Forum social mondial

La théologie de la libération plus que jamais d’actualité

24 janvier 2007

Avant le 7ème Forum social mondial, qui s’est ouvert samedi à Nairobi, s’est tenu dans la capitale kenyane le 2ème Forum mondial de théologie et libération, qui a réuni de mardi à vendredi derniers quelque 300 personnes autour du thème ’Spiritualité, pour un autre monde possible’. Le théologien brésilien Odair Pedroso Mateus, Secrétaire de l’Alliance réformée mondiale et Professeur à l’Institut oecuménique de Bossey, estime que la théologie de la libération est plus que jamais d’actualité. Fondée au départ sur l’espoir révolutionnaire socialiste, cette théologie se veut désormais déclinée dans une multitude de champs, allant de la théologie indigène au féminisme ou à l’écologie. Reproduction de larges extraits d’une interview parue samedi dans ’Le Courrier’.

La théologie de la libération est-elle toujours d’actualité ?

Odair Pedroso Mateus : Elle garde toute sa pertinence et son originalité. Car les défis auxquels elle cherche à répondre existent toujours : pauvreté, exclusion sociale, inégalités grandissantes, entre le Nord et le Sud, mais aussi en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou même à Genève. Ces défis interpellent la foi chrétienne, car le Dieu de la Bible prend le parti des pauvres. Pour aller au-delà de l’assistancialisme, il faut tenir compte des racines de la pauvreté au cœur du système mondial dominé par une constellation de forces économiques, culturelles, politiques et militaires.

Cette théologie a tout de même évolué ?

- Le langage pour la formuler a changé. Quand elle est apparue dans les années 1960-70, il était très marqué par la théorie de la dépendance - selon laquelle la pauvreté de la périphérie du monde est intrinsèque à la richesse de son centre -, la lutte politique et la révolution socialiste, donc par un vocabulaire marxiste. Cet héritage est resté, mais on parle désormais d’une critique théologique du messianisme et de l’idolâtrie du système néolibéral, et toujours d’une foi vécue dans la solidarité avec les pauvres.

Mais au-delà du langage ?

- Il y a eu un éclatement des champs de cette théologie. Dans les années 1970, elle était perçue comme un corps méthodologique uniforme, avec une idée très claire de son point de départ : la participation des chrétiens à l’avènement d’une société socialiste afin de porter le témoignage de l’espérance dans le Royaume de Dieu. Le moyen le plus efficace pour vaincre la pauvreté en Amérique latine était la révolution socialiste, qui a permis aux enfants cubains de ne pas mourir comme ailleurs dans le continent. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans un monde bipolaire, on ne peut se permettre une vision unifiée, irréaliste du point de vue de l’utopie et de la pratique politiques. Même s’il existe une transversalité des luttes sociales, on doit poursuivre le travail de la théologie de la libération en tenant compte des différents acteurs politiques et sociaux en Amérique latine. Je pense à la lutte pour la terre au Brésil, ou à la question de la citoyenneté. Prenons le cas de la communauté afro-brésilienne, confrontée au cumul des problèmes de racisme et de pauvreté ; ou celui des femmes, victimes de violences dans des sociétés très patriarcales. Je pense encore à la lutte des indigènes. Dans un monde unipolaire, les voies pour sortir de la pauvreté doivent rester multiples sans s’opposer. C’est le message de Samir Amin, Économiste égyptien, au Forum social mondial.

A-t-elle joué un rôle déterminant dans la victoire ces dernières années de la gauche dans de nombreux pays d’Amérique latine ?

- Les femmes et les hommes qui l’incarnent y ont certainement contribué. Ce qui s’y passe peut se résumer dans cette citation d’Ignacio Ramonet (Directeur de la Rédaction du “Monde diplomatique”, NDLR) : « L’Amérique latine est la seule région du monde qui a réussi à rester rebelle ». Pour autant, en Amérique latine, aucun modèle économique alternatif n’est proposé.

Justement, quels rapports entretiennent les tenants de la théologie de la libération avec les pouvoirs de gauche ?

- Frei Betto (Dominicain brésilien - NDLR) qui, jusque récemment, faisait partie du gouvernement brésilien, l’a quitté. Leonardo Boff (Théologien brésilien - NDLR) a écrit des textes très critiques contre le gouvernement de centre gauche de Lula. Alors qu’ils soutiennent les pouvoirs de gauche en Amérique latine, ces gens restent lucides sur les très faibles marges de manœuvre de ces pouvoirs.

