Transparence sur l’origine des prothèses dentaires

De plus en plus de dents made in Madagascar

20 septembre 2011

Si la majorité des Réunionnais ont du sang malgache qui coule dans leurs veines, un nombre croissant d’entre eux a aussi des prothèses dentaires fabriquées dans la Grande Ile. Mais ça, ils ne le savent pas toujours. Les dentistes se gardent bien de dire à leurs patients que la prothèse qu’ils vont leur poser a été fabriquée par des ouvriers malgaches payés moins de 100 euros par mois. C’est pourtant une obligation légale…

La transparence sur l’origine des prothèses dentaires reste encore un vœu pieux. Depuis plus d’un an et l’entrée en application de la loi Bachelot, les dentistes ont pourtant l’obligation de fournir aux patients qui le demandent l’adresse des laboratoires où ont été confectionnées les prothèses dentaires. Une disposition renforcée par la loi Fourcade adoptée le 13 juillet 2011 par le Parlement. Mais, mal informés, les patients font très rarement la demande de ces éléments écrits de traçabilité. S’ils le faisaient, les Réunionnais découvriraient qu’un nombre conséquent de couronnes et autres prothèses dentaires est fabriqué à Madagascar. Le recours à des prothèses importées de l’étranger n’est pas nouveau. Les dentistes réunionnais ont commencé à s’approvisionner hors du département depuis une dizaine d’années.

Licenciements à La Réunion

Le phénomène s’est accentué ces deux dernières années au point de mettre en difficulté les professionnels locaux. Certains prothésistes ont ainsi vu leur chiffre d’affaires chuter de façon très nette. C’est le cas de Stéphane Duboscq, vice-président du Syndicat des prothésistes dentaires réunionnais : « J’ai dû licencier voilà quelques mois après qu’un gros cabinet de dentistes a choisi d’envoyer ses travaux à Madagascar ». Le prothésiste installé dans les Hauts de Saint-Paul ne se fait guère d’illusions. Si les dentistes préfèrent les prothèses malgaches, « c’est pour faire encore plus de marges, car c’est vraiment beaucoup moins cher, c’est une véritable concurrence déloyale », n’hésite pas à dire Stéphane Dubosq, qui évalue à « 20 à 30% » la part des prothèses venant de Madagascar posées à La Réunion.
Les dents importées affichent, il est vrai, des tarifs défiants toute concurrence. La principale raison est le coût de la main-d’œuvre malgache, moins d’une centaine d’euros par mois. Le géant du secteur français, le laboratoire Labocast, ne s’y est pas trompé. Il a ouvert un atelier de production de prothèses dentaires dans la capitale malgache voilà plus de quinze ans et il compte aujourd’hui plus de 200 ouvriers.

Beaucoup moins cher et aux normes européennes

Moins chères, les prothèses fabriquées à Madagascar sont-elles tout de même de bonne qualité ? La réponse de Philippe Andriatavy, le gérant de Labocast Océan Indien, ne souffre d’aucune ambiguïté : « Le laboratoire est certifié et les matériaux utilisés sont conformes aux normes européennes, nous délivrons aux dentistes les fiches de traçabilité et nous n’avons rien à cacher ». Président du Syndicat des chirurgiens dentistes à La Réunion, Luc Schosmann rappelle quant à lui que « la principale responsabilité du praticien porte sur les matériaux utilisés, il faut qu’ils soient aux normes européennes ». Du moment que cette condition est remplie, il importe peu aux dentistes que la prothèse soit fabriquée localement ou dans un pays étranger.
S’il n’y a pas de doutes sur la qualité des prothèses, pourquoi les dentistes réunionnais hésitent-ils toujours à jouer la transparence et à afficher clairement l’origine des prothèses qu’ils implantent ? La question restera sans réponse pour un moment, pense le vice-président du Syndicat des prothésistes dentaires réunionnais, Stéphane Dubosq : « la plupart des dentistes sont fondamentalement contre cette loi et estiment qu’ils n’ont pas à fournir la provenance de leurs prothèses ».

Le consommateur paye le même prix

Cette réaction s’explique peut-être par la crainte des dentistes d’être une fois encore montrés du doigt comme des professionnels de santé un peu trop âpres au gain. C’est ce que pouvait laisser penser la première mouture de la loi Bachelot qui leur faisait obligation de stipuler dans le devis fourni au patient le prix d’achat de la prothèse. Une demande jamais acceptée, ni appliquée par les dentistes qui ont obtenu que la nouvelle version du texte législatif, adoptée en juillet dernier, se cantonne seulement à faire mention du prix de vente de la prothèse et du montant des prestations de soins effectuées par le praticien.
Les prothèses importées aujourd’hui de Madagascar et peut-être demain de Chine resteront toujours moins chères à l’achat pour les dentistes que les produits fabriqués en Europe. Mais cette différence de prix ne se fait pas vraiment sentir sur la facture payée par les patients qui n’ont rien gagné dans l’affaire. À une exception près. Comme l’affirme Philippe Andriatavy, le gérant de Labocast Océan Indien, « les prothèses moins chères fabriquées à Madagascar ont permis notamment aux bénéficiaires de la CMU d’accéder enfin aux prothèses dentaires, ce qui n’était pas le cas auparavant ».

P.L. pour www.ipreunion.com


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