Développement durable

Les agriculteurs prestataires de services environnementaux

27 novembre 2007, par Edith Poulbassia

Dans son dernier rapport, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) plaide pour une plus forte implication des agriculteurs dans la préservation durable de l’environnement. La FAO encourage un mécanisme de rémunération des agriculteurs, mesure incitative qui fait déjà ses preuves.

Réduire la pauvreté, lutter contre la faim et dans le même temps préserver de façon durable l’environnement : ce sont les défis auxquels l’agriculture mondiale doit répondre aujourd’hui. Est-elle en mesure de le faire ? Comment lui en donner les moyens et l’inciter à le faire ? La FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) examine dans son dernier rapport la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, et préconise que les agriculteurs soient payés pour les services environnementaux rendus. Car ils peuvent jouer un rôle primordial pour la préservation des écosystèmes, la qualité et la disponibilité en eau, l’atténuation des effets des changements climatiques. Pour la FAO, les expériences en cours aussi bien dans des pays développés que dans les pays en développement sont encourageants, et devraient se généraliser.

L’agriculture, puis de gaz carbonique

L’agriculteur, qu’il dispose d’une petite exploitation vivrière à Madagascar ou qu’il produise des hectares de maïs aux Etats-Unis, agit sur l’environnement. Les effets peuvent être bénéfiques ou nocifs, tout dépendra des techniques, des produits utilisés, de l’emplacement choisi. Ils sont 2 milliards de personnes à vivre directement de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche ou de l’exploitation de ressources forestières. En superficie, les cultures et les pâturages occupent 5 milliards d’hectares sur une surface terrestre totale de 13 milliards d’hectares. On peut ajouter à ces 5milliards d’hectares, 4 milliards pour les forêts et les terres boisées. On mesure mieux l’impact que peut avoir l’agriculture, ce « plus grand écosystème aménagé », sur l’environnement. « L’agriculture est souvent au coeur d’un ensemble complexe de problèmes liés à la dégradation des écosystèmes, estime la FAO. Elle est en partie responsable de ces problèmes, tout en subissant nombre de leurs conséquences, et offre dans le même temps des solutions potentielles. »
Un exemple parmi d’autres, le lien entre l’agriculture et les gaz à effet de serre. « Les activités agricoles et la réaffectation des terres comptent pour environ un tiers des émissions totales de dioxyde de carbone, et elles sont les plus importantes sources de méthane (produit par l’élevage et les rizières inondées) et d’oxyde nitreux (provenant principalement des applications d’engrais azoté minéral) ». Mais l’agriculture peut à l’inverse être un puit à carbone, car elle peut stocker les gaz à effet de serre dans les sols, les plantes et les arbres. L’activité agricole pourrait contribuer à réduire de plus de 2 milliards de tonnes l’émission de carbone. Ainsi, grâce au paiement de services environnementaux aux agriculteurs en Inde centrale, la protection et la régénération des forêts peut faire doubler les taux de séquestration de gaz carbonique à l’hectare, « qui grimperaient de 27,3 à 55,2 tonnes dans les 10 ans à venir dans les forêts secondaires, et de 18,8 à 88,7 tonnes après 50 ans dans les forêts anciennes et ce, pour un coût extrêmement modeste. »

Contribuer au maintien de la biodiversité

Idem pour lutter contre l’érosion. Les programmes de paiement des services environnementaux aux exploitants agricoles sont encore peu nombreux dans les pays en développement, mais ceux qui certains sont ambitieux. Ainsi, le gouvernement chinois a lancé le dispositif “Grain for Green” en 1999 pour lutter contre les inondations. Les agriculteurs sont payés pour « convertir 14,67 millions d’hectares de terres arables en forêts d’ici à 2010 », essentiellement dans les terres en pente et dégradées.
Pour les agriculteurs, ces interventions sont une source complémentaire de revenu, et ils protègent leur activité agricole. Mais au sein même des exploitations, ils peuvent contribuer à la protection de l’environnement, comme le maintien de la biodiversité. « On trouve une illustration de la mesure au Costa Rica où des coupe-vent composés d’espèces arbustives locales et exotiques ont été plantés sur 150 hectares recoupant 19 communautés agricoles », rapporte la FAO. Ces arbres réduisent les dégâts causés par le vent sur les cultures, notamment au café, ils sont reliés aux forêts, ce sont des « corridors biologiques » qui servent d’habitats aux espèces animales, tels les oiseaux migrateurs.
La préservation de l’environnement dépend donc « des décisions que prennent plus de 2 milliards de personnes qui vivent directement de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche ou de l’exploitation des ressources forestières. » D’où l’intérêt d’agir sur ces décisions, en tenant compte du contexte socioéconomique des pays pour éviter les pertes d’emplois liés à l’agriculture ou la baisse des salaires, l’augmentation des prix des denrées alimentaires pour les populations les plus pauvres, les conflits de propriété de terres agricoles qui seraient revalorisées grâce à des paiements de services environnementaux.