La théologie de la libération a-t-elle eu une influence au-delà de l’Amérique latine ?

- Certainement. Elle a aidé les théologiens européens à prendre conscience de la nature contextuelle, voire coloniale, de leur style universaliste. Elle a inspiré les théologies africaines qui se sont opposées à l’Apartheid en Afrique du Sud et à sa légitimation théologique réformée. Elle a aussi inspiré la théologie populaire dite minjung en Corée. Sa transgression méthodologique continue à porter des fruits non conformistes.

Et comment la théologie de la libération s’insère-t-elle dans le mouvement altermondialiste ?

- Au fondement du Forum social mondial, on trouve des mouvements très identifiés avec l’engagement chrétien pour une transformation sociale. Je donnerais un nom, celui du Brésilien Chico Whitaker, qui incarne cette symbiose. Fondateur du Parti des travailleurs et du FSM, il reste très fidèle à l’option pour les pauvres lorsqu’il estime que l’avenir de l’altermondialisme « repose sur la mise en réseau de ceux qui, dans leur pratique, privilégient l’humain par rapport au profit financier en combinant changement social et changement personnel ».

La théologie de la libération est-elle ressortie indemne de la répression du Vatican et des pouvoirs en place à l’époque ?

- Pas du tout. La répression s’est abattue aussi bien sur les fidèles engagés que sur les intellectuels. La répression a été menée par les pouvoirs militaires en place sous leadership étasunien. La Congrégation pour la doctrine de la foi (l’ancienne Inquisition, NDLR), alors dirigée par Joseph Ratzinger, a voulu freiner ce qui était tenu comme un risque de contamination de la foi par le marxisme. Cela l’a menée à des tensions avec des conférences épiscopales et des théologiens comme Leonardo Boff, poussé hors de l’Église. C’est un cas de figure parmi d’autres. Récemment encore, la Brésilienne Ivone Gebara (Théologienne écoféministe, NDLR) a été poussée vers la porte. Plus fondamentalement, ce qui a affaibli les luttes populaires liées à l’Église catholique fut la substitution des évêques progressistes, à l’heure de la retraite, par des conservateurs. Dans le monde protestant, des fidèles ont été dénoncés comme communistes par leur propre Église pour la simple raison qu’ils militaient en faveur des droits humains.


An plis ke sa

• La dette : obstacle à la lutte contre la pauvreté
Wangari Maathai, lauréate kenyane du Prix Nobel de la Paix 2004, a réclamé lundi un effort accru de la part des pays riches en matière de réduction de l’endettement des pays en développement, rapporte Reuters.
Le montant des dettes accumulées en Afrique, en Asie et en Amérique latine demeure un obstacle majeur à la lutte contre la pauvreté, a-t-elle dit lors du Forum social mondial de Nairobi.
« En dépit d’une démocratisation et d’une gouvernance améliorées et des promesses faites par les pays du G8, le fardeau de la dette continue de faire obstacle (...) à la réduction de la pauvreté », a-t-elle dit.
« Nous appelons les gouvernements (des pays riches) et les institutions financières internationales à s’élever contre leurs critères autoproclamés d’équité et de justice, et de voir à quel point le fardeau de la dette pèse illégitimement sur les pauvres », a-t-elle poursuivi.
En 2005, les pays du G8 ont lancé une initiative de réduction de la dette qui, combinée à l’initiative envers les Pays pauvres très endettés (PPTE), doit permettre l’annulation de 50 milliards de dollars de dettes contractées par 19 pays, dont 14 en Afrique sub-saharienne.

• 46.000 entrées payantes
Le 7ème Forum social mondial (FSM), qui se tient du 20 au 25 janvier à Nairobi, a rassemblé jusqu’à présent au moins 46.000 personnes, alors que les organisateurs tablaient sur environ 100.000.
« 46.000 personnes ont souscrit les droits d’entrée » qui s’élèvent à la journée à 50 shillings (0,7 dollar, 0,6 euro) pour les Kenyans et 500 shillings (7 dollars, 6 euros) pour les non-Kenyans, a déclaré l’un des membres du comité d’organisation, Oduor Ong’wen, lors d’une conférence de presse.
« Mais il faut savoir que de nombreuses personnes participent aux activités du Forum qui se tiennent » aussi dans les bidonvilles de Kibera et de Korogocho, à Nairobi, où il n’y a pas de besoin de ticket d’entrée, a-t-il ajouté. Interrogé sur le nombre de personnes qui participaient à ces activités, il a répondu : « des milliers ».


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