Union des Métiers de l’Industrie Hôtelière (UMIH)

’...Que l’esprit combatif reprenne le dessus’

8 août 2006

Les professionnels de l’hôtellerie traversent une passe plus que morose, causée par la désaffection des touristes. La reprise n’est pas encore à l’horizon de la saison prochaine...

Globalement, la situation décrite par les professionnels de l’industrie hôtelière est "catastrophique" : l’absence des touristes, effrayés par les chiffres de l’explosion épidémique du début de cette année, a entraîné une baisse du travail qui perdure.
Philippe Doki-Thonon, chef-cuisinier, restaurateur et vice-président de l’UMIH, est confronté comme tous ses collègues à un bilan désastreux, qu’il appelle à combattre avec la dernière énergie : "Il faut noter de plus un phénomène particulier, qui est que le tourisme affinitaire - qui représente en temps ordinaire plus de la moitié de l’activité touristique de l’île - est lui aussi en baisse". "Globalement, l’UMIH avec l’ARGSP (l’organisme paritaire collecteur agréé), la Région et l’État, nous avons pu prolonger l’accord sur la formation professionnelle jusqu’à fin octobre, mais la situation qui prévaut un peu partout, c’est le chômage partiel, qui permet de maintenir les salariés dans nos effectifs", poursuit le restaurateur.
Sur les chiffres avancés par l’ANPE concernant la baisse des offres, Philippe Doki-Thonon pense qu’il s’agit "principalement de CDD saisonniers". "On compte environ 6.000 emplois dans la profession, les emplois permanents sont nombreux, même si certains sont menacés, dans la situation actuelle, par le chômage partiel ou des licenciements économiques", ajoute-t-il. "On fait des efforts pour mobiliser tout le monde, avec le CTR et les autres, sur des opérations exceptionnelles - observe le VP de l’UMIH - mais ce qui reste inquiétant, c’est que les réservations pour le prochain trimestre ne sont pas là. il n’y a pas de perspective et nos initiatives locales se heurtent à la morosité très marquée dans la consommation". "Ce qu’on voudrait, c’est que l’esprit combatif reprenne le dessus", ajoute Philippe Doki-Thonon.

P. D.


Témoignage

Entretien avec Pasqual Porcel, président de l’UMIH

"Nous sommes devant un cas d’urgence"

Quel bilan pouvez-vous faire de l’impact du chikungunya sur l’activité hôtelière ?
- L’impact de la crise du chikungunya sur notre activité est directe et malheureusement durable. Environ 600 chambres - sur les 3.000 chambres classées, soit 20% - ont été fermées. Actuellement, il en reste 2.465. Et si certains parlent "d’effet d’aubaine", nous pensons plutôt qu’il s’agit d’un effet direct, peut-être provisoire si un plan de relance à la mesure de la crise vient porter des fruits très vite. Dans le cas contraire, combien fermeront définitivement, surtout dans l’Ouest ? C’est là qu’est le "clash", parce que c’est là qu’est la clientèle touristique, à la différence de la zone Nord qui peut davantage compter sur un tourisme de proximité et un tourisme d’affaire. Dans l’Ouest, le nombre de fermeture permet de prendre vraiment la mesure des difficultés.

Comment voyez-vous la relance ?
- ...Difficile. On est à une période charnière de notre politique touristique. Alors, quel devenir ? Notre hôtellerie est majoritairement "post loi Pons" (1986). Les premiers hôtels liés à la loi de défiscalisation sont apparus en 1989-1990 et seize à dix-huit ans plus tard, ils sont en fin d’amortissement. La crise du chikungunya, en arrivant juste à ce moment-là, a un effet doublement destructeur : elle amoindrit la clientèle au moment où l’outil est à renouveler.

