La Réunion doit se créer un nouvel avenir : pour cela elle doit faire le pari de l’innovation !

10 octobre 2006

TÉMOIGNAGES ouvre régulièrement ses colonnes à des contributions qui permettent de nous éclairer sur les grands problèmes contemporains, et particulièrement sur ce qui fait La Réunion.
Aujourd’hui, Philippe Jean-Pierre, Professeur des Universités et économiste nous invite à penser l’avenir de notre île.

"Qui n’avance pas recule" ! Cet adage bien connu semble être encore plus d’actualité à la veille de cette année électorale. Les prochaines élections vont être en effet l’occasion de débattre sur l’avenir de notre pays et aussi sans nul doute sur celui de La Réunion. Les réflexions qui ont lieu actuellement sur l’avenir de notre territoire, dans le cadre des nombreux documents de planification stratégiques, montrent ô combien la problématique de l’innovation et de la recherche et développement est au cœur de la problématique du développement de notre territoire.
L’élaboration du contrat de projet, les réflexions entourant l’aménagement du territoire au service d’une économie innovante et la recherche d’un projet pour La Réunion nous ramènent sans cesse sur "l’ardente obligation" de penser l’avenir de La Réunion en termes d’innovations.
L’actualité des prochains mois, faisant la part belle à l’innovation à travers plusieurs manifestations prévues, devrait soulever l’acuité d’une nécessaire stratégie de développement économique autour de l’économie du savoir et de l’innovation.

Mais qu’est ce que l’innovation ?

L’innovation peut être vue comme cet ensemble de processus permettant le passage des idées des laboratoires au développement des produits et à leur commercialisation. L’innovation est pour une économie une stratégie de défense de sa position de leader. L’innovation est ce qui permet à une économie de créer son avenir. On invente ce qui n’existe pas. L’innovation ne concerne pas seulement les sciences dures, les salles blanches de laboratoire et les microscopes ou les tubes à essai ; l’innovation concerne aussi le management, le social, la formation, la gouvernance politique...
L’innovation est le fruit de la recherche mais elle ne se limite pas seulement à la recherche fondamentale ou appliquée. L’innovation requiert aussi que cette recherche soit développée ou transmise à l’industrie et aux autres secteurs de l’économie et de la société. L’innovation requiert également que la société accepte de prendre des risques. L’innovation requiert que toutes les forces qui y travaillent soient actionnées avec cohérences....
L’innovation n’implique pas de tout créer ex-nihilo. L’innovation c’est aussi l’art de savoir utiliser des idées existantes pour en créer des nouvelles exportables au niveau international. Au total, l’innovation est aujourd’hui une des caractéristiques clés de l’économie de la connaissance.

En quoi l’innovation est-elle importante pour La Réunion ?

L’innovation permet à une économie de créer son avenir en inventant les produits qui seront fabriqués demain sur le territoire. Il faut bien comprendre que ces produits existeront avec ou sans nous. Dès lors, vouloir qu’ils soient produits sur place et qu’ils génèrent des emplois implique dès aujourd’hui de faire le pari de la politique d’innovation en misant sur la recherche et développement.
En effet, la croissance économique réunionnaise future sera largement tributaire de la capacité d’innovation, du niveau de recherche et développement et des externalités technologiques reliées au transfert de connaissance au niveau local. Les collectivités publiques doivent contribuer à assurer que ces facteurs de croissance atteignent leur plein potentiel en créant un environnement propice à l’innovation.
À La Réunion plusieurs secteurs de l’économie sont concernés. Certains pourraient trouver via cette dynamique d’innovation un moyen de maintenir leur dynamisme, de faire face aux menaces extérieures et ainsi de pérenniser leur existence (on peut penser à l’agroalimentaire, à certaines compétences organisationnelles et managériales, au BTP, au TIC...). D’autres pourraient se baser sur ces innovations pour décoller ou apporter à l’économie ce qui lui manque (on peut citer le cas du tourisme, de la lutte contre les maladies émergentes et d’autres aspects sur la santé et le vieillissement de la population, de la problématique énergétique et de l’environnement, de la mobilité dont la bonne formule reste à inventer, du management opérationnel, de la formation continue et de la réduction des obstacles aux changements sur le marché du travail...).

Mais comment La Réunion peut-elle devenir une économie de l’innovation ?

