Entretien avec Paul Hibon, directeur général de l’Agence de développement

’De nombreux atouts à La Réunion’

3 janvier 2006

Après avoir expliqué le rôle de l’Agence de développement de La Réunion (AD) dans l’émergence et la consolidation d’une filière TIC dans notre île (voir “Témoignages” du mercredi 21 décembre 2005), nous avons demandé à Paul Hibon, directeur général de l’AD, de répondre à quelques questions sur la manière dont les entreprises TIC réunionnaises peuvent être des acteurs des échanges entre notre île et les grands pays émergents de notre région : Chine et Inde.

o Plusieurs étudiants réunionnais sont partis suivre des études à l’Institut de technologie de Bangalore, une des écoles les plus cotées dans le monde dans le domaine de l’informatique. Quelles sont les retombées pour la filière ? Est-ce le début d’un partenariat plus large entre les entreprises TIC de La Réunion et les sociétés de la "Silicon valley" indienne ?

Paul Hibon : La Région Réunion a effectivement initié un partenariat avec l’une des plus prestigieuses écoles informatiques indiennes. Cet accord est intervenu après une mission à New Delhi puis à Bangalore conduite en décembre 1999 par Antoine Minatchy, à laquelle j’ai participé. Deux choses m’ont frappé lorsque nous avons visité cet institut : tout d’abord la proximité géographique et éducative entre étudiants et entreprises. L’institut est situé dans un bel ensemble d’immeubles regroupant des sociétés informatiques (IBM, Cisco, Pentasys..), comptant sur le site même plus de 10.000 salariés. Chaque matin, en prenant l’ascenseur pour aller aux cours, les élèves croisent des futurs collègues ou employeurs.
Des liens se nouent évidement, ils sont à la fois essentiels pour les étudiants (qui appréhendent quotidiennement le monde du travail) et pour les employeurs, qui sont assurés de trouver des ressources humaines bien formées, adaptées et motivées.
De la même manière, ce sont les entreprises elles-mêmes qui financent les laboratoires de l’école, et décident des thèmes de recherche. L’institut est donc mieux financé, répond parfaitement aux besoins des entreprises, et favorise en amont la future employabilité de ses étudiants.
C’est un système dont nous gagnerions à nous inspirer à La Réunion, où la formation initiale est parfois éloignée des attentes des entreprises.
La deuxième chose qui m’a frappée à l’Institut de technologie de Bangalore, c’est l’accent mis sur la créativité des élèves. Non seulement on leur apprend les techniques les plus modernes, avec une proximité constante avec les besoins des entreprises, mais on stimule de manière continue leur sens artistique et leur créativité. L’institut a compris que les managers de demain sauront avant tout s’adapter à n’importe quel contexte, gérer des équipes et des projets, s’appuyer sur une solide culture initiale et proposer des évolutions continues dans leur métier, en termes marketing, technologiques, organisationnels ou stratégiques.
Les retombées actuelles pour La Réunion sont une plus grande ouverture sur ce qui se fait de mieux au monde, dans un contexte culturel totalement différent et avec une vitesse des changements surprenante. Nous nous ouvrons l’esprit, et c’est essentiel aujourd’hui.

o Le 22 décembre dernier, "Le Figaro" faisait sa "une" sur la poursuite exponentielle de la croissance de la Chine. Cette dernière devance dorénavant la France et le Royaume-Uni dans le Produit intérieur brut. Plusieurs missions croisées d’acteurs économiques réunionnais et chinois ont déjà eu lieu. Sur quelles perspectives peuvent déboucher ces échanges pour la filière TIC réunionnaise ?

- Comme avec l’Inde, La Réunion est un petit poucet dans le jeu des grandes puissances économiques. Pourtant notre position stratégique et notre ambition politique nous poussent à nous y intéresser. Ces relations nouvelles vont sans doute nous amener à franchir rapidement un grand pas dans le domaine des partenariats internationaux, où à part quelques exceptions, nous sommes encore novices.
La Réunion obtient des résultats quand elle se positionne sur des stratégies de niches : quelques entreprises réunionnaises commencent à avoir des résultats intéressants en Chine, notamment en matière d’alimentation (glacier, boulanger...). Les Chinois sont très friands de bonne nourriture ! Dans le domaine des technologies informatiques, quelques entreprises réunionnaises pourraient se positionner sur des niches pointues. Par exemple, il y a quelques années, une entreprise portoise était à deux doigts de remporter un appel d’offres pour équiper les bus de Shanghai de lecteurs de cartes magnétiques remplaçant les tickets de bus.
Mais il est vrai qu’en matière de préparation, en amont des appels d’offres internationaux, et de négociations en aval, nous avons collectivement beaucoup de choses à apprendre. Sur la Chine, la démarche actuelle menée par la SR21 à la demande de La Région me paraît très pragmatique et séduisante, avec une bonne association des acteurs économiques dans un comité de pilotage Réunion-Chine.

