Des écoles d’ingénieurs à part entière pour La Réunion

17 avril 2007

L’Université de La Réunion s’est engagée dans un processus de création d’écoles d’ingénieurs. C’est ainsi qu’une formation d’ingénieurs en agroalimentaire, l’ESIDAI, a accueilli ses premiers étudiants en septembre 2006. De son côté, l’ARTIC s’est particulièrement investie dans un projet d’école spécialisée en TIC baptisé INSIT-OI pour Institut des Nouveaux Services de l’Informatique et des Télécommunications de l’Océan Indien. Pierre Gigord, consultant, responsable de la Commission Formation-Recherche-Innovation de l’ARTIC, fait le point sur le projet. Il répond aux questions de Christine Niox-Château, chargée de mission à l’ARTIC.

Y a-t il des avancées dans la mise en place du projet d’école d’ingénieurs en TIC programmé par l’Université ?

- En effet, le dossier de l’INSIT-OI de demande d’habilitation a été officiellement transmis au ministère par l’Université de La Réunion en décembre 2006. En retour, la Commission des Titres de l’Ingénieur a désigné deux experts pour venir étudier la faisabilité du projet sur place. Les experts avaient également pour mission de rencontrer les acteurs de l’école en agroalimentaire, l’ESIDAI. Les experts sont restés à La Réunion du 30 mars au 5 avril.
Selon le programme qui nous été communiqué par l’Université, trois demi-journées ont été consacrées à l’INSIT-OI.
Une demi-journée a été consacrée à la présentation par les universitaires concernés de l’organisation pédagogique et de l’environnement de recherche.
Une deuxième demi-journée a été consacrée aux rencontres avec le monde économique. Les experts ont rencontré successivement les chefs d’entreprises TIC constitués en Collège des Entreprises partenaires de l’INSIT-OI, puis La Technopole et l’Incubateur de La Réunion, ils ont écouté le témoignage d’entreprises incubées appuyées sur l’IREMIA. Ils ont rencontré enfin les représentants des organismes socio-professionnels de La Réunion qui soutiennent ce projet, l’AD, l’ADIR, l’ARTIC, le CESR, la CGPME, le MEDEF.
La troisième demi-journée concernait plutôt la vision géopolitique du projet. Les experts ont rencontré au Conseil régional le Vice-président de la Région délégué au TIC et le Vice-président délégué à la Formation.
Ils ont ensuite rencontré les Présidents des Universités d’Antanarivo et de Fianantrasoa et le représentant du Vice-chancelier de l’Université de Maurice.
Ils ont enfin rencontré des représentants des services de l’État (SGAR, DRRT, chargé de mission TIC).

Trois demi-journées, c’est peu, quelles particularités du projet ont été mises en valeur ?

- Les acteurs du projet ont insisté sur la spécificité du projet INSIT-OI qui s’inscrit dans le cadre d’un projet global de développement économique pour La Réunion, projet qui a donné lieu à plusieurs textes cadres dont le PR2D qui désigne la filière TIC comme Domaine d’Activité Stratégique. Pour mettre en œuvre cette stratégie et en réaliser les objectifs, ont été programmés un certain nombre de moyens (POE 2007-2013) et d’outils dont l’école publique d’ingénieurs en TIC.
Les porteurs de projet ont également insisté sur le modèle particulier de synergies sur lequel est construit le projet.
Avec les universités de la zone pour un projet de co-développement régional ;
Avec le Groupe des Écoles de Télécommunication (GET) pour une intégration dans un réseau international, avec l’objectif, à terme, de se rapprocher fortement du GET dans le cadre d’un statut du type “École associée”.

Quel bilan peut-on faire de ces rencontres ?

- Il appartiendra aux experts de faire le bilan dans le rapport qu’ils doivent fournir à l’Assemblée plénière de la CTI. Sans être trop optimiste, on peut penser que le dossier est apparu convaincant en termes d’organisation pédagogique, de compétences et ressources humaines disponibles au niveau du Département de mathématiques et informatique, et des autres départements impliqués. Il est également apparu convaincant en termes d’environnement de recherche en mathématiques et informatique (EA 2525), et plus particulièrement au niveau de l’IREMIA qui a montré son engagement dans des thèmes proches des objectifs de l’école, en valorisation de la recherche, en accompagnement de création d’entreprises avec l’Incubateur de La Réunion et la Technopole.
Par contre, il est apparu des divergences sur l’adéquation entre les objectifs et les ambitions du projet et la structure juridique d’accueil. Ce problème n’est pas nouveau, il a déjà été évoqué à différents niveaux.