Financer les programmes de services environnementaux

Mais qui va payer ? Contribuables, consommateurs, sociétés, gouvernements, les exploitants agricoles eux-mêmes... Le rapport de la FAO ne néglige aucune possibilité, et souligne que le paiement des services environnementaux n’est pas le seul dispositif à envisager (par exemple une meilleure information), même s’il est le plus incitatif. Deux exemples pour montrer que le public aussi bien que le privé peut s’impliquer en fonction des intérêts de chacun. L’État de Louisiane a pris conscience de la valeur des zones humides autour de la Nouvelle-Orléans avec le passage de l’ouragan Katrina. L’État a donc décidé de financer la restauration de ces zones. La FAO note que c’est « un changement radical par rapport aux anciennes politiques qui avaient contribué à dégrader ces territoires ».
En France, un exemple de coopération entre une entreprise et les agriculteurs a attiré l’attention de la FAO. Les eaux minérales Vittel ont conclu un accord avec les exploitants agricoles pour réduire la pollution due à l’élevage, les apports de nitrates. « Les nouvelles mesures prévoient notamment l’élimination de la culture du maïs pour l’alimentation du bétail ainsi que des applications de produits agrochimiques, l’élevage du bétail sur des parcours libres à un taux de charge réduit et la modernisation des bâtiments agricoles pour minimiser les ruissellements de substances nutritives. »
Pour la FAO, la rétribution des exploitants agricoles pour la préservation de l’environnement est une approche novatrice prometteuse, à condition que les bases de ce mécanisme de rémunération soient fixées au niveau national et international, et que l’impact de ce mécanisme sur la pauvreté soit mesuré.

Edith Poulbassia


Des écosystèmes sous pression, une population qui a faim

D’ici 2050, la population mondiale aura doublé, surtout dans les pays en développement. Comment nourrir cette population déjà victime de sous-alimentation et de la faim, sans continuer à détruire l’environnement ? D’après la FAO, la production vivrière devrait suffire à nourrir la planète, mais « environ 80 pour cent de l’augmentation de la production agricole terrestre devrait découler d’un recours accru aux intrants (engrais, etc) et d’une amélioration des technologies utilisées sur les terres agricoles existantes, tandis que les 20 pour cent restants proviendraient de l’expansion des superficies cultivées dans certaines régions d’Amérique du Sud et d’Afrique subsaharienne ». A cela s’ajoute les effets encore méconnus de la demande en bioénergies. Ce qui signifie que « l’accroissement de la production est susceptible d’aggraver les dégâts produits aux écosystèmes terrestres. L’expansion des cultures dans des zones écologiquement fragiles est particulièrement préjudiciable à la biodiversité. Une intensification mal gérée peut entraîner une érosion du sol, une pression sur les approvisionnements en eau, une élévation du niveau des nitrates dans les eaux souterraines et de surface, une salinisation des sols et une pollution accrue de l’air et de l’eau due aux déchets d’élevage. Les écosystèmes côtiers et marins sont également sous pression ».
Tout l’enjeu est de concilier protection de l’environnement et sécurité alimentaire mondiale. La FAO précise que 70 pour cent des pauvres des pays en développement vivent en milieu rural et l’agriculture est leur moyen de subsistance. C’est le moteur de l’économie rurale, il crée des emplois, donc des revenus et réduit la faim.

EP


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