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Point de vue des producteurs face à la persistance des légumes frais hors de prix
20 avril 2024
Les fruits et légumes frais sont devenus un produit de luxe à La Réunion, hors de portée du pouvoir d’achat de la majorité de la population. Plusieurs mois après le passage du cyclone Belal, les tomates se négocient à 10 euros le kilo, les oignons à 6 euros le kilo alors qu’ils sont importés. Face à cette situation, il est important de connaître les explications données par les producteurs. Jean-Michel Moutama, président de la CGPER, revient sur les causes de cette crise et fait part de propositions pour améliorer la situation.
Les prix de légumes frais sont excessivement chers pour la plupart de la population. Cette situation va-t-elle durer ?
- Jean-Michel Moutama : Je crains que les prix restent encore élevés pendant quelques temps. Les causes sont structurelles, l’agriculteur en est tout autant victime que le consommateur.
Par exemple pour les oignons, se pose le problème de l’absence de bâtiments de stockage. Par exemple, si un producteur récolte 1 hectare d’oignons, il doit vendre tout de suite. Un tel volume fait s’effondrer les prix sur la période de la vente. Ce n’est pas tenable sur le long terme.
Il est donc important que les pouvoirs publics permettent la construction de plusieurs infrastructures de stockage sur les sites de production.
Les producteurs doivent aussi s’adapter à de nouvelles normes qui font augmenter les prix. Par exemple, si des herbicides et produits de traitement sont interdits, nous n’avons pas d’alternatives à coût égal. Nous découvrons fréquemment de nouveaux nuisibles dans nos productions maraîchères. Ils sont introduits à La Réunion par les importations, se pose alors le problème du contrôle sanitaire. Sans ces molécules, le coût de production augmente car nous avons de gros problèmes de main d’oeuvre ce qui fait diminuer le rendement.
L’augmentation de tous les intrants (semence, plastique, paillage, engrais et carburant) a d’importantes répercussions. Malheureusement nous ne pouvons répondre nos effluents d’élevage car il n’existe pas de laboratoire à La Réunion pour les analyser, ce qui est une grosse anomalie. C’est une faiblesse.
Nous n’avons pas encore reçu les aides de la PAC 2023 alors qu’elles font partie intégrante de notre revenu.
Les dégâts du cyclones et des fortes pluies ont eu un grand impact sur la production. Pour mieux protéger les récoltes, la profession demande plus de soutien aux pouvoirs publics pour l’équipement de nos exploitations en serres pouvant résister aux cyclones. Ces serres ont montré leur efficacité, et donc un cyclone ne fait pas perdre une récolte.
Mais plus largement, c’est la structure du modèle qui est à revoir et en particulier sa fondation, la Chambre d’agriculture.
Quel est votre constat ?
- Jean-Michel Moutama : cette hausse durable des prix découle de décisions politiques prises à divers niveaux. Pour ce qui concerne la Chambre d’agriculture, nous considérons que cette institution est la base de notre secteur.
Mais le modèle de fonctionnement de cette structure n’est plus adapté à un monde agricole en pleine évolution. A la Chambre d’agriculture, les élus passent beaucoup de temps à chercher des solutions pour régler les dettes et les salaires au lieu de donner l’impulsion.
Cette situation ne date pas d’aujourd’hui. Or, l’équipe actuelle avait dit vouloir améliorer la situation, mais la structure est restée en l’état, les difficultés ne pouvaient qu’augmenter.
Il est difficile de régler le problème de fond de l’agriculture réunionnaise sans régler ceux de la chambre consulaire. C’est un préalable. Il faut avoir le courage de le faire. Où est encore la place de l’élu de la Chambre d’agriculture, le professionnel, dans les décisions stratégiques ?
Comment la Chambre d’agriculture pourrait-elle contribuer à faire baisser les prix ?
- Jean-Michel Moutama : Aujourd’hui, les agriculteurs qui ne font pas partie d’une organisation de producteurs ne peuvent bénéficier des aides européennes POSEI, alors qu’ils produisent selon les mêmes normes. Une grande partie de ces indépendants sont producteurs de légumes. S’ils touchaient le POSEI, ils pourraient baisser le prix de vente de leur production.
Il est tout d’abord nécessaire que le fonds POSEI soit abondé afin que tous les producteurs réunionnais, indépendants ou organisés, puissent y avoir accès. C’est le rôle de la Chambre d’agriculture d’organiser ces producteurs indépendants afin qu’ils puissent bénéficier des aides.
Il faut une manne supplémentaires tout en sachant que l’usage de ces aides nécessite de se conformer à une procédure et qu’il faut aussi être toujours prêt à justifier de la bonne utilisation de ces aides.
Avec une Chambre d’agriculture forte, il sera possible d’y créer un service pour accompagner ces maraîchers qui veulent accéder aux aides européennes.
Un exemple : le producteur d’Ilet à Cordes, de Mare à Martin ou de Grand Ilet doivent toucher ces aides POSEI même s’ils ont un circuit de commercialisation spécifique. Ils ont d’importants frais de transport pour aller vendre sur les marchés du littoral.
Enfin, je pense que la place d’un technicien doit être sur le terrain, avec nos maraîchers et pas en permanence dans des tâches administratives. Le dialogue avec les producteurs doit être permanent afin que le technicien puisse lui apporter des solutions afin de réduire au maximum ses différents coûts, avec un effet positif sur les prix au bénéfice de toute la population.
Autrement dit, tout remettre à plat pour faire baisser les prix des légumes frais produits à La Réunion et être plus souverain sur le plan alimentaire que nous le sommes actuellement.
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