Qu’entendez-vous par là ?

- Les projets INSIT-OI et ESIDAI, approuvés par toutes les instances de l’Université, sont des projets d’écoles spécialisées respectivement dans les TIC et dans l’agroalimentaire.
Le modèle proposé par le ministère s’inscrit dans une stratégie de regroupement d’écoles selon le principe « plus on est gros, plus on est fort », stratégie qui est illustrée par des exemples dont :

- Le regroupement des grandes écoles d’ingénieurs parisiennes en établissement public de coopération scientifique ParisTech.
Cette évolution de ParisTech, liée au syndrome de Shanghai, est certes indispensable pour valoriser le potentiel scientifique de la France au niveau international, mais n’est pas à l’échelle de notre problématique.

- Le regroupement d’écoles existantes en « centres polytechniques universitaires », selon l’article L.713-2 du Code de l’Éducation.
Ces regroupements, appelés Polytech’, sont parfaitement pertinents, mais ils se font sur la base du volontariat, concernent des écoles ayant déjà leur image et leurs réseaux, ayant généralement des proximités d’objectifs souvent liés a des stratégies régionales (Pole de compétitivité...), bref, correspondent à des situations où l’effet de synergie peut dynamiser un projet plus global. Ce n’est pas encore le cas pour nos projets locaux qui, de toute façon, ne sont pas éligibles pour cette structure dont « la création ne peut intervenir que si le flux annuel d’entrées est au moins égal à 250 étudiants ». Cette perspective doit être envisagée à terme quand les écoles auront pris leurs marques et que le concept de synergie aura du sens.

Je ne vois pas très bien sur quoi porte le différend, pouvez-vous préciser ?

- C’est simple, l’outil juridique disponible à notre échelle pour créer une structure d’accueil pour une formation d’ingénieurs est celui d’« école au sein des universités », selon l’article L-913-9 du Code de l’Éducation, avec un Conseil et un directeur nommé par le ministre.
Dans ce contexte, soit on crée une école par métier, soit on crée une école unique pluridisciplinaire dans laquelle INSIT-OI et ESIDAI sont vues comme des “spécialités” qui peuvent se constituer en départements pour la gestion pédagogique.
Les acteurs du projet INSIT-OI considèrent que cette solution n’est pas adaptée aux objectifs et ambitions du projet. Elle n’apporte aucun effet de synergie, les projets étant complètement différents à tous les niveaux, aussi bien l’histoire et le mode de construction que les domaines d’intervention, la vision régionale, les partenaires académiques et économiques, le vivier et les modalités de recrutement, les métiers.
Au contraire, ce mariage forcé de deux projets émergeants peut se révéler contre-productif pour les deux parties.
Pour le projet INSIT-OI, cela se traduit à plusieurs niveaux :

- Perte de lisibilité, d’image et d’autonomie ;

- Perte d’attractivité pour les étudiants : diplôme délivré par une école pluridisciplinaire, le métier TIC n’apparaissant que comme une spécialité de l’école ;

- Perte d’attractivité pour les partenaires (professionnels, GET, universités de la ZOI) qui se sont impliqués dans un projet clairement ciblé TIC et qui perdent de l’influence dans la gouvernance ;

- Gouvernance diluée, représentation équilibrée des composantes non garantie, le département n’ayant aucune existence juridique ;

- Complexité de gestion du fait de l’introduction d’un niveau intermédiaire.
Signalons que ce regroupement n’entraîne aucune économie d’échelle déjà prise en compte dans les projets initiaux.
Signalons également que la création de plusieurs écoles n’entraîne pas une inflation du nombre de structures de formation d’ingénieurs à La Réunion. Si on considère pour chaque région française l’indicateur « nombre d’écoles d’ingénieurs dans la région divisé par le nombre de million d’habitants de la région », même avec deux écoles, La Réunion reste en queue de liste des régions françaises.

Quelles conclusions pouvez-vous tirer de cette semaine de rencontres ?