o Depuis déjà quelques années, l’Île Maurice a ajouté un nouveau pilier à son économie. Aux côtés de l’industrie sucrière, du textile, du tourisme et des services financiers, les TIC sont dorénavant le 5ème pilier de l’économie mauricienne. Sachant que la remise en cause du protocole sucre et de l’accord multifibre minent les 2 premiers piliers, les Mauriciens développent le concept de "cyberîle", et ont déjà mis en place la Cybercité d’Ébène via l’inauguration de la cybertower. Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Comment la filière TIC réunionnaise s’inscrit-elle dans ce mouvement ? Peut-elle par exemple envisager des partenariats avec des entreprises ou des services publics mauriciens ?

- Les 4 points forts de l’Île Maurice, ce sont son sens du business (partagé par la classe politique), sa réactivité, son expérience internationale et son sens de la communication.
L’ensemble des élus mauriciens est convaincu que l’avenir de l’île passe par le développement des entreprises, et que le rôle des politiques est décisif pour leur permettre de remporter des marchés internationaux.
Nous avons de nombreux atouts à La Réunion, et nous sommes souvent en avance sur nos voisins. Pourtant, beaucoup de nos élus ne réalisent pas tout ce qu’apportent les entreprises à la population : des emplois, des projets de vie, des ressources financières (taxes, salaires... ). En conséquence, beaucoup d’entreprises ne réalisent pas leurs projets faute de trouver tout bonnement un terrain où s’installer, ou d’avoir un atelier qu’elles pourraient utiliser.
La population a le droit de réclamer un meilleur traitement pour les entreprises réunionnaises : elles représentent près de 3 emplois sur 4 sur l’île, et ce sont elles qui créeront les emplois de demain... si du foncier leur est réservé !
Le grand enseignement de l’Île Maurice c’est :
1 : L’économie offre un projet à notre île et 2 : Le politique sert l’économie : il favorise l’installation d’entreprises et communique à l’extérieur en ce sens. Maurice a repris le concept de cyberîle, c’est une démarche intelligente. Mais n’oublions pas que la filière réunionnaise des TIC représente 4 fois le chiffre d’affaires de son homologue mauricienne ! Le pouvoir de la communication, de l’image véhiculée sur un pays est essentiel dans notre monde ultra-médiatisé d’aujourd’hui. Il nous faut davantage communiquer sur l’image économique de La Réunion à l’extérieur.
La filière réunionnaise des TIC s’est rapprochée de l’Île Maurice, plusieurs de nos entreprises y ont investi. Les résultats n’ont pas toujours été à la hauteur des espérances, mais de belles réussites existent. Globalement, le marché des services publics mauriciens est encore difficile à pénétrer pour des entreprises réunionnaises, mais j’ai l’intime conviction que les choses évoluent. Le marché des entreprises mauriciennes est davantage ouvert, la compétition est vive, elle se fait sur le rapport qualité-prix avec des concurrents internationaux. À très court terme, de belles opportunités existent en matière de formation TIC pour des organismes réunionnais prêts à déposer des offres. Il faut faire vite !

o A-t-on déjà identifié des obstacles à l’ouverture de la filière TIC réunionnaise vers l’Inde, la Chine et plus largement les pays de notre région ? Si obstacles il y a, de quelle manière peuvent-ils être levés ?

- L’obstacle au développement international qui vient spontanément aux lèvres tient à notre structure de coûts salariaux. Elle ne va pas changer, il faut faire avec, et c’est possible.
Les succès des pays nordiques, qui ont des coûts plus élevés que les nôtres, sont éloquents (Nokia, Ericsson... et de nombreuses petites sociétés).
En fait, le premier obstacle est au départ lié à notre état d’esprit : le marché local étant intéressant, souhaitons-nous dédier des ressources à comprendre et conquérir des marchés export plus délicats, avec des retours sur investissement mal connus ? Connaissons-nous suffisamment bien les réussites réunionnaises à l’export qui peuvent nous inspirer ? Une fois que l’obstacle mental est franchi, on peut s’atteler aux obstacles techniques.
Pour n’en citer que 3 : former à La Réunion davantage de jeunes managers internationaux maîtrisant les langues étrangères et sachant mener des projets ; former les ressources humaines des entreprises aux subtilités de l’approche des marchés et partenariats internationaux ; mettre en place à l’étranger des soutiens à la conquête des marchés publics et privés.
Les démarches menées depuis fin 2001 vont dans le bon sens, avec une coordination croissante des initiatives locales, et un nécessaire travail commun sur l’image de notre île.


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