Quel modèle de développement pour quelle société ? La CCIR ouvre le débat

« Comprendre qui nous sommes et qui nous voulons être demain »

20 juin 2007

Le 29 mars, la Chambre de Commerce et d’Industrie de La Réunion (CCIR) organisait une conférence-débat sur le thème : “Identité réunionnaise et modèle de développement économique durable”. Une première réflexion qui s’appuie sur l’idée que la construction d’un plan de développement pour La Réunion ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la société réunionnaise d’aujourd’hui pour mieux connaître ses opinions et ses aspirations.

Pourquoi la CCIR, dont la préoccupation première est l’entreprise, se questionne-t-elle sur notre société ? « Parce qu’il nous faut comprendre qui nous sommes et qui nous voulons être demain », a justifié Eric Magamootoo en ouverture du débat auquel le magazine d’information de la CCIR, “Réuccir”, de mai 2007, consacre son dossier.

Quelles sont les aspirations de la population réunionnaise ?

Dans un contexte de mondialisation libérale, de mutations rapides, d’ouverture des marchés à la concurrence, La Réunion doit penser et construire une nouvelle logique de développement économique ; sachant que le modèle actuel, marqué par les transferts de fonds européens et nationaux pour pallier nos retards et prendre en compte nos spécificités, arrive à sa fin. Invitant à dépasser les conflits utérins qui desservent l’intérêt général, la CCIR estime qu’il faut passer à l’offensive constructive qui permettra l’émergence d’une nouvelle stratégie à moyen et long termes.
Acteurs institutionnels, politiques, économiques, sociaux, associatifs... partagent, avec plus ou moins de conscience, l’idée que la fin de ce modèle appelle à la concertation. Il faut néanmoins mettre le pied à l’étrier et ouvrir le débat. Les données à prendre en compte sont nombreuses, les choix stratégiques complexes, l’enjeu colossal pour La Réunion de demain. Si la population réunionnaise ne perçoit pas encore pleinement l’importance de cette étape, elle ne peut néanmoins en être exclue car, comme le pense, à juste titre, Eric Magamootoo, ce sont les Réunionnaises et les Réunionnais qui auront à s’approprier ce nouveau modèle de développement. « Ne perdons jamais de vue que l’activité repose sur les hommes. Nos stratégies, nos objectifs doivent être en phase avec les aspirations des Réunionnais. Quelles sont-elles ? », interroge-t-il dans l’éditorial de “Réuccir”. Quelles sont effectivement les attentes de la population, et en particulier de la jeunesse réunionnaise ? Quels regards porte-t-elle sur notre société ? Pour contribuer à la réflexion et ouvrir des pistes, la CCIR s’est entourée de prestigieux intervenants comme l’anthropologue Christian Barat, le spécialiste de l’histoire de l’enseignement à La Réunion, Raoul Lucas, le sociologue Laurent Médéa ou encore Michel Boyer, Président du Conseil d’administration de l’ANT.

Frustration, précarité et « carence identitaire » chez les jeunes

Christian Barat a tenté de proposer une définition de l’identité réunionnaise inscrite au thème de la conférence. « Nous ne devons pas confondre identité et identique, nous sommes semblables et uniques à la fois », a-t-il souligné. L’anthropologue a fait état des différents facteurs qui influent sur la construction de l’identité des Réunionnais (la rupture avec le pays d’origine, les étapes successives de l’Histoire réunionnaise, l’influence des nouveaux moyens de communication) pour conclure que « chacun construit son histoire de vie de façon originale. Chacun construit une culture que nous partageons. C’est cela notre spécificité ». Et pour Laurent Médéa, auteur d’une précieuse étude sur la délinquance juvénile à La Réunion, les jeunes en difficulté témoignent justement d’une « carence identitaire ». L’anthropologue constate et met en garde sur « une implosion sociale dans la trentaine de quartiers de l’île dont est originaire la grande majorité des délinquants ». Des jeunes qui « adhèrent de manière excessive à la société de consommation » et qui, frustrés par la précarité, le chômage qui ne leur permettent pas « d’accéder aux biens convoités qui permettent de repenser leur identité sous un angle valorisant », se laissent tenter par le vol, s’autodétruisent par la polytoxicomanie. « Ces jeunes sont récupérables, à condition de les faire entrer dans le système économique avant qu’ils ne soient complètement désocialisés, poursuit Laurent Médéa (...). Si l’on ne fait rien, des zones de non droit se créeront dans l’île. La perte des valeurs s’accélère, les nouvelles générations seront plus violentes ».

« Les mieux formés sont poussés vers l’extérieur »

Une mise en garde qui appelle à l’action, mais de quel ordre ? Le marché du travail devrait-il, comme en Angleterre, donner sa chance aux non diplômés ? La mobilité est-elle la réponse à tout ? Raoul Lucas, maître de conférence en Science de l’éducation, rappelant que pendant longtemps, la colonie a mis des freins au développement de l’école réunionnaise, a expliqué que « cet héritage de notre histoire a des conséquences très négatives. On a l’impression que pour réussir, il faut non pas s’éduquer, mais tuer père et mère. Au lieu de susciter l’émulation, la réussite est source d’envie, de ressentiment ». La formation des élites a par contre commencé au début du 19ème siècle, mais pointant du doigt un paradoxe évident, le professeur constate qu’aujourd’hui encore, « les mieux formés sont poussés vers l’extérieur et l’on fait venir de l’extérieur ceux dont nous avons besoin ». Une logique du copinage qui génère nombre de frustrations au sein de la population d’autant que les jeunes réunionnais sont de plus en plus formés. Et c’est sans détour que Raoul Lucas pointe du doigt la mobilité : « Je croirai que les discours actuels sur la mobilité ne reproduisent pas ce schéma seulement quand je verrai des rabatteurs de jeunes Réunionnais diplômés dans les grandes écoles ». Justement, la question de la mobilité a été abordée par Michel Boyer, Directeur de l’IAE (Institut d’Administration des Entreprises), Président du Conseil d’administration de l’ANT qui a admis que « le choix de la mobilité doit être associé à un projet personnel, celui de la non mobilité aussi ! ». Il en souligne les atouts (ouverture d’esprit, adaptation, nouvelle expérience) que les entreprises recherchent chez un salarié, mais constate aussi que les aspirations des jeunes en la matière doivent être mieux connues avant même d’activer les dispositifs, souvent dans l’urgence, de même qu’il reste un important travail à fournir pour mieux connecter la formation locale, la mobilité et les besoins des entreprises. « Nous y travaillons, nous aurons peut-être à modifier nos outils, à en créer d’autres, explique encore Michel Boyer. Notamment pour localiser les Réunionnais diplômés en Métropole ».

Compte rendu : Stéphanie Longeras
(Source : “Réuccir”, mai 2007)

Vous pouvez également consulter le site Internet de la CCIR : http://www.reunion.cci.fr pour en apprendre davantage sur les 7 courants de sociostyles réunionnais et savoir si vous faites partie des « débrouillards », des « défensifs », des « formatés », etc...


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