Prospective à l’horizon 2030

La pauvreté recule, mais les inégalités ne cessent d’augmenter

26 juillet 2007

Selon le rapport annuel 2007 de la Banque mondiale sur les perspectives économiques à l’horizon 2030, bien que les inégalités soit un thème qui prend de plus en plus d’importance dans les politiques économiques mondiales, elles ne font que progresser dans le monde. Et pour cause, à l’heure actuelle, la priorité est accordée à la réduction de la pauvreté et non à la réduction des inégalités. Or, trop d’inégalités peuvent empêcher la croissance de réduire la pauvreté autant qu’elle le devrait.

C’est ainsi que le Groupe d’Evaluation Indépendant (IEG) de la Banque mondiale a produit récemment une analyse de l’efficacité des actions de la Banque vis-à-vis de la réduction de la pauvreté. Le principal constat est clair : si la croissance est effectivement nécessaire, certaines formes d’entre elles réduisent plus efficacement la pauvreté que d’autres. Il faut davantage favoriser la création d’emplois dans des zones touchées par la pauvreté, de sorte que les populations pauvres puissent y avoir accès.
En revanche, des stratégies visant seulement à stimuler la croissance de façon globale risquent de ne pas réduire efficacement la pauvreté.
Autrement dit, il ne s’agit pas d’opposer objectifs de croissance et objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités, ni de simplifier la relation entre eux en posant que la croissance est l’unique solution pour réduire la pauvreté.
Il existe bien une relation complexe entre croissance, pauvreté et inégalités qui mérite d’être sérieusement étudiée pour en déduire des mesures efficaces.

Vers une augmentation des classes moyennes

La perspective tracée par les chercheurs de la Banque mondiale est celle d’une croissance soutenue dans toutes les régions du monde, avec une diminution du nombre de personnes en situation de pauvreté. Par conséquent, le fait majeur serait l’émergence d’une importante “classe moyenne” (définie comme ayant des revenus entre la moyenne du Brésil et celle de l’Italie). De 7,6% de la population mondiale (dont 3,4% dans les pays riches), ce groupe passerait à 16% en 2030 (dont 1% dans les pays riches).
Pour autant, leur part des revenus resterait inchangée, soit environ 14%, car dans un même temps, les populations riches (ayant des revenus supérieurs à la moyenne de l’Italie) devraient doubler (de 10 à 20%) et représenter 70% des revenus totaux.
D’autre part, on constate que c’est pour le continent africain que les prévisions sont les plus négatives. Par rapport aux autres régions du monde, les conditions de vie se détérioreront sensiblement ; l’Afrique représentera plus de la moitié des populations les plus pauvres du monde contre 30% aujourd’hui.
Vraisemblablement, les groupes de populations dits de “classe moyenne” deviendront une force politique, au niveau national et peut-être international, qui cherchera à influencer les décisions en sa faveur, pour de meilleurs systèmes éducatifs et de santé.
D’où l’hypothèse que la tendance à l’augmentation des inégalités internes pourrait perdurer, au risque d’affecter les effets de la croissance sur la réduction de la pauvreté et d’augmenter les situations d’exclusion. Le rapport estime que plus des 2/3 des pays à faible et moyen revenus (soit plus de 80% de la population des pays en développement) connaîtraient ainsi une augmentation des inégalités.

L’accès à la formation pourrait être déterminant

Le rapport analyse de quelle manière s’établit la relation entre inégalités, croissance et pauvreté. Quand le niveau initial d’inégalités est faible, un gain de croissance de 1% entraîne une réduction plus que proportionnelle de la pauvreté ; par contre, quand l’inégalité est forte, la croissance peut n’avoir aucun effet sur la réduction de la pauvreté. En conséquence, des politiques favorisant une distribution “équitable” des revenus peuvent permettre aux économies de mieux valoriser les gains de croissance pour réduire la pauvreté.
Et un des facteurs permettant de réduire les inégalités est l’accès à la formation. Selon les chercheurs, il sera essentiel dans les prochaines années de diriger les investissements dans la formation. En effet, la formation permet non seulement d’acquérir un savoir, mais elle participe à la valorisation d’une personne. L’objectif sera de permettre aux populations pauvres de quitter l’agriculture pour accéder aux emplois de services.
Quant à ceux qui seront “laissés pour compte”, les pauvres de 2030, comme aujourd’hui, ils n’auront pas reçu d’éducation primaire, travailleront dans le secteur agricole et vivront dans les zones rurales. Mais pour autant, les situations pourront varier considérablement d’un pays à l’autre : un accès à l’éducation ne garantira pas partout de la même façon de sortir de la pauvreté, les revenus agricoles pourront ne pas être plus bas que ceux des autres secteurs, etc...

« Bipolarisation du marché du travail »

Selon le rapport, la première grande inégalité départagera ceux qui dépendront d’activités agricoles mal rémunérées et ceux qui auront réussi à accéder aux emplois industriels ou de services. Mais il en est une seconde entre les travailleurs qualifiés et les non qualifiés qui verront dans la plupart des pays, développés ou non, l’écart des rémunérations s’accroître. Les nombreuses réformes en matière d’éducation entraînera une augmentation des inégalités devant ce qui doit être un “service public” ; selon les spécialistes, cela laisse craindre une situation où la grande majorité de la force de travail sera peu ou pas qualifiée.
On peut mettre en parallèle ce pronostic avec celui fait, pour la France, par le Centre d’analyse stratégique dans un récent rapport sur les métiers dans notre pays dans 10 ans.
La directrice du Centre explique que « dans les 10 prochaines années, nous allons assister à une bipolarisation du marché du travail, avec des emplois très qualifiés d’une part, et un volume important d’emplois peu qualifiés, notamment dans les métiers de services ». Dans les pays pauvres, « c’est le risque de voir le secteur informel occuper encore pour longtemps la plus large part de la population ».
De telles inégalités laissent craindre, selon le rapport, la montée de tensions (migrations, revendications, conflits, etc...) qui pourraient réduire les effets de la croissance et ralentir le processus de mondialisation sans toutefois le remettre en cause. Ces tensions ne sont pas inévitables. Des politiques publiques, internationales et nationales peuvent corriger ces tendances.
Bien que bénéficiant d’un regain d’attention, le lien entre croissance, pauvreté et inégalités reste toutefois insuffisamment repris en compte dans les politiques d’aide au développement. C’est pourquoi, le Haut Conseil de la Coopération internationale a entrepris d’organiser, en novembre 2007, avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères et de l’AFD (Agence française de développement) et avec la collaboration de la Banque mondiale, une conférence sur les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du principe d’équité. Ces travaux se fonderont notamment sur l’analyse de cas concrets de “non équité” menée à la Banque.

Sophie Périabe avec “Les notes du jeudi”


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