Témoignages - Journal fondé le 5 mai 1944
par le Dr Raymond Vergès

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Combiner transfert des eaux et tunnel routier

Réflexions sur le basculement d’Est en Ouest

lundi 4 octobre 2004


Dans un article que Joseph Luçay Maillot a adressé à “Témoignages”, il fait part d’un projet combiné, susceptible de contribuer à nous aider à relever le défi du million d’habitants. Il s’agit de faire du Grand-Étang une retenue d’eau capable d’amener la ressource avec un débit suffisant dans l’Ouest de l’île grâce à un tunnel creusé sous les Plaines. Cette infrastructure pourrait être combinée à un tunnel routier entre Le Tampon et Pont Payet au dessus de Saint-Benoît. Ceci afin de proposer une alternative pour relier le Nord et le Sud de l’île.


"Il y a une vingtaine d’années, j’avais proposé d’utiliser le site du Grand-Étang pour couvrir les besoins en eau de la côte Ouest de La Réunion.
Mon idée consistait à réaliser un barrage suffisamment important à l’entrée du Grand-Étang, un peu après le Pont Payet, dans les hauts de Saint-Benoît, et après avoir imperméabilisé le sol et les parois des montagnes situées derrière le barrage, d’y amener les eaux des crues des ravines environnantes et de les transporter vers l’Ouest de l’île par un tunnel passant sous les Plaines pour les répartir ensuite dans le Bras de la Plaine et le Bras de Cilaos en profitant de la différence d’altitude entre les points de départ et les lieux d’arrivée pour produire de l’électricité.
En raisonnant par analogie, et notamment en comparant les travaux à réaliser pour mener à bien mon projet aux grands travaux déjà réalisés dans le département (usines hydrauliques, captage du bras de la Plaine, route du littoral etc...) j’avais estimé le coût de mon projet, usines hydroélectriques comprises, à 850 millions de francs. Soit un coût prévisionnel de 75 millions de plus que ce que les techniciens avaient prévu pour les diverses variantes qu’ils proposaient pour le basculement de l’eau à partir de Salazie.( cf l’article de “Témoignages” du 22 février 1985 qui indique qu’elles sont les variantes retenues pour l’étude).

Bien que mon idée ait été largement présentée et mise en valeur par le journal “Témoignages” en juillet et en août 1984, longtemps avant la décision définitive sur le transfert de l’eau à partir de Salazie, elle n’a jamais été étudiée par les services techniques de l’époque et est restée lettre morte jusqu’à ce que je la relance dans les colonnes du “Journal de l’île” le 19 avril 2001 pour l’irrigation de la côte Est, cette fois ci, et toujours pour la production d’électricité.

Répondre aux besoins des prochaines décennies

Cette nouvelle médiatisation n’ayant pas suscité plus d’intérêts que la première, à part quelques réactions positives de mes amis, je pourrai pensé que mon idée de stocker de l’eau dans le Grand-Étang pour les besoins de l’irrigation et pour la production d’énergie électrique est complètement stupide. Mais pourtant, la tournure qu’a pris le basculement des eaux d’Est en Ouest à partir de Salazie et l’évolution des besoins en eau de l’île de La Réunion au cours des prochaines décennies, me poussent à croire que mon idée n’est pas folle et qu’elle mériterait d’être examinée sérieusement par les responsables de notre île.
En effet, d’une part, le chantier du basculement de l’eau depuis Salazie, commencé depuis de 15 ans, est loin d’être achevé, et chacun s’accorde pour dire qu’il est devenu le scandale financier du siècle, compte tenu des sommes énormes qu’il a déjà englouti suite aux aléas naturels et aux imprévisions techniques, d’autre part, lorsqu’il sera achevé, il ne suffira pas à couvrir les besoins générés par l’évolution démographique de l’île et par l’activité économique, qu’il s’agisse des activités agricoles ou industrielles.
Devant cette situation, je suis persuadé que si l’on avait choisi la solution que je proposais en 1984, en la corrigeant éventuellement, notamment sur la partie concernant le déversement de l’eau dans les Bras de la Plaine et de Cilaos, qui aurait pu être supprimé et remplacé par une arrivée d’eau au Tampon, le transfert de l’eau d’Est en Ouest serait déjà terminé depuis longtemps et nous aurait coûté sûrement beaucoup moins cher que le projet de basculement depuis Salazie. D’autre part, le choix de mon projet aurait également permis de faire face correctement aux besoins futurs en eaux de la région Ouest de l’île, car il aurait permis de disposer d’un débit d’eau beaucoup plus important que celui qui sera fourni par le tunnel venant de Salazie, lorsque celui ci sera achevé.

