Le gouvernement amplifie sa fiscalité de classe

Des dispenses d’impôt encore plus importantes pour les plus hauts revenus

15 décembre 2005

Dans son édition du 10 décembre dernier, “l’Humanité” constate que le gouvernement accentue encore davantage les inégalités en donnant la possibilité aux plus nantis de contribuer encore moins à la solidarité nationale. Ci-après cet article.

Outre les ajustements des recettes et dépenses du budget général pour 2005, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) adopté cette semaine par les députés de droite prévoit un important volet fiscal qui réforme l’imposition des bénéfices des actionnaires et celle des petites et moyennes entreprises lors de la cession de celles-ci.

Les Faits

1. Une exonération des plus-values des actionnaires
C’est la principale disposition fiscale contenue dans le PLFR. L’article 19 instaure une exonération de l’impôt sur la plus-value réalisée par les particuliers à l’occasion de la revente de leurs actions. Cette exonération, d’un tiers dès la fin de la sixième année de détention des titres, des deux tiers l’année suivante, est totale quand les propriétaires revendent leurs actions au bout de huit ans de détention. Le décompte des années ouvrant droit à cette exonération démarrera au 1er janvier 2006, toutefois, pour "favoriser la transmission d’entreprise", les années de détention avant cette date seraient prises en compte pour les cessions de titres réalisées par des dirigeants de PME lors de leur départ à la retraite.

2. Une mesure qui vient s’ajouter à de nombreuses dispositions adoptées depuis 2002
La réforme de la fiscalité des actions n’est pas une mesure isolée. Elle entre dans le cadre d’une refonte d’ensemble la fiscalité favorable au patrimoine et au capital depuis 2002, dont le journal “le Monde” a récemment dressé la liste, reprise par le député Didier Migaud (PS) : "Outre les exonérations d’ISF, la baisse de l’impôt sur le revenu et le “bouclier fiscal” (...), relèvement du plafond de l’exonération du plan d’épargne en actions, doublement du seuil de cession pour l’exonération des plus-values sur valeurs mobilières, exonération des droits de succession des entreprises individuelles, renforcement des exonérations sur les plus-values immobilières". De l’autre côté, le gouvernement porte des coups à l’épargne populaire, avec la baisse de la rémunération du livret A, la fiscalisation progressive du plan épargne logement et le remplacement du plan d’épargne populaire par un plan d’épargne retraite beaucoup moins avantageux.

Les questions

1. Combien va coûter ce dispositif ?
En commission, les députés avaient chiffré son coût à un milliard d’euros en année pleine. Le gouvernement donne de son côté un chiffre sensiblement plus sous-estimé, à 150 millions d’euros. Mais aucun de ces scénarios ne se trouve confirmé dans la loi de finances pour 2006, celle-ci ayant été élaborée avant que la mesure n’ait été arrêtée. Il faudra donc attendre vraisemblablement le prochain collectif budgétaire pour avoir une estimation partielle de son impact financier.

2. Qui en sont les véritables bénéficiaires ?
Ces produits financiers visent une clientèle beaucoup plus huppée que celle des produits d’épargne populaire choisis par une majorité de Français. Pour Jean-Claude Sandrier (PCF), ce "nouveau train de mesures fiscales" est destiné "à gonfler le portefeuille de catégories privilégiées de contribuables et à privilégier le capitalisme boursier au détriment d’une économie valorisant l’emploi stable et le travail correctement rémunéré".

Conclusions

Le gouvernement poursuit ainsi une politique systématique de réorientation de l’épargne vers les placements en actions. Il privilégie ainsi des fonds de placement opérant "une pression destructrice sur l’emploi, les salaires et les investissements productifs", a rappelé Janine Jambu (PCF). Au contraire, les parlementaires communistes estiment que l’État doit garantir des taux satisfaisants à l’épargne réglementée. Celle-ci "pourrait en effet constituer un authentique levier du développement économique, en permettant de réorienter les masses financières disponibles vers des investissements utiles à la collectivité, pour le développement de l’emploi, de la formation, de la recherche, le rééquilibrage de nos territoires, la construction de logements" à l’image du livret A, au lieu de reverser le capital au capital dans une véritable fuite en avant.


États-Unis et Royaume-Uni : deux “modèles” pour spolier les plus démunis

États-Unis ou Royaume-Uni. Dans les deux cas, le taux de chômage y est deux fois moindre qu’en France, respectivement à 5% et à 4,6%. Et, dans les deux cas, les dépenses de protection sociale y sont également moindres : en 2002, rapportées au produit intérieur brut (PIB), elles pèsent en effet 30,6% en France, contre 27,8% au Royaume-Uni et sans doute nettement moins de 25% aux États-Unis. Conclusion sarkozyste : non seulement l’argent de la protection sociale ne fait pas le bonheur, mais il aggrave le chômage.
En 2004, le seuil de pauvreté aux États-Unis pour une personne seule était de 9.645 dollars, soit de l’ordre de 8.000 euros annuels. On dénombrait alors 37 millions de personnes qui vivaient dans des familles dont le revenu total était inférieur à ce seuil : soit 12,7% de la population américaine. En France, malheureusement, les chiffres datent un peu : en 2002, 3,6 millions de personnes - soit 6% de la population - devaient vivre avec moins de 7.400 euros. Ce qui, grosso modo, représente un peu moins de 7.800 euros de 2004. Les données sont donc suffisamment proches pour qu’on puisse les comparer.
Ce pays (...) se paye le luxe (...) d’avoir deux fois plus de pauvres qu’en France, alors même qu’il compte deux fois moins de chômeurs et que le PIB par tête y est de 30% plus élevé. Au Royaume-Uni, la même année, 11% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté, d’un montant de 8.000 euros. Voilà donc deux pays qui donnent du travail à (presque) tous. Deux pays qui, au surplus, ont un PIB par tête supérieur à celui de la France. Et qui, malgré cela, comptent proportionnellement plus ou moins deux fois plus de pauvres qu’en France.
La France connaît déjà en partie la dérive américaine : (...) 1,2 million de demandeurs d’emploi travaillent officiellement, mais pas assez pour sortir de la nasse ? Pour eux, davantage de travail et moins de protection sociale, c’est déjà le cas : demandez-leur ce qu’ils en pensent.