- Personnellement, je pense que la divergence entre les porteurs du projet et la tutelle ne doit pas se régler de façon directive dans le champ d’une stratégie non adaptée à la situation spécifique de La Réunion, mais doit faire l’objet d’une analyse plus globale intégrant les réalités locales, économiques, sociales et humaines.
Le projet INSIT-OI est issu d’une démarche “usage” dans laquelle, sur la base d’une large consultation, un certain nombre d’acteurs se sont entendus sur une vision commune pour conduire un projet innovant. Une dynamique s’est créée, comme en témoignent la qualité et le nombre des acteurs qui ont participé aux rencontres avec les experts. Il n’est pas opportun de casser cette dynamique et de minorer le projet par une intervention directive dont l’intérêt n’a pas été prouvé.
Le projet INSIT-OI est élément d’une stratégie globale. Dans le cadre d’une démarche projet, un certain nombre d’objectifs sont affichés. Un instrument cohérent et efficace a été construit pour permettre de réaliser ces objectifs de façon optimale. Imposer un autre outil qui ne correspond pas aux attentes des usagers, des financeurs et des autres partenaires n’est pas une solution efficace et peut se révéler contre-productif.
Je pense que l’école d’ingénieurs à vocation régionale et internationale spécialisée en TIC au sein de l’Université de La Réunion est l’instrument adapté pour soutenir le développement de la filière TIC au service d’une économie de l’immatériel et des services. Cette volonté s’appuie sur un réseau international d’écoles (GET) dont il conviendra de se rapprocher, à terme, sous forme d’“école associée”, de façon à faire de La Réunion un véritable “hub” de l’Europe et pas seulement un lieu d’accueil pour une formation supplémentaire au sein de l’Université.
Le développement de la filière TIC (et donc de la filière agroalimentaire) à La Réunion et dans la ZOI mérite un tram-train plutôt qu’un autobus, fusse-t-il sur site propre, même si cela va quelque peu à “contre-courant” de l’actuelle doctrine de regroupement du ministère.

A quand la décision de la CTI ?

- Il faut poser la question à l’Université, l’objectif initial était d’ouvrir l’école pour la rentrée 2007. Il semble que les experts aient compris la problématique et les spécificités du projet. Souhaitons qu’ils sachent convaincre la CTI et le ministère de la bonne adéquation de la solution proposée dans le dossier de demande d’habilitation de l’INSIT-OI. Affaire à suivre donc.


Stratégie ARTIC

La stratégie de l’ARTIC est développée dans le document “Stratégie pour le développement de la filière TIC réunionnaise”, filière dont l’ambition déclarée est « de devenir un acteur régional et international reconnu dans le cadre du développement de l’économie de l’immatériel et de la connaissance , moteur de “la croissance de demain” et prendre part à la révolution mondiale de l’industrie des services ».
Cette ambition suppose la réalisation de plusieurs préalables dont
« le développement d’un fort environnement de recherche-développement-innovation s’appuyant sur la création d’écoles d’ingénieurs TIC, publiques et privées, orientées services et innovation, à vocation régionale et internationale, l’implantation de laboratoires de recherche privés, le rapprochement structuré de la recherche publique et de la recherche privée dans le domaine des TIC. Cet environnement devrait créer un contexte de synergies (cluster) favorable à la création d’entreprises innovantes à forte valeur ajoutée vers l’export, et à l’implantation locale de majors de l’industrie des services ».


CTI

La Commission des Titres d’Ingénieur (CTI) est un organisme d’évaluation et d’habilitation des formations d’ingénieurs, rattaché à la Direction de l’Enseignement Supérieur.
La Commission donne un avis au Ministre pour la création des d’écoles d’ingénieurs publiques et organise l’évaluation des écoles existantes.
La Commission est composée de 32 membres répartis en 3 collèges. Le premier comprend 16 membres choisis parmi les personnels de l’enseignement supérieur, le second 8 membres choisis parmi les organisations d’employeurs les plus représentatives et le troisième 8 membres choisis parmi les associations et les organisations professionnelles d’ingénieurs les plus représentatives.
Le collège 2 comprend 6 représentants du MEDEF, 2 représentants de la CGPME.

http://insit-oi.univ-reunion.fr


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