Interview

Bilan économique 2006

2 janvier 2007

Voici le point de vue de Philippe Jean-Pierre, économiste et directeur de l’AGORAH (Agence pour l’Observatoire de la Réunion, l’Aménagement et l’Habitat) sur l’année 2006...

Quels ont été les points positifs de cette année passée ?

- Il faut, en propos introductif, rappeler deux faits. Premièrement, l’année 2006 a été une année, plus que certaines autres en raison des évènements, pendant laquelle les décideurs ont eu l’obligation de prioriser le court terme au détriment de la vision de long terme. Et, il faut s’attendre à ce que le calendrier électoral amplifie cette préférence pour l’immédiat plutôt que pour la nécessaire patience exigée par les défis du futur. Deuxièmement, l’économie réunionnaise a été, comme les années dernières, largement soutenue par la commande publique. Il me semblait utile de commencer par ces deux points du fait qu’ils expliquent mieux une revue plus détaillée du bilan 2006.

Par exemple, si le BTP et les infrastructures se portent aussi bien, une part non négligeable en incombe à des chantiers publics dont l’exemple est la route des Tamarins. En ce qui concerne le début d’année morose que nous avons connu, la réaction de solidarité de l’Etat a été là avec près de 70 millions d’euros mis sur la table. Cependant, comme l’a rappelé dernièrement M. le Préfet, seule une partie de ces crédits a été utilisée. Enfin, le tram-train et la route du littoral constituent de bonnes perspectives pour l’avenir d’une commande publique pertinente. Cependant, elles ne sont pas encore sûres et l’année 2007 devrait permettre d’en savoir plus, une fois les élections passées.

Au niveau du secteur privé, la campagne de canne a été bonne même si elle n’a pas atteint les mêmes niveaux de performances dans les deux bassins canniers. La consommation des ménages a été soutenue. Le marché des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) s’est consolidé même si son avenir semble moins profitable dans la téléphonie mobile sauf au prix d’innovations et d’investissement générant de nouveaux relais de croissance dans ce secteur. Plusieurs secteurs économiques réunionnais semblent donc se consolider mais demeurent fragile vis-à-vis de l’extérieur. En outre, de nouvelles perspectives devraient se dessiner à partir de 2008 notamment dans une utilisation encore plus pertinente de l’aménagement du territoire.

Enfin, les deux grandes collectivités (La Région et le Département) ont commencé a envisager une réflexion sur l’avenir de la Réunion à long terme. Que ce soit au sein du Conseil Régional avec le PRDD ou dans l’institution du Palais de la Source avec le SDADD. Sur ce plan, les responsables locaux paraissent moins prisonniers du court terme.

Quels ont été les points noirs de l’économie réunionnaise ?

- Au début 2006, le drame qui s’est produit sur la route du littoral et le chikungunya ont abouti à une certaine morosité chez les acteurs économiques réunionnais. S’il fallait considérer l’aspect « bénéfique » de ces difficultés, on pourrait dire qu’ils ont montré quelques difficultés structurelles peu prises en compte jusqu’ici. Je rejoins en cela mes propos sur le début de la prospective à la Réunion. Les décideurs adoptent enfin l’adage : « Mieux vaut prévenir que guérir ». Néanmoins, si un début d’évolution est à noter, il reste beaucoup à faire. Combien d’acteurs locaux semblent attendre qu’éternellement l’État leur verse des subsides alors même que la logique va à la raréfaction des fonds publics ?

Passons maintenant quelques secteurs en revue. Pour le tourisme, le chikungunya n’a fait qu’amplifié les faiblesses structurelles du secteur du Tourisme. Au niveau des transports, les difficultés paraissent au-devant de nous et, là aussi, anticipons encore la congestion toujours plus grande qui se prépare !

Enfin, pour finir sur une note positive, et pour surmonter les différents défis qui sont devant nous, relevons la tête et jouons groupés : les choix privilégiant l’intérêt collectif doivent primer l’intérêt individuel.

Quel a été l’impact du chikungunya ?

- Je ne vous dirais pas de chiffre exact en points de croissance, je ne les ai pas. Je rappellerai seulement, dans la veine de mes propos antérieurs, que le chikungunya a été un révélateur de certaines faiblesses structurelles de l’économie réunionnaise. Le tourisme a chuté, la consommation des ménages a subi un coup, les investissements ont été parfois retardés, voire même abandonnés. C’est le problème d’une économie qui ne connaît pas actuellement de stratégie pertinente à long terme.

Encore une fois aussi, ce gros souci de santé publique nous a peut-être permis de mieux roder la société les acteurs de la veille sanitaire ou des hôpitaux en cas de survenue d’une pandémie plus grave, du type grippe aviaire ou autre.

Quelles sont les prévisions pour 2007 ?

- Sauf accident cyclonique ou sanitaire catastrophique, l’économie réunionnaise devrait continuer à bénéficier d’une croissance soutenue. Ce point plaide en faveur d’une bonne santé des entreprises locales. Cependant, il ne faut pas se méprendre : il reste de nombreux efforts à faire sur les aspects structurels et sur la lisibilité de la trajectoire de notre économie.
D’un point de vue plus conjoncturel, la chasse aux aides après les élections posera certainement un souci de perspective. Les retraites des fonctionnaires ainsi que la défiscalisation pourraient être modifiées. Ces choix devraient être accélérés notamment si les municipales ont lieu dès 2007. En effet, les hommes politiques prendront les mesures difficiles immédiatement après leur arrivée au pouvoir.
En ce qui concerne la croissance, la hausse des taux d’intérêt qui devrait se poursuivre au cours du premier semestre 2007, devrait l’atténuer quelque peu.

Au point de vue international, les Accords de Partenariat Economique (APE) devraient être signés en 2007. La Réunion est-elle prête aux défis de la compétitivité que ceux-ci impliquent ? Il faudra beaucoup plus jouer la complémentarité avec les autres pays que le strict face-à-face en matière de coûts de production.

Pourriez-vous, en tant qu’expert, proposer un ou deux conseils aux hommes politiques réunionnais pour améliorer l’économie réunionnaise en 2007 ?

- Passons de la parole aux actes. Allons dans l’opérationnel. Les documents stratégiques que sont le PRDD (Politique Régionale de Développement Durable) ou le SDADD (Schéma Départemental d’Aménagement et de Développement Durable) ne doivent pas rester dans les cartons.
En outre, la gouvernance doit être améliorée. Il faut mieux savoir qui fait quoi et offrir à l’économie de La Réunion plus de lisibilité sur les outils qui feront son développement économique..
En outre, la Réunion doit se serrer les coudes. Dans l’accélération des changements mondiaux, notre île doit rester dans la course. Pour cela, il faut changer de braquet. Il faut se donner de nouvelles ambitions et être plus compétitif, pas seulement au niveau des coûts mais aussi au niveau de la différenciation par la qualité.


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