(Source : “Alternatives économiques”)


20 millions de Français touchés par une pauvreté massive

La France est un pays de pauvreté massive. Que l’on adopte les normes européennes ou que l’on se réfère à l’“Enquête sur les conditions de vie” de l’INSEE, la France compte environ 7 millions de pauvres. Cela signifie que 11 à 12% de la population française vit aujourd’hui avec moins de 650 euros par mois. Il serait d’ailleurs plus juste de dire que la France “comptait” 7 millions de pauvres : le dernier état des lieux date de 2001. Depuis, plusieurs signes, dont la montée du nombre d’allocataires du revenu minimum d’insertion (RMI), suggèrent que la situation s’est aggravée. Signe imparable du je-m’en-foutisme politique - les pauvres ne votent pas -, l’État n’a jamais mis les moyens nécessaires pour disposer de statistiques lui permettant d’être informé rapidement du déchirement du tissu social.
Et ce n’est pas tout. Entre chômage, sous-emploi, emplois précaires et emplois peu payés, "c’est très vraisemblablement entre le quart - au moins - et le tiers de la population, soit 15 à 20 millions de personnes - 7 millions de pauvres et 8 à 12 millions de précaires -, qui, pour une raison ou pour une autre, ont, de façon durable, des conditions de vie marquées du sceau de l’extrême difficulté", constate ici Jacques Rigaudiat. Une situation "disqualifiante", comme la caractérise le sociologue Serge Paugam, où les pauvres sont nombreux, issus de franges de la population intégrées au marché de l’emploi mais confrontées à des situations de précarité de plus en plus lourdes dans le domaine des revenus, du logement, de la santé et de la participation à la vie sociale.
Comment en est-on arrivé là ? Pour le comprendre, il faut d’abord se débarrasser de l’image des pauvres assimilés aux marginaux, croisés dans les grandes villes, dans les transports en commun ou à la sortie des supermarchés. Cela concerne vraisemblablement de l’ordre de 100.000 personnes. Ces “naufragés”, décrits par Patrick Declerck [1], sont la part visible d’un iceberg beaucoup plus vaste et beaucoup plus proche de notre vie quotidienne. Ils sont pauvres et précaires parce qu’ils - et surtout elles ! - ne peuvent obtenir qu’un emploi à temps partiel, ou un emploi à temps plein qui ne dure pas, ou pas d’emploi du tout. Le constat de tous les spécialistes est identique : derrière la montée régulière du chômage, typique des gouvernements de droite des quinze dernières années, c’est la précarité croissante de la condition salariale, toutes tendances politiques confondues, qui nourrit la pauvreté.
Peut-on y faire quelque chose ? Là aussi la réponse est unanime : oui ! Les transferts sociaux répondent déjà, en quelque sorte, au problème : sans le RMI, l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’aide scolaire, etc., ce serait pire.
Mais cela ne résout pas la situation. Pourquoi ? Parce que derrière tous les beaux discours sur la solidarité, nos gouvernants acceptent implicitement - explicitement, pour certains - deux idées qui guident, au fond, toutes leurs politiques en la matière.
La première est que ceux qui sont pauvres le sont parce qu’ils le veulent bien. C’est pourquoi il faut indemniser de moins en moins et de moins en moins longtemps les chômeurs, et c’est pourquoi le RMI ne fournit qu’un revenu de survie qui maintient dans la pauvreté plutôt qu’elle ne l’empêche.
La seconde idée est que les pauvres se révoltent rarement de nos jours. L’exemple des États-Unis est à cet égard étonnant. La mort progressive du “rêve américain” et l’accélération de la dégradation de la situation sociale sous le premier mandat de Bush n’ont pas empêché ce dernier de conquérir facilement un deuxième mandat. En France, fonctionnaires et salariés défendant leurs avantages sont les porte-parole de la conflictualité sociale ; pas les pauvres, les précaires et les chômeurs. Mais l’extrême droite est au second tour de l’élection présidentielle, et les partis de gouvernement observent bouche bée les sondages leur renvoyant l’image de l’étranger, l’Europe, comme source de tous nos maux.
La lutte contre la pauvreté réclame une hausse des minima sociaux, des politiques publiques volontaristes de création d’emplois, une taxe sur le travail à temps partiel, des compléments de revenus pour ceux qui y sont contraints et un service public prenant en charge les enfants en dehors de l’école pour permettre aux femmes qui le souhaitent de travailler plus. Ces mesures ne sont pas utopiques.

(Source : “Alternatives économiques”)


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus