site aux Réunionnais »...


De l’écologie honteuse à l’opposition attrape-tout

François Rouxel est un ancien Secrétaire des Verts reconverti en chef de file d’opposition attrape-tout à Petite-Ile. A tel point qu’il n’a pas voulu assumer l’étiquette des Verts - dont il a été un dirigeant - en 2001, sous prétexte que « cela allait lui enlèverait les voix de la droite » a-t-il dit à ses amis de l’époque. Et puis un “opposant” Vert contre un maire socialiste, à quoi ça ressemble ? D’où un “score miracle” (25%) dont il ne faudrait pas déduire trop vite qu’il fait de Petite-Ile la ville la plus “écolo” de La Réunion...
Monsieur sait tout, a réponse à tout. Il sait comment se mène en enquête publique et a décrété que celle de Grande Anse n’avait plus le droit d’évoluer « ou alors il faudra que ça repasse en enquête publique ». Et dans le même temps, il reconnaît qu’un projet initial peut évoluer sans heurt « si personne ne s’y oppose ». C’est avouer que son opposition au projet d’aménagement a pour première vocation de lui apporter un terrain électoral.
Résultat : ce projet, pourtant raisonnable, est devenu le cheval de bataille de tous ceux qui ont un compte à régler avec le député-maire de Petite-Ile : du maire de Saint-Joseph à la candidate des Verts dans la 4e circonscription, c’est à qui donnera son avis sur le projet d’aménagement de Grande Anse... qui ne présente - faut-il le rappeler ? - aucun enjeu législatif.

P. D


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