Échec des négociations à l’OMC

Qui résiste existe

23 juin 2007

Depuis mardi 19 juin, le G4 était en réunion à Potsdam, près de Berlin. Le G4, c’est la réunion des ministres du Commerce du Brésil, des Etats-Unis, de l’Inde avec le Commissaire européen au Commerce international. Leurs collègues de l’Agriculture s’étaient joints aux discussions. Ils viennent de se séparer sans se mettre d’accord.

L’objet de cette rencontre s’inscrivant dans le cadre des négociations à l’OMC : réduire les divergences sur les deux dossiers qui opposent ces pays et les groupes de pays qu’ils représentent.
Premier dossier : l’ouverture des marchés du Sud aux produits industriels des pays occidentaux par la diminution des droits de douane (leur principale source de revenus).
Second dossier : l’agriculture où l’enjeu était la réduction des tarifs douaniers des pays du Sud en échange de l’ouverture des marchés des pays occidentaux et la réduction des aides que ces derniers pays apportent à la production et à l’exportation de leurs produits agricoles.

Cette réunion de Potsdam avait été précédée, dans le plus grand secret, de plusieurs autres. Les propositions avancées par les responsables des négociations à l’OMC avaient suscité de très vives critiques des pays en développement et des pays classés dans la catégorie de “pays les moins avancés” (PMA), c’est-à-dire les plus pauvres. Pendant que la presse occidentale matraquait avec zèle le slogan des multinationales et de leurs relais à la Commission européenne, à la Direction de l’OMC et dans les gouvernements occidentaux, selon lequel le libre échange favorise le développement, pendant que cette même presse et ces mêmes décideurs politiques répétaient à satiété que l’échec des négociations pénaliserait d’abord les pays les plus pauvres, les premiers concernés, soutenus par quelques agences de l’ONU (la CNUCED, la FAO et plus timidement le PNUD), expliquaient inlassablement, sans que les médias s’en fassent écho, que les propositions occidentales allaient surtout profiter aux Occidentaux et renforceraient la dépendance des plus pauvres par rapport aux pays les plus riches.

Les discussions de Potsdam devaient durer jusqu’au dimanche 24. Un résultat positif aurait permis de boucler un accord sur le programme de négociations lancé à Doha en novembre 2001. A Genève, dans l’entourage de Pascal Lamy, on envisageait déjà une rencontre ministérielle fin juillet pour finaliser la négociation et signer un accord. Une telle conclusion aurait provoqué une nouvelle poussée de la dérégulation massive des échanges qu’on appelle souvent “mondialisation”. Avec encore plus de dérégulation sur les services, sur les marchés publics, sur les investissements, cette avancée aurait été comparable à celle acquise en 1994 au terme de l’Uruguay Round (1) dont on mesure aujourd’hui les dégâts : privatisation des services publics, médicaments essentiels devenus inaccessibles, brevetage du vivant, dumping social planétaire, délocalisations, perte de compétitivité des produits agricoles du Sud, dépendance alimentaire accrue de ces mêmes pays.

Pour nous, Européens, il faut rappeler que ce sont nos gouvernements, de gauche comme de droite, qui, avec la Commission européenne, ont négocié les accords de l’Uruguay Round. Ce sont ces accords qui ont donné son élan à la mondialisation. Et ce sont ces mêmes gouvernements qui sont à l’origine du programme de Doha (2) .

L’échec de Potsdam est une bonne nouvelle pour les peuples. Du Nord comme du Sud. On peut maintenant raisonnablement espérer que le cycle de négociations commencé à Doha est dans l’impasse pour plusieurs années. Après l’échec de la négociation du projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (1998), après l’échec de la conférence ministérielle de Seattle (1999) puis de celle de Cancun (2003), l’enlisement du programme de Doha est une nouvelle victoire de la résistance conjuguée et coordonnée des peuples du Sud et du mouvement altermondialiste si décrié aujourd’hui, y compris par la vieille gauche tellement absente de ces dossiers. Un intense travail a été fourni à Genève par les réseaux altermondialistes du Nord (par ex : l’Institute for Agriculture and Trade Policy, Oxfam International) et du Sud (par ex : Third World Network, Focus on Global South) et les négociateurs des pays du Sud. Il trouve son aboutissement dans l’incapacité des USA et de l’Europe à dicter une fois de plus leur loi, celle des multinationales, au reste du monde.

Il n’y a pas de fatalité. Qui résiste existe.

Raoul Marc Jennar

(1) Dans le cadre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), l’Uruguay Round aboutit, le 15 avril 1994, à Marrakech, à la signature de l’acte de naissance de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ouvert en septembre 1986, ce cycle de négociations a réuni 125 pays. Il a été le plus long de l’histoire du GATT. Avant d’aboutir à l’OMC, il a porté sur la réduction des droits de douane et surtout sur l’élargissement des domaines de négociation à l’agriculture, au textile et aux services, incluant également le principe de propriété intellectuelle .

(2) Le cycle de Doha a été lancé en 2001 dans un élan de générosité pour le Sud après le choc des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001 à New York. Le but proclamé de ce cycle de conférences était de déboucher sur un accord pour rendre un peu plus équitable le commerce mondial. Mais, ainsi que le prouvent les échecs successifs des négociations, dont celui de ce jeudi 21 juin, il y a loin entre les proclamations de bonnes intentions et les actes qui permettraient de les concrétiser.


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