Des arguments

Pour affirmer ceci, je me base sur une série d’arguments difficiles à contredire :

Tout d’abord, les arguments qui permettent d’affirmer que le transfert de l’eau à partir du Grand-Étang aurait coûté moins cher que le basculement à partir de Salazie :
1) Pour transporter de l’eau depuis le Grand-Étang vers l’Ouest de l’île, soit dans le lit du Bras de la Plaine soit au Tampon à la côte 500, de manière à réaliser un maillage avec les réseaux d’irrigation déjà réalisés et les prolonger d’une part jusqu’à Saint-Joseph dans le Sud et d’autre part jusqu’à la Rivière des Galets dans le Nord, il n’est pas nécessaire de creuser 30 km de tunnel comme on le fait pour le basculement depuis Salazie, mais seulement 15 ou 20 km selon le choix de l’arrivée de l’eau : lit du Bras de la Plaine ou le Tampon à la côte 500. (chiffres obtenus en se référant aux indications des cartes réalisées par l’IGN) Or une différence de 10 km de longueur de tunnel peut représenter une différence de 20 à 30% du coût des projets.
2) Le choix du Grand-Étang aurait permis de réduire considérablement le coût d’installations du chantier du basculement. L’accès au site est très facile et à l’abris des intempéries. Alors qu’il a fallu un budget important pour construire les diverses routes d’accès du chantier du basculement à partir de Salazie et même les reconstruire lorsqu’elles ont été emportées plusieurs fois par les crues, qui notons le en passant, ne se sont pas contentées de démolir les routes mais ont également emporté des vies humaines.
3) Le choix du site du Grand-Étang aurait certainement rendu possible une étude technique approfondie de la nature des sols, car l’emplacement du tunnel se trouve en très grande partie dans des zones facilement accessibles. Or c’est parce que le projet de basculement à partir de Salazie n’a pas été suffisamment étudiée qu’il nous coûte aussi cher. Une étude géologique approfondie aurait sans doute permis de déterminer la nature des sols sur le tracé du tunnel et de détecter les nappes souterraines, et par conséquent d’éviter le surcoût généré par le blocage des tunneliers, soit par les sols friables, soit par les poches d’eau souterraines qu’ils ont rencontré.
4) Le débit d’eau disponible pour le transfert à partir de Salazie est relativement faible (pas plus de 5 mètres cube/seconde en période d’étiage si on considère qu’il ne faut pas assécher complètement les rivières captées). Or, pour transporter un débit identique depuis le Grand-Étang, il n’aurait pas été nécessaire de construire un énorme barrage et de réaliser d’importants ouvrages de captage des eaux des crues. Ce qui permet d’affirmer que pour obtenir le même résultat, le projet du Grand-Étang aurait certainement coûté moins cher.
5) Le Grand-Étang se situe à 525 mètres d’altitude, soit 200 mètres plus haut que le niveau du captage dans la Rivière du Mât. Cette différence d’altitude permet d’une part, d’irriguer une plus grande surface de terrain agricole sans avoir à installer des stations de pompages et par conséquent de réaliser une économie très importante sur le coût du réseau d‘irrigation et sur son fonctionnement (le pompage consommant beaucoup d’énergie), mais également rend possible la production d’électricité en répartissant le volume d’eau disponible dans plusieurs centrales hydrauliques situées par exemple tous les 150 mètres de dénivelé, ce qui permet de disposer d’une hauteur de chute ou de conduite forcée suffisante pour faire tourner une turbine hydraulique dans de bonnes conditions de rendement.
6) Le choix du basculement à partir de Salazie a créé un mécontentement de la population de Salazie, notamment des agriculteurs situés à proximité de la zone de captage qui sont obligés de respecter certaines contraintes au niveau de l’utilisation des engrais pour ne pas polluer l’eau, et les habitants de La Possession et du Port ont émis quelques craintes de voir leurs nappes phréatiques disparaître si elles ne sont plus alimentées par les eaux de la Rivière des Galets. Ces problèmes ne se seraient pas posés si on avait opté pour un transfert de l’eau à partir du Grand-Étang.
7) Le basculement de l’eau à partir de Salazie ne générera aucune conséquence particulière dans le domaine de l’activité touristique ou de loisirs, tandis que la construction d’un barrage au Grand-Étang aurait permis d’envisager l’aménagement d’un site touristique très attrayant et éventuellement des créations d’emplois dans le domaine du tourisme et des activités de loisirs.

