Entretien avec Jean-Pierre Técher

’Les acquis sociaux sont démantelés dans l’indifférence’

12 août 2005

Jean-Pierre Técher, président du Collectif de lutte contre l’exclusion, insiste sur la nécessité d’élaborer un projet commun pour l’avenir de notre pays La Réunion.

o Que diriez-vous à un jeune qui n’a pas ou n’a plus confiance en son avenir professionnel ?

- Que ceux et celles qui tiennent les rênes du pouvoir (politique et économique), ont transformé cette belle île, paradis dans l’océan Indien, en un enfer pour la plupart de ses habitants en les mettant au chômage, dans la précarité et l’exclusion, parce qu’ils sont incapables de créer les logements sociaux nécessaires et qu’ils vident l’île de sa matière grise, de sa population autochtone par l’intermédiaire de leur politique de mobilité, sacrifiant ainsi notre jeunesse au profit d’intérêts privés de quelques notables dont ils se font les complices et les protecteurs.

o Croyez-vous au développement durable de La Réunion ? Si oui, pourquoi ?

- Le fameux "développement durable" est un leitmotiv, un "slogan électoral". On en parle énormément mais il n’y a jamais rien de concret. Depuis cinquante ans, on aurait dû jeter les bases politiques d’un développement durable. S’il y avait une volonté depuis cette époque, on n’en serait pas là aujourd’hui. Et si d’aventure, il y a quelqu’un qui oserait agir en conséquence, ses pairs l’évinceraient parce qu’ils n’ont rien à cirer de l’avenir du peuple réunionnais (eux qui ont les dents longues et ne pensent qu’à leur ambition personnelle).

o Quels sont pour vous les atouts de La Réunion ? Ceux des Réunionnais ?

- La Réunion a des atouts : sa jeunesse, son dynamisme, sa matière grise. Mais on les brade. On privilégie "l’importation", on fait dans le "spectaculaire" et "les dépenses de prestige" pour touristes avides de sensationnel au détriment de ce qui est important, fondamental comme les besoins essentiels de la population. Il faudrait développer un vrai partenariat, des vrais accords de coopération avec nos voisins de la zone, mais on préfère la France, l’Europe et ailleurs.

o Que proposez-vous pour garder un équilibre entre les zones naturelles (forêt, rivières...), les zones agricoles et les zones construites (habitats, industries et autres équipements ?)

- Il faudrait trouver un équilibre entre zones industrielles et zones naturelles, être soucieux de l’environnement.

o Comment développer l’île tout en gardant le potentiel touristique ?

- Développer un vrai tourisme local et non un tourisme "frelaté" comme c’est le cas où l’artisanat malgache prime sur l’artisanat local (réunionnais). Il faudrait rendre les plages plus propres, mettre en valeur les sites, les sécuriser, offrir des mets typiquement créoles, etc.

o L’avenir professionnel des Réunionnais ne doit-il pas passer par des temps de travail à l’extérieur (océan Indien, Afrique, Amérique, Europe, Asie) ?

- L’avenir professionnel des Réunionnais peut passer par des temps de travail (échanges) avec les pays de la zone en priorité, ce qui n’exclut pas les Amériques, l’Asie, l’Europe, l’Afrique. Mais je crois que cela aurait été plus facile si La Réunion avait le choix de son destin politique, et si le grand chef blanc (bwana) ne devait pas toujours parler et décider à la place des Réunionnais.

o Le manque de logements sociaux à La Réunion se fait de plus en plus gravement sentir. Que faire pour résoudre ce problème ?

- Le problème est politique et ceux qui décident se fichent de savoir s’il y a des SDF, des familles obligées de cohabiter. C’est parce qu’ils ne vivent pas eux-mêmes ce problème. Il ne s’agit de dire et redire qu’il faut construire 10.000 logements par an. Il faut les construire et contraindre ceux qui ont cette compétence, cette responsabilité de le faire ou en tout cas, de mettre les moyens financiers nécessaires pour le faire.

o Autre grave problème : celui des déplacements. Quelles solutions voyez-vous à ce défi ?

- Les défis au déplacement ? Est-ce intérieur ou extérieur ? Sur le plan local, il n’y a pas d’autres solutions que de mettre un terme au "tout automobile". Là encore, il s’agit de décisions politiques. Il faudrait cesser la vente à crédit des voitures, faire de la publicité non pas pour vendre les bagnoles mais en mettant en avant les inconvénients (embouteillage, obésité, crédit, pollution, fatigue, etc.).

o Comment votre association pense-t-elle s’impliquer concrètement dans la bataille des Réunionnais pour le développement durable ?

- En débattant de manière constructive avec les acteurs (politiques, économiques, sociaux, environnementaux, etc.), aider à l’élaboration d’un vrai projet et agir pour que ce projet des Réunionnais se concrétise.

"La situation est grave. Le temps passe, les acquis sociaux sont démantelés dans l’indifférence quasi générale. Quelques syndicats et associations dénoncent les coups portés au salariat et aux chômeurs, mais il n’y a pas de véritable mobilisation générale des forces sociales aptes à créer les conditions de blocage et de paralysie du pays, pour obliger les décideurs à céder. Voilà le grand problème auquel nous sommes confrontés", conclût-il.

Propos recueillis par Jean-Fabrice Nativel


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