Devenir une économie de l’innovation ne se décrète pas. Il faut avant tout une véritable volonté politique et un engouement réel de tous les acteurs concernés.
En premier lieu, les pouvoirs publics y ont intérêt puisque l’innovation permettra la localisation ou relocalisation de l’emploi sur le territoire dans le futur. Les autorités publiques peuvent agir de plusieurs façons sur cette transformation de l’économie de La Réunion en une terre ou l’innovation, et pas seulement la canne, deviendrait "notre culture". Cela passe par l’utilisation de plusieurs voies. D’abord celle de l’Europe pour qui l’innovation forme l’élément central de la stratégie de Lisbonne véritable vision stratégique européenne pour cette première décennie du 21eme siècle. Au-delà du contrat de projet qui donnera davantage la priorité à l’économie de la connaissance qu’aux infrastructures lourdes, il faut penser au 7ème PCRD (Programme Cadre pour la Recherche et le Développement) dont le montant adopté en juin dernier avoisine les 51 milliards d’euros. La voie de l’État doit ensuite être mobilisée à travers l’impulsion et l’accompagnement des pôles de compétitivités. Sur ce plan les politiques étatiques les plus prometteuses sont celles qui soutiennent l’entrepreneurship local où l’État devient un accompagnateur plutôt qu’un entrepreneur.
Enfin, les collectivités locales, et notamment La Région Réunion, constituent la clef de voûte de cette transformation d’une part, en mettant l’innovation et l’économie de la connaissance au cœur de la stratégie de développement de l’île et, d’autre part, en irriguant les aides publiques vers cette transformation de l’économie. Là aussi, les initiatives publiques doivent être concentrées vers les politiques d’appui à l’entrepreneurship et à la mise en place d’un environnement favorable à l’innovation, à la création et au financement d’entreprises et à la commercialisation de la recherche.
En deuxième lieu, la mobilisation de tous les acteurs de la société concernés de près ou de loin par l’innovation doit être réalisée. On peut penser bien sûr aux acteurs traditionnels de la recherche tels que les organismes publics de recherche et l’Université de La Réunion à qui on doit remettre une véritable feuille de route en matière de recherche cohérente avec la stratégie de développement partagée du territoire.
On peut également penser aux entreprises du secteur marchand qu’il convient de sensibiliser à la nécessité de l’investissement dans la recherche et développement. Car il va sans dire qu’un élément critique conditionnant la réussite de cette stratégie est la présence dans la région de centres de recherche et de personnels scientifiques de haut niveau. Et c’est là qu’il faut saluer les initiatives prises par l’ancien Président de l’Université de La Réunion, devenu Recteur, Frédéric Cadet et la Conseillère Régionale Maya Cesari dans la réalisation de projets tels que le Cyclotron visant à doter La Réunion d’un outil structurant et performant dans le domaine de la recherche médicale.

Faire que La Réunion devienne une terre d’innovations permanentes

Au-delà de la volonté politique, cette transformation de l’économie de La Réunion en une véritable économie de l’innovation implique aussi d’autres changements dans la société locale et il s’agit sans doute là déjà d’innovations...
D’abord au niveau organisationnel, une réflexion doit être menée sur la mise en place d’une véritable agence de l’innovation associant son action aux autres acteurs gérant respectivement le développement et l’aménagement du territoire et coordonnant l’action des pouvoirs et des acteurs publics en matière d’innovations et de recherche et développement.
Ensuite au niveau du rapport des acteurs économiques à l’innovation tout doit être fait pour que l’innovation devienne un réflexe leur permettant de maintenir la compétitivité de leur appareil de production. Sur ce plan les pôles de compétitivité et notamment Qualitropic le seul pôle de compétitivité habilité aujourd’hui à La Réunion, ont un rôle important car ils forment la pierre angulaire de l’innovation collaborative, véritable trait d’union entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise.
Enfin, faire que La Réunion devienne une terre d’innovations permanentes passe par l’introduction du goût pour le risque et de l’entreprise chez les réunionnais et en particulier chez les jeunes. Cela est un travail de longue haleine car on ne transforme pas une société "risquophobe" habituée aux protections en une société "risquophile" d’un coup de baguette magique. Néanmoins la mise en avant de plusieurs symboles de réussite dans le domaine de la recherche et développement devrait être soutenue. Plusieurs activités de recherches fondamentales et appliquées ont déjà été couronnées de succès à La Réunion. Bien sûr, il y a les nombreux brevets en cours d’enregistrement par des chercheurs de l’Université de La Réunion ou du Centre d’étude et de recherche sur la canne mais n’oublions pas les industriels réunionnais qui le siècle dernier ont vu leurs découvertes être exportées sur toute la planète (Emile Hugo, Maxime Rivière pour ne citer qu’eux).

Mobiliser sur des projets faisant rêver

En outre, l’existence d’un projet de développement partagé aiderait certains acteurs à retrouver confiance dans le futur et ce faisant dans l’activité d’innovation. Il faut effectivement mobiliser la population sur des projets faisant rêver et mais suffisamment réalistes à moyen ou long terme : par exemple réduire notre dépendance aux transferts publics, faire de La Réunion une île où on ne circulerait que par des moyens utilisant de l’énergie propre ou renouvelable... Bref, à travers cette réflexion sur ce que nous voulons être à 20 ou 30 ans, il s’agit de compléter le système de valeurs caractérisant la société réunionnaise par un axe fort soutenant et encourageant l’innovation et l’entrepreneurship !
Quoi qu’il en soit, faire le pari de l’innovation est pour La Réunion un moyen de se créer son nouvel avenir et ce faisant de renforcer sa capacité à répondre aux nombreux défis qu’elle va devoir relever durant les trois prochaines décennies. Bien sûr, ces réponses et ces aides peuvent être encore attendues de l’extérieur. Mais, il s’agit là à mon avis d’un scénario au fil de l’eau, risqué et dont la portée ne correspond pas aux enjeux futurs. Au contraire, après 60 ans d’une phase 1 de la départementalisation consacrée au développement social et à l’équipement industriel de l’île, il s’agit de faire le choix d’une phase 2 axée sur un scénario volontariste, pro-actif, basé sur le pari de l’innovation et permettant à La Réunion d’ouvrir la porte de son développement de l’intérieur. Comme disait La Fontaine : "un trésor est caché dedans". Cela est sans doute vrai pour l’innovation et aussi pour La Réunion. Nous devons en faire le pari pour l’avenir de notre île !

(les intertitres sont de la Rédaction)


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