Produire de l’électricité

Enfin les arguments permettant d’affirmer que le projet de retenir les eaux des crues des ravines situées à proximité du Grand-Étang peut encore être réalisé dans un avenir proche ou lointain :
1) Comme je le signalais dans le reportage du “Journal de l’île” du 19 avril 2001, le site du Grand-Étang pourra toujours être utilisé pour l’irrigation des terres agricoles de la côte Est et toujours pour la production d’électricité lorsque les agriculteurs de cette région auront compris qu’avec une irrigation bien maîtrisée, ils pourront doubler leur rendement à l’hectare, et que l’EDF aura compris également qu’il vaut mieux produire de l’électricité à partir des énergies renouvelables et non polluantes, plutôt que de brûler du pétrole, du charbon et même de la bagasse car ce faisant, elle participe à l’émission de gaz à effet de serre qui provoquent le réchauffement de la planète.
Je comprends parfaitement que les industriels du sucre veuillent brûler de la bagasse pour vendre de l’électricité à l’EDF, car cela leur permet de gagner beaucoup d’argent (notons au passage que l’EDF leur achète 45% de l’électricité qu’elle distribue aux Réunionnais, ce qui fait un joli pactole au prix du kilowatt). Mais je pense que si EDF est une entreprise nationale soucieuse de l’intérêt général et désireuse de participer à la réduction de l’émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, elle devrait réviser sa position sur ce point et également sur ses projets de centrale thermique au charbon ou au pétrole. Il existe encore beaucoup de possibilités dans le domaine des énergies renouvelables à La Réunion, et je classe l’exploitation du site du Grand-Étang en premier rang parmi ces possibilités.
2) Le débit d’eau qui sera transféré par le tunnel venant de Salazie sera très rapidement insuffisant pour couvrir les besoins en eau de la côte Ouest.
En effet si l’on se réfère aux débits mensuels moyens relevés dans nos rivières et ravines, on se rend compte que l’ensemble des captages réalisés pour le basculement depuis Salazie ne pourront pas fournir en période d’étiage plus de 5 mètres cube/seconde. Avec un tel débit, il est impossible d’irriguer correctement notamment en période de sécheresse les 7.000 hectares du périmètre irrigué que doit couvrir le basculement. Or celui-ci a été prévu non seulement pour couvrir les besoins agricoles mais également pour les besoins de la population.

Prévoir d’autres ressources en eau

Les besoins en eau de l’agriculture étant tributaire des productions agricoles et des techniques d’irrigation, ils augmenteront considérablement au cours des prochaines années car pour tout faire face à la baisse du prix du sucre envisagée par la nouvelle organisation mondiale du sucre et par l’Union européenne, les agriculteurs devront augmenter leurs rendements à l’hectare ou s’orienter vers d’autres cultures industrielles telles que le riz ou le maïs qui sont très gourmandes en eau. (Notons en passant que d’après les statistiques fournies par les Douanes, nous consommons chaque année à La Réunion environ 65.000 tonnes de riz, et 120.000 tonnes de maïs, soit un tonnage supérieure à notre production de sucre. Par conséquent, si le prix du sucre baisse trop, il sera peut être plus intéressant, sur certaines terres non mécanisables, de remplacer la canne à sucre par ces deux céréales).
En outre, pour satisfaire les besoins en cultures vivrières, fruitières, florales ou horticoles de la population, ou pour alimenter le marché de l’exportation qui sera peut être plus accessible dans quelques années grâce à la baisse du coût des transports de marchandises, (cf mon idée de transporter par dirigeables les fruits et les légumes) les agriculteurs de demain donneront une place plus importante à ces productions, et de ce fait consommeront beaucoup plus d’eau qu’aujourd’hui.
Par ailleurs, les statistiques prévoyant que la population réunionnaise aura dépassé le cap du million d’habitants d’ici une vingtaine d’années et que cette augmentation du nombre d’habitants concernera plus particulièrement les communes de la côte Ouest plus attrayantes sur le plan touristique et sur le plan économique, en raison de leur climat, de la disponibilité de terrains susceptibles de recevoir des zones d’activité et de la proximité du port et des plages, on peut dès maintenant sans être devin, tirer la conclusion qu’il faudra à long terme prévoir d’autres ressources en eau pour satisfaire les besoins agricoles domestiques et industriels de la zone Ouest de l’île.
Enfin, outre augmentation des résidences des standings avec piscine, des hôtels et l’installation de nouvelles activités économiques notamment dans le domaine agroalimentaire très gourmandes en eau, on peut également supposer que les habitudes de consommation humaine d’eau potable vont évoluer et que dans une vingtaine d’années, les volumes d’eaux consommés quotidiennement se rapprocheront plus des chiffres de la population française située dans l’hexagone, voire même des chiffres de la consommation des Américains.
Si bien que le basculement de l’eau depuis Salazie, déjà très en retard, sera insuffisant dès son achèvement.
La solution du problème passera alors un nouveau transfert de l’eau d’Est en Ouest.