Est-ce que les campagnes imaginées pour la relance vous semblent être à la hauteur des besoins ?
- A ce sujet, il faut être circonspect et se demander à quel niveau il est possible de communiquer. A-t-on la solution contre le moustique ? Est-il véritablement en voie d’éradication ? Et a-t-on la réponse à la maladie ? Tant que nous ne serons pas en mesure de communiquer clairement sur ces deux sujets auprès des tours opérateurs, nous serons en difficulté. Faudrait-il faire l’autruche ? On nous le reprocherait. Nous sommes un certain nombre - professionnels et universitaires - à estimer que seule une information "grand format" serait de nature à rassurer et à mobiliser durablement de vrais flux touristiques. Mais cela n’est envisageable que si trois critères sont remplis :
1- si l’on peut mettre en avant un moyen thérapeutique contre la maladie ;
2- si le moustique est éradiqué ;
3- et si cette élimination du vecteur mobilise des moyens biologiques sans effet sur l’environnement.

Est-ce que vous notez une différence importante entre La Réunion et l’Ile Maurice du point de vue de l’impact du chikungunya ?
- Pas vraiment, à partir du moment où, de part et d’autre, il a fallu communiquer. Au début, c’est-à-dire jusqu’en décembre 2005, les autorités mauriciennes sont restées silencieuses sur l’épidémie. Mais une étude comparative faite par le CETO (Association de tours opérateurs) entre le 1er novembre 2005 et le 30 avril 2006 montre que, depuis que les informations sur le chikungunya ont été rendues publiques - depuis janvier 2006 -, les deux destinations se sont effondrées. Il faut en tenir compte et ne pas se voiler la face.

Néanmoins les Mauriciens, s’ils accusent une baisse du flux touristique français, s’efforcent de diversifier leur clientèle. Pourquoi La Réunion ne suivrait-elle pas la même voie ?
- Sur Maurice, il ne faut pas perdre de vue que le premier client est Français et les chiffres officiels montrent qu’il est en régression, là-bas aussi, en dépit de tout ce que l’infrastructure mauricienne peut avoir d’attractif. Mais à Maurice, l’industrie touristique ne dépend pas massivement du flux de touristes français, comme nous en dépendons, et du coup, l’Ile Maurice peut bénéficier de ses reports de clientèle. A La Réunion, si nous voulons diversifier les origines des flux touristiques, il faut se demander deux choses : avons-nous le même potentiel en desserte aérienne ? Offrons-nous les mêmes facilités d’accès aux étrangers, en terme de visa par exemple ? Ce n’est pas le cas.

Du point de vue des professionnels que vous représentez, que pensez-vous pouvoir faire pour redresser la situation ?
- Nous travaillons à rendre publics des documents sur la vaccination anti-rubéoleuse, qui atténue de façon majeure les effets du virus chikungunya. Ce sont les conclusions présentées pour un projet de recherche, par un médecin-arbovirologue des Armées*, qui dit que le chikungunya a le même développement que la fièvre jaune et la rubéole. Il a fait des comparaisons de courbes, sur des enfants atteints du chikungunya et sous couverture rubéoleuse, qui montrent que entre 3 et 13 ans, ces enfants ont développé une forme très atténuée de la maladie, semblable à une petite grippe. Si on organisait des vaccinations contre la rubéole pour tous, on pourrait dire aux touristes de revenir, forts de ce moyen thérapeutique. En attendant des preuves scientifiques, nous avons des observations empiriques et nous sommes dans un cas d’urgence : si le vaccin peut atténuer les effets du chikungunya, alors les axes "vaccin et démoustication" pourront être de vrais arguments de soutien à un plan de relance et à une communication efficace.

Propos recueillis par Pascale David

* Nous reviendrons dans une prochaine édition sur le projet de recherche du Dr. Francis Parc.


