Janine Berg, Économiste principale à l’OIT

« Minimiser les effets négatifs du « chômage technologique » induit par l’IA »

12 octobre 2024

Le débat sur l’intelligence artificielle (IA) et l’emploi oppose souvent deux visions. Les pessimistes redoutent un chômage massif, tandis que les optimistes espèrent que l’IA allégera les tâches répétitives, augmentera la productivité et mènera à un avenir plus prospère. Cependant, une vision plus réaliste existe, qui reconnaît à la fois les risques et les opportunités de l’IA. Les « réalistes » estiment que l’impact de l’IA dépend des choix de société concernant la manière de déployer cette technologie, la redistribution des gains et le soutien aux travailleurs affectés. Un article de Janine Berg, Économiste principale à l’OIT, apporte un éclairage sur le point de vue des « réalistes »

Selon Janine Berg, Économiste principale à l’OIT, il est peu probable que la majorité des emplois disparaissent, car l’IA a des limites, mais des pertes d’emplois sont à prévoir, avec des effets négatifs sur les travailleurs concernés, notamment en termes de chômage et de perspectives futures. L’histoire nous montre déjà des exemples de « chômage technologique » décrit par l’article de Janine Berg.

Les femmes plus touchées par l’automatisation

« Dans les années 1770, le filage à la main en Grande-Bretagne fournissait du travail à plus de 8 pour cent de la population, principalement des femmes et — à l’époque — des enfants. La perte de ce travail à domicile, qui a commencé dans les années 1780 et s’est poursuivie pendant un demi-siècle, a réduit les revenus ruraux, car les femmes n’ont pas été en mesure de trouver d’autres solutions pour compenser la perte de revenus. Les nouveaux emplois d’usine qui ont vu le jour se trouvaient dans les centres urbains et étaient beaucoup moins nombreux : en 1850, ces emplois représentaient moins de 1 % de la population, et moins de la moitié des emplois étaient occupés par des femmes et des jeunes filles.
La mécanisation des centrales téléphoniques est un autre exemple. Dans les années 1920, l’industrie du téléphone aux États-Unis employait plus de 300 000 personnes et constituait la cinquième profession la plus importante pour les jeunes femmes. La mécanisation, qui s’est déroulée en grande partie dans les années 1920 et 1930, a entraîné une chute de 80 pour cent de l’emploi. Si l’élimination de ces postes de débutants n’a pas eu d’effet négatif sur les femmes entrant sur le marché du travail, les opérateurs licenciés étaient plus susceptibles d’être au chômage que leurs pairs, et s’ils trouvaient un nouvel emploi, il était susceptible d’être moins bien rémunéré. »
Selon Janine Berg, à court et moyen terme, les impacts de l’IA sur l’emploi seront concentrés sur certaines professions, notamment dans les bureaux, où de nombreux emplois sont occupés par des femmes. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) estime que 2,3 % des emplois mondiaux, soit environ 75 millions, sont menacés d’automatisation, surtout dans les pays développés.
Dans certaines régions, l’infrastructure numérique est insuffisante pour maximiser les bénéfices de l’IA, comme en Amérique latine. Paradoxalement, les travailleurs à risque d’automatisation, souvent des femmes bien éduquées dans des secteurs formels comme la finance, ne profiteront pas des gains de productivité.

« Préparer les travailleurs à de nouvelles carrières »

Le chômage, qu’il soit technologique ou autre, laisse des « cicatrices » durables sur les travailleurs, entraînant des périodes de chômage répétées et une diminution des revenus. Janine Berg note que cependant, des mesures de soutien, comme des allocations chômage, peuvent atténuer ces effets. « Il est également nécessaire de développer et d’instituer des programmes de requalification et d’amélioration des compétences qui peuvent préparer les travailleurs à de nouvelles carrières dans l’économie numérique, ainsi que dans l’économie verte et l’économie des soins, en pleine croissance. La préparation des travailleurs à ces emplois et le soutien des investissements publics et privés dans ces secteurs contribueront grandement à minimiser les effets négatifs du chômage lié à la technologie », conclut-elle.

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