Toujours d’actualité

Ce qui me permet d’affirmer sans crainte de me tromper, que mon projet reste toujours d’actualité et qu’il peut encore être étudié et pris en considération par les responsables de notre île.
Certes, plusieurs hypothèses sont possibles puis qu’on peut trouver d’autres ressources en eau importantes dans la zone Est, notamment du côté de la Rivière de l’Est, qui pourrait être utilisée pour un transfert vers l’Ouest si on acceptait de déplacer l’usine hydroélectrique de Sainte-Rose pour la reconstruire un peu plus haut. Mais je pense que la solution que je propose devrait se trouver en bonne position.
Car non seulement elle permet de disposer d’une quantité d’eau très importante, grâce à la construction d’un barrage poids source assez haut, pour retenir environ 350 millions de mètres cubes d’eau renouvelables selon le pluviométrie, mais elle peut également être combinée ou jumelée avec un autre projet routier.

Un tunnel routier

L’idée consisterait à relier Saint-Benoît et le Tampon par un tunnel en deux voies ou en quatre voies partant du rond-point de la tour des Azalées au Tampon (ou du CD 27 à Bras de Pontho pour une 2 voies) à l’altitude de 500 mètres et débouchant au niveau du Pont Payet à Saint-Benoît à l’altitude de 510 mètres, juste au niveau que j’ai prévu pour l’implantation du barrage sur le Grand-Étang, et à installer dans la partie inférieure du tunnel des conduites destinées à transporter l’eau d’irrigation et l’eau potable vers l’Ouest, tout en laissant bien entendu un quota suffisant pour l’irrigation de la côte Est.
En réalisant ainsi une route mettant Saint-Denis et Saint-Pierre à même distance en passant par l’Ouest ou par l’Est, on réduirait le déséquilibre de plus en plus important qui se crée actuellement entre le Nord et le Sud et entre l’Est et l’Ouest de l’île.
Et, d’autre part en prévoyant d’utiliser le tunnel pour transférer l’eau de Saint-Benoît vers le Tampon, on garantirait l’approvisionnement des populations futures pour une longue période tout en réalisant une sérieuse économie sur le coût des investissements réalisés.
Enfin, en réalisant un barrage suffisamment important pour permettre également la production d’électricité, on réduirait la dépendance de l’économie de l’île, actuellement à la merci d’une grève de quelques planteurs mécontents ou de quelques ouvriers d’une des 2 centrales à bagasse, comme nous l’a démontré récemment l’actualité.
Bien entendu, il est difficile de chiffrer dès maintenant un tel projet, car compte tenu de son envergure, sa réalisation ne peut être envisagée avant de nombreuses années. Mais si on le trouvait pertinent et suffisamment intéressant, on pourrait le programmer dans les schémas d’aménagement du territoire et en tenir compte lors des prises de décisions sur les divers projets concernant les routes (notamment dans le secteur des Plaines où semble-t-il un projet de tunnel reliant la Plaine des Palmistes et le Bourg-Murat serait déjà à l’étude), la production d’électricité et la distribution d’eau potable.
Bien que ces trois domaines concernent des autorités différentes et autonomes les unes par rapport aux autres, une démarche globale permettrait d’éviter les déboires que nous connaissons actuellement sur le projet de basculement de l’eau à partir de Salazie.
Enfin d’une manière générale, il est temps que l’on commence a considérer les ressources en eau que la nature nous a attribuées plutôt généreusement, comme une richesse dont la gestion doit faire l’objet d’une réflexion globale et portant sur le très long terme".

Joseph Luçay Maillot


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