Témoignage

Entretien avec François Picaud, directeur de l’hôtel Swalibo

"Pas une seule réservation pendant quatre mois"

À quelques pas du lagon de la Saline les Bains, dans un chemin de sable blanc où se côtoient des cases créoles, l’Hôtel Swalibo se dissimule sous un écrin de verdure. Échanges, convivialité, bien-être : ces trois étoiles sont comme les valeurs humaines que véhicule son directeur, François Picaud qui, de l’accueil au service, est totalement impliqué dans la vie de la structure qui se veut au mieux le reflet de l’esprit créole. Pourtant, il y a peu, le chikungunya a bien failli entraîner la fermeture de l’hôtel. Son directeur revient sur cette épreuve difficile et l’appréhension de la saison à venir.

Quand avez-vous commencé à ressentir les effets du chikungunya sur votre activité ?

- Les effets d’annonces du “JIR” (en particulier la Une d’un dimanche de janvier titrant "Il tue") ont eu un impact immédiat. Le 1er février, c’était la décrépitude la plus totale. Nous avons perdu quasiment plus de 260 nuités sur un hôtel de 30 chambres. C’est considérable. Il y a eu l’effet communication presse qui a conduit à une vague d’annulations de gens engagés dans le courant février-mars, puis il y a eu un deuxième levier pour les mois d’avril, mai, juin, les plus durs à vivre. Pas une seule réservation pendant quatre mois.

Qu’est-ce qui vous a permis de surmonter cette épreuve ?

- Nous avons une assez bonne activité séminaire au sein de l’hôtel qui nous a permis de nous en sortir. Le tourisme local nous a également été précieux, mais c’est aussi l’action d’accompagnement de l’État qui nous a permis de sauver l’hôtel. Nous sommes encore en vie et relativement en bonne santé grâce à cet accompagnement, même si l’on peut toujours considérer qu’il est insuffisant.

Actuellement, comment se porte votre activité ?

- Aujourd’hui, nous passons une phase de résidents évidente, même si elle est disparate en fonction des établissements. Pendant les vacances scolaires, on retrouve une clientèle familiale qui demande des chambres très adaptées pour loger plusieurs enfants. Notre type de structure n’est pas forcément la plus recherchée par ce type de clientèle, mais nous recevons néanmoins de jeunes couples en vacances, de petites familles avec des enfants en bas âge qui souhaitent passer un moment de détente pour la cellule familiale. Et puis, il faut reconnaître, même si la clientèle reste insuffisante, il y a une petite reprise du tourisme métropolitain depuis le 15 juin. À peu près 50% de ce que nous apportaient habituellement les tours opérateurs. Enfin, il faut également relever que la réduction de l’offre, avec la fermeture en juillet août de 5 hôtels majeurs, a automatiquement induit une petite retombée. Je tiens d’ailleurs à féliciter le comportement des Réunionnais qui ont répondu présents. Avec peu de recul, on peut dire que la fréquentation locale est très intéressante.

"La grande épée de Damoclès est pour cet été"

Avez-vous déjà des réservations pour la fin de l’année ?

- On enregistre déjà quelques réservations métropolitaines de septembre à décembre, mais très inférieures à la fréquentation de l’année dernière à la même époque. Il y a deux raisons à cela : l’hésitation de la population d’une part et d’autre part, celle des agences de voyage et des tours opérateurs. Ces derniers ne présenteront leurs brochures pour l’hiver qu’à la fin août, il faudra donc attendre décembre pour le rush. On le voit en discutant avec les tours opérateurs, les mois d’octobre, novembre et décembre peuvent être relativement corrects. On ne sera pas encore en plein été et il y a peu de chance que le chikungunya se reproduise de façon très significative. Mais la grande épée de Damoclès est pour cet été. Si nous devions revivre l’épisode de l’année dernière, ce serait la fin.

Comment appréhendez-vous justement cette prochaine saison ?

- Le premier élément serait évidemment l’éradication du chikungunya, avec un développement marginal. En cas de reprise de l’épidémie, il faut avant tout un traitement médiatique sans psychose, où ce serait le choix du touriste de venir. On devrait alors pouvoir passer cette reprise avec un accompagnement viable. Sinon, on détruit la saison et la confiance des tours opérateurs. Si on leur dit que tout est fait pour se préparer et que malgré cela, le schéma passé se reproduit, la saison sera encore plus catastrophique que l’année passée et ils n’auront plus confiance en nous. C’est là que ce serait le plus grave, l’inscription de la destination dans la durée serait menacée. Il est plus compliqué de regagner la confiance des prescripteurs, juridiquement responsables, que celle de la clientèle.

"Le lobbying des hôtels mauriciens est supérieur "

Que pensez-vous de la campagne de communication choisie par le CTR ?

- Le choix des professionnels se tournait vers une agence dont le mode de communication était plutôt positif et dynamique. Ce n’est pas parce qu’une pensée est positive, qu’un message est positif, qu’une communication est positive, que l’on ment aux consommateurs. Malgré cette position, une autre campagne a été entérinée.

Enfin, quel regard portez-vous sur la politique touristique de l’île Maurice qui affiche des taux de fréquentation en hausse, en dépit de l’épidémie ?

- Actuellement, tous les hôtels de Maurice sont pleins. Les tours opérateurs continuent à vendre la destination en métropole car le lobbying des hôtels mauriciens est supérieur aux hôtels réunionnais. Résultat, nous sommes repartis à 50% de notre activité, eux entre 75 et 80%. Mais je pense que nous n’avons pas à rougir de la comparaison, nos atouts et aménagements sont différents. Il faut développer à La Réunion une hôtellerie plus chaleureuse, des activités nautiques, mais ce ne sont pas des critiques, justes des constats. Quoi qu’il en soit, heureusement que tout le monde ne se ressemble pas.

Entretien réalisé par Stéphanie Longeras


Tourisme à Maurice

Une croissance revue à la baisse

La Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) est bien décidée à surmonter les effets néfastes de l’épidémie de chikungunya sur l’industrie touristique dans la région (...). L’objectif est de réaliser un taux de croissance de l’ordre de 7% par rapport à 2005, soit 53.275 touristes de plus, pour atteindre le seuil de 814.338 visiteurs.

Roadshows (tournées publicitaires) et visites médiatiques sont prévues (...) sur dix mois. Les partenaires touristiques seront présents dans les principales foires internationales. "Notre but premier est de rétablir la confiance (...), de restaurer l’image de Maurice comme une destination désirable auprès des tours opérateurs d’Europe, particulièrement en France, où les médias ont créé une perception négative par rapport au chikungunya", a indiqué au “Mauricien”, Karl Mootoosamy, directeur de la MTPA. (...)
Par ailleurs un réseau d’annonceurs, le segment MICE (Meetings, Incentives, Conferences and Exhibitions) sera exploité vers l’Australie, l’Afrique du Sud, la Grande-Bretagne et l’Inde.
Les arrivées touristiques en provenance de la France sont passées, pour le 1er semestre, de 104.394 en 2005 à 84.174 en 2006. La part du marché touristique en Europe est passée de 66,2% à 63,3%.
De janvier à juin 2006, les touristes européens ont représenté 231.748 arrivées sur un total de 360.137 touristes (...). La part du marché de Maurice en Afrique a également enregistré une baisse alors que celle du pays en Asie a augmenté.
Avec la politique de libéralisation de l’accès aérien, estime la MTPA, il y a aujourd’hui amplement de la place au vu des 10.246 chambres d’hôtel disponibles actuellement, nombre qui passera à 10.750 chambres à partir du 1er novembre prochain. D’où la nécessité d’augmenter la demande afin de rendre les places en avion et les chambres viables économiquement.
(...) "Heureusement, malgré le déficit de 20.948 touristes européens, sur le nombre prévu durant le premier semestre de cette année, une hausse de 21.281 touristes a été observée sur les autres marchés, ceux qui n’ont pas été touchés par la campagne médiatique négative. (...)"
Néanmoins, le bureau des statistiques et la MTPA revoit à la baisse ses prévisions du début de l’année (...), les ramenant de 10% à 7%.


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Témoignages